Le Président au village
Chemins buissonniers pour les manifestants !

Histoire d’un citoyen non macro­niste contraint à l’errance dans le bocage.

 

Julien B. a appris le week-end du 8 avril, par les canaux média­tiques auto­ri­sés, que le Président de la France métro­po­li­taine et ultra-mari­time devait rendre visite à la France de la rura­li­té per­che­ronne quatre petits jours plus tard, et avait jeté son dévo­lu sur le bourg de Berd’huis dans l’Orne ain­si que sur la chaîne pri­vée TF1 et sa filiale LCI. Ayant vécu plu­sieurs années dans le joli vil­lage voi­sin de Préaux-du-Perche, notre citoyen, ancien sala­rié à la retraite, déci­da de se rendre à ce ren­dez-vous avec en tête quelques sug­ges­tions à pré­sen­ter à la réflexion du Président. Il se munit d’une carte de la région, apprit par des amis et connais­sances que les routes prin­ci­pales et la petite com­mune seraient pro­ba­ble­ment blo­quées par des forces gendarmo-policières(1) et déci­da mal­gré tout de prendre sa modeste voi­ture, son appa­reil pho­to et ses papiers d’identité.

La petite route qu’il choi­sit d’emprunter, ser­pen­tant dans le bois sous un ciel rela­ti­ve­ment serein, l’amena à un car­re­four qu’on appel­le­rait des Quatre routes dans un écrit lit­té­raire du 19è siècle. Mais ce lieu, pour buco­lique qu’il fût, res­sem­blait dia­ble­ment à un départ de manif contes­ta­taire de ville moyenne, un quart d’heure avant le défi­lé. Notre citoyen, tout local qu’il était, n’en fut pas éton­né puisqu’il recon­nut des pan­cartes et des cali­cots qui le confor­tèrent dans son envie de faire connaître les rai­sons de sa présence.

La cin­quan­taine de per­sonnes pré­sentes avaient ins­tal­lé une ban­de­role à l’entrée de la petite route que tous et toutes regar­daient avec convoi­tise : celle qui menait jusqu’au centre-bourg mais qui était bar­rée par un groupe de CRS et de poli­ciers en civil, calmes mais l’œil sus­pi­cieux, der­rière les­quels s’allongeait une ran­gée de voi­tures et four­gons occu­pant une grande lar­geur de la route de cam­pagne. Le but n’était pas éloi­gné, mais inaccessible !

BerdHuis Macron 12-04-2018 Opposants 09

Carrefour D9/D11 : Les cas­se­roles se révoltent aussi

L’atmosphère n’était pas morose : un res­pon­sable syn­di­cal arbo­rant le sigle CGT était en plein dis­cours. Notre ami Julien n’hésita pas long­temps. Il applau­dit les demandes de moyens pour l’hôpital, pour l’école, la sau­ve­garde des ser­vices publics. Il appré­cia la remarque sur les mil­liards qui devraient reve­nir à l’intérêt géné­ral. Des mani­fes­tants por­taient des dra­peaux syn­di­caux ou des affi­chettes pen­dues à leur cou, qui affir­maient leur sou­tien à la lutte des che­mi­nots, s’élevaient contre les 27 fer­me­tures de classes dans l’Orne pour la pro­chaine ren­trée, ou annon­çaient des chiffres qui don­naient froid dans le dos, com­pa­rés à la pau­vre­té gran­dis­sante et à la pré­ca­ri­té des emplois. Et là, Julien se sen­tait concer­né. Des agri­cul­teurs mili­tants du voi­si­nage, de la Confédération pay­sanne, s’étaient don­né ren­dez-vous à ce car­re­four, espé­rant péné­trer dans Berd’huis pour évo­quer l’injustice et les dan­gers de la poli­tique agri­cole inten­sive, pol­luante, qui appau­vrit les sols autant que les petits exploi­tants. Il y avait aus­si quelques ensei­gnants de la FSU, des sala­riés por­tant les dra­peaux de FO, venus de l’Orne, par­fois d’assez loin (Alençon, Mortagne…), des retrai­tés qui avaient cal­cu­lé com­bien la hausse de la CSG allait leur coû­ter par an. Et des oppo­sants de par­tis de gauche, du NPA, du PCF, d’Ensemble, de la France insoumise.

Un groupe de jeunes éco­lo­gistes et de défen­seurs de l’environnement étaient venus dénon­cer les pro­blèmes du cli­mat, de l’alimentation, la vio­lence exer­cée par l’État contre les Zadistes de Notre-Dame-des Landes et une ban­de­role s’élevait contre le nucléaire et l’enfouissement pro­gram­mé des déchets à Bure. Quelques per­sonnes étaient venues de la Sarthe, et une tren­taine de l’Eure-et-Loir, notam­ment du sec­teur de Nogent-le Rotrou, ville située à 6 km.

Bref, sur ce point de blo­cage de la route du Theil tenu par les CRS et la gen­dar­me­rie, il y avait une cin­quan­taine de per­sonnes avant midi. Il se disait que d’autres étaient blo­quées à l’opposé au bar­rage de Dancé.

Tous et toutes avaient le temps et le plai­sir de faire connais­sance ! Julien vit aus­si trois jour­na­listes et une caméra.

Manif buissonnière à Berd'Huis

Par les che­mins creux

Certains  ayant reçu des nou­velles de per­sonnes qui avaient emprun­té un che­min de ran­don­née connu des locaux, finirent par ten­ter leur chance. Ce che­min, assez proche du car­re­four, les atten­dait : long de 3 km, il per­mit à beau­coup de rejoindre le bourg de Berd’huis en 30 bonnes minutes. D’autres se trom­pèrent et durent pour­suivre par les champs et les talus plus ou moins boueux. Les groupes bien infor­més et déter­mi­nés étaient déjà ins­tal­lés dans la com­mune avec leurs pan­cartes, leurs ins­tru­ments de musique et leur joyeuse résolution.

BerdHuis Macron 12-04-2018 Opposants 11

Berd’huis : Visite gra­tuite du bocage percheron

Julien déci­da tar­di­ve­ment de ten­ter sa chance avec un homme sym­pa­thique cou­vert de ses badges reven­di­ca­tifs. Un héli­co­ptère sur­veillait la zone. Julien se deman­da quelles sommes avaient été inves­ties dans la pro­tec­tion du Président qui ne ris­quait que le désa­gré­ment d’entendre les demandes d’une ou deux cen­taines de per­sonnes, mécon­tentes de ses choix éco­no­miques et sociaux.

Ayant atteint le stade, ouvert à tous vents, Julien et son com­pa­gnon se firent stop­per par des gen­darmes, inflexibles au vu des badges. Non loin de là, ils enten­daient les sif­flets, les slo­gans, les tam­bours et des cas­se­ro­lades qui témoi­gnaient de la pré­sence de nom­breux (3) mani­fes­tants ayant réus­si leur intru­sion dans le péri­mètre urbain. La pres­ta­tion pré­si­den­tielle étant près de se ter­mi­ner, ils reprirent le che­min en sens inverse.

 

Camille

 

Remarque de la rédac­tion :

Finalement, mal­gré le jour et l’heure choi­sis, les oppo­sants ont été au moins aus­si nom­breux que les par­ti­sans venus applau­dir le pré­sident jupi­té­rien, ce que TF1 et la presse locale oublièrent de noter !

NDLR :

  1. L’accès à la com­mune a été effec­ti­ve­ment blo­qué plu­sieurs heures sur les cinq points d’accès par les routes départementales.
  2. Il s’agissait de la Batucada de Préaux-du-Perche.
  3. Près de cent cin­quante mani­fes­tants, fina­le­ment, au cœur du bourg.