Michel Toesca à Chartres :
Cédric Herrou, même combat

Michel Toesca, réa­li­sa­teur de Libre qui relate le com­bat de Cédric Herrou pour l’accueil des migrants, pré­sen­tait son film same­di 20 octobre aux Enfants du Paradis à Chartres. Nous retrans­cri­vons ci-des­sous en les regrou­pant par thèmes les prin­ci­pales réponses qu’il a faites lors du débat après la projection.

Une com­bat pour faire res­pec­ter le droit d’asile

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Michel Toesca : “J’ai sor­ti ma camé­ra comme les infir­mières sortent leur trousse médicale”

Pendant trois ans dans la val­lée de la Roya, on a essayé de faire en sorte que le gou­ver­ne­ment res­pecte la loi, ce qu’il ne fait pas. Le Préfet des Alpes-Maritimes a eu 21 ordon­nances à son encontre de la part du tri­bu­nal admi­nis­tra­tif pour refou­le­ment illé­gal de mineurs iso­lés et pour entrave à la demande d’asile. Ce qui n’a rien chan­gé. Dans la séquence de « Libre » où l’on voit le Directeur de cabi­net du Préfet et le Procureur de la République, séquence clé du film, on voit très bien que [pour eux] les migrants ça repré­sente des chiffres, quelque chose d’abstrait. Pour nous, c’est des gens qu’on connaît, on est sur le ter­rain. C’est à cause de cette séquence qu’on a eu de gros sou­cis à Cannes.

La déci­sion du Conseil consti­tu­tion­nel [recon­nais­sance du prin­cipe de fra­ter­ni­té(1)] est pour nous une grande vic­toire. Ça ne s’est jamais pro­duit dans la République que la Constitution soit modi­fiée sans pas­ser par le Parlement mais par les avo­cats d’un type, Cédric Herrou, qui élève des poules, qui vend ses œufs et fait de l’huile d’olives.

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Emmanuelle Péchenart du CRSP28 pré­sente Michel Toesca

La poli­tique migra­toire de la France et de l’Europe

Le gou­ver­ne­ment d’aujourd’hui a un dis­cours face à l’Europe : la France se pré­sente comme un pays rela­ti­ve­ment accueillant, Macron se posi­tionne comme quel­qu’un qui est assez humain… Dans les faits, non ! On le voit très bien sur l’Aquarius… c’est une sorte de noyade orga­ni­sée par l’Europe. Avant les accords pas­sés avec la Libye, il y avait 1 migrant sur 47 qui se noyait en Méditerranée, aujourd’hui, on est à 1 sur 16. C’est ter­rible. Dans quelques années, on devra juger ça.

Une poli­tique d’accueil divi­se­rait par deux le coût actuel de la poli­tique sécuritaire.

Une ins­tru­men­ta­li­sa­tion à but électoraliste

Le gou­ver­ne­ment se sert de la loi sur l’état d’urgence [ins­crite dans la Constitution] pour consi­dé­rer que tout nou­vel arri­vant est un ter­ro­riste poten­tiel, que ce soit un enfant de trois mois, une femme, des mineurs… En fait, c’est un argu­ment élec­to­ra­liste, c’est très facile d’utiliser les migrants qui arrivent comme étant la cause de tous les maux de la socié­té. Dans le pas­sé, il s’est pas­sé la même chose avec les Italiens, la même chose avec les Arméniens… Les der­niers arri­vants sont tou­jours les res­pon­sables de tous les moments de crise des socié­tés. Sur des fan­tasmes, on construit de la peur. La poli­tique sécu­ri­taire menée dans des pays qui n’ont pas des gou­ver­ne­ments d’extrême-droite, c’est pour récu­pé­rer cet élec­to­rat là et dire « nous, on est aus­si forts que l’extrême-droite ». C’est une vision à très très court terme.

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Michel Toesca : “Il serait grand temps d’avoir une pen­sée de l’ordre du partage”

Effet miroir

Cedric Herrou parle d’effet miroir. Ce qu’ils [les gou­ver­nants] sont en train de leur [les migrants] faire, ils vont nous le faire à nous [la popu­la­tion en géné­ral]. Ce qui se passe en Italie aujourd’hui peut très bien arri­ver en France bien­tôt. Il faut se battre contre ça.

Avoir une pen­sée de l’ordre du partage

Je n’ai jamais fait de dif­fé­rence entre les migrants « cli­ma­tiques », « poli­tiques » et « éco­no­miques », les causes sont les mêmes. Personne ne part de chez lui en disant « c’est cool, je vais aller en Europe », c’est chaque fois un vrai déchi­re­ment… Ce qui est ver­ti­gi­neux, c’est qu’il n’y a aucune pen­sée à long terme de cette situa­tion, on n’est qu’au début, on a beau construire des murs, des digues, c’est comme l’eau, quand l’eau va mon­ter, ça va débor­der. Le com­bat des « iden­ti­taires » est un com­bat qui est per­du d’avance, c’est pour ça qu’ils ont un sur­saut aus­si ner­veux et si agres­sif. Il serait grand temps d’avoir une pen­sée de l’ordre du par­tage, de l’ordre de l’accueil qui per­met­trait de pro­duire ce vivre ensemble qui est faisable.

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170 per­sonnes sont venues voir le film et échan­ger avec Michel Toesca

Un film pour mon­trer la réa­li­té… craint par les gens de pouvoir

J’ai été autant fil­meur qu’acteur. J’ai sor­ti ma camé­ra comme les infir­mières sortent leur trousse médi­cale pour soi­gner les gens en étant moi-même acteur de la plu­part des actions qui ont eu lieu pen­dant ces trois année.

Au fes­ti­val de Cannes, on a failli être dépro­gram­més car le chef de cabi­net du Préfet [voir ci-des­sus] est aujourd’hui chef de cabi­net de l’Élysée… Je remer­cie beau­coup Thierry Frémeaux et Pierre Lescure(2) qui, mal­gré les pres­sions, ont gar­dé le film en sélec­tion officielle.

Dans les Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, pré­sident, et le Préfet nous consi­dèrent comme leurs enne­mis. Cédric et moi sommes atta­qués en dif­fa­ma­tion par le Préfet. Ils ont mis de grosses pres­sions sur tous les ciné­mas du dépar­te­ment pour qu’ils ne prennent pas le film. Il n’y a qu’un ciné­ma à Nice qui l’a pris, le Pathé-Gaumont.

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À la sor­tie, dis­cus­sions pas­sion­nées avec des spectateurs

Pourtant ce n’est pas un film à charge, ce n’est pas un film mili­tant, c’est un film poli­tique. Ce n’est pas un film qui dénonce, c’est un film qui montre.

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  1. 1. Les inter­titres sont de la rédac­tion ain­si que toutes les pré­ci­sions entre crochets.
  2. 2. Respectivement, délé­gué géné­ral et pré­sident du festival.

 

Libre sera pro­je­té aux Enfants du Paradis les 26, 28 et 30 octobre à 20h et à Maintenon le 9 novembre dans le Cinémobile à 18 h.