Chez les Gilets Jaunes percherons :
les colères cherchent leur voie

Après leur ins­tal­la­tion sur le rond-point de Margon de la D923, Chartres-Le Mans, les 200 à 300 per­sonnes recen­sées au début du mou­ve­ment n’ont pas chô­mé pour amé­lio­rer l’intendance et assu­rer une pré­sence nuit et jour. Les per­sonnes qui se sont mobi­li­sées ne sont pas là par hasard ou par simple soli­da­ri­té : sur le sec­teur de Nogent-Margon la majo­ri­té des Gilets Jaunes est com­po­sée de salarié.e.s ou ex-salarié.e.s (les Valéo ont par­fois enfi­lé le gilet de l’entreprise), de privé.e.s d’emploi, de petits entre­pre­neurs ou arti­sans-rou­tiers ou du sec­teur du bâti­ment — beau­coup venant des vil­lages plus ou moins proches, contraints d’utiliser leur voi­ture. Des retraité.e.s parlent de leur pen­sion plus que réduite (630€, 850€… après 40 années de tra­vail), des salarié.e.s ou demandeurs.ses d’emplois évoquent leurs han­di­caps, consé­quences des condi­tions de tra­vail subies, atteintes phy­siques autant que morales quand l’entreprise les a mis.e.s à l’écart.

 

Gilets Jaunes Margon 08-12-2018 Feu

Margon, rond-point, 8 décembre 2018

 

Quelles formes d’action choi­sir ? 

 

 

Pour leur deuxième assem­blée, le ven­dre­di 21 décembre à 20h30, les Gilets Jaunes de Nogent-le Rotrou ont une nou­velle fois béné­fi­cié de la halle de Margon. Se sont retrou­vés une bonne cen­taine d’entre eux et quelques dizaines d’auditeurs venus sou­te­nir ou s’informer. D’autres Gilets Jaunes repré­sen­taient les mobi­li­sa­tions de Chartres, Illiers, Courville et même La Ferté-Bernard et Mortagne, des dépar­te­ments limi­trophes. Après la pré­sen­ta­tion de porte-paroles (que de plus en plus de Gilets Jaunes de Nogent-Margon consi­dèrent comme auto-pro­cla­més), le groupe orga­ni­sa­teur a pei­né à trai­ter du fond, la dis­cus­sion ayant com­men­cé par des ques­tions abruptes : qui est d’accord pour par­ti­ci­per au blo­cage des ronds-points ou à des ouver­tures de péages du sec­teur ? D’autres per­sonnes prennent la parole pour faire entendre quelques avis sur les décla­ra­tions du chef de l’État. Quelques Gilets Jaunes de Nogent insistent sur l’insuffisance criante des annonces de Macron et demandent qu’il y ait d’abord une dis­cus­sion sur le fond puis sur les formes d’action capables de main­te­nir le sou­tien de la popu­la­tion. D’autres affirment bruyam­ment que des actions vio­lentes sont les seules effi­caces pour effrayer le pré­sident et le faire céder. Un autre pré­sente le Référendum d’Initiative citoyenne (RIC) et conseille de se mobi­li­ser pour défendre la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. Devant l’énervement ambiant, cer­tains Gilets Jaunes venus d’autres villes expliquent l’intérêt d’élaborer des listes de reven­di­ca­tions et des expli­ca­tions des­ti­nées à la popu­la­tion. Ils insistent : les vio­lences nuisent au mou­ve­ment. Certains mobi­li­sés de Margon réagissent vive­ment à ces pro­pos, à leurs yeux « trop gen­tils », et le groupe qui est allé mani­fes­ter à Paris est appe­lé à témoi­gner des fouilles mul­tiples et des vio­lences poli­cières subies le same­di pré­cé­dent.  Entretemps, des audi­teurs appa­rem­ment déçus avaient quit­té la salle. En fin de compte, le calme reve­nu, des échanges construc­tifs ont pu avoir lieu. Avec ce juge­ment final : « fai­sons montre de notre colère avec intel­li­gence »« la vio­lence va nous faire du mal ».

 

Gilets Jaunes Margon 08-12-2018 Barrage

Margon, rond-point, 8 décembre 2018

 

Deux ronds-points, deux méthodes

Gilets Jaunes Nogent-le-Rotrou Rond-point Michel-Hoguet 04

Nogent-le-Rotrou, rond-point Michel-Hoguet, 4 jan­vier 2019

 

Les consé­quences de cette séance mou­ve­men­tée se sont vues dès le len­de­main. Deux lignes se des­si­naient déjà lorsqu’un groupe avait com­men­cé à se mon­trer sur le rond-point Michel-Hoguet situé à la sor­tie de Nogent-le-Rotrou, vers Berd’huis et la route d’Alençon. Endroit assez fré­quen­té par les voi­tures mais aus­si par des habi­tants du quar­tier popu­laire des Gauchetières se ren­dant dans les grandes et moyennes sur­faces du sec­teur. Finalement ce groupe a gros­si et a ins­tal­lé un bra­se­ro, un abri de for­tune, une table et le lot de palettes quo­ti­dien. Sous l’impulsion de 4 ou 5 per­sonnes (dont les adhé­rents de syn­di­cats qui sont main­te­nant accep­tés), les dis­cus­sions ont abou­ti à l’élaboration d’une liste de prin­cipes et de reven­di­ca­tions pré­cises, en par­ti­cu­lier en réponse aux mesures que le pré­sident Macron a dû concé­der dans son allo­cu­tion du 10 décembre. Des pan­cartes bien visibles ont été ins­tal­lées au centre du rond-point, les auto­mo­bi­listes et rou­tiers sont infor­més par tract. Une marche vers le mar­ché de Nogent est pré­vue, la demande faite auprès de la Sous-Préfecture.

Gilets Jaunes Nogent-le-Rotrou Rond-point Michel-Hoguet 04

Nogent-le-Rotrou, rond-point Michel-Hoguet, 4 jan­vier 2019

À Margon, après l’insistance de la gen­dar­me­rie, le cam­pe­ment a été démon­té puis réins­tal­lé de l’autre côté de la rocade qu’il a suf­fi de tra­ver­ser. Cabane plus confor­table au milieu du bos­quet d’arbres et feu de palettes près de la route. Les pro­jets des occu­pants res­tent cen­trés sur la pré­sence aux mani­fes­ta­tions parisiennes.

Toutes ces actions sont évi­dem­ment sui­vies de près par les gen­darmes. À l’approche des fêtes de fin d’année, ils ont ten­té de faire appli­quer la consigne de libé­ra­tion des ronds-points, avec par­fois de vives fric­tions ver­bales au rond-point de Margon, mais il semble que la Préfecture ait prô­né la négo­cia­tion. Toutefois, début jan­vier, les Gilets Jaunes des deux ronds-points se plai­gnaient de pres­sions : demande de retrait de voi­tures pré­sen­tées comme gênantes, de pan­cartes au ton sati­rique (mais cepen­dant non inju­rieux) et autres exi­gences, fai­sant s’interroger les mili­tants sur les limites que l’État cherche à impo­ser aux liber­tés d’expression et de manifestation.

 

Vendredi 4 jan­vier : une pro­jec­tion en plein-air sur le rond-point Michel-Hoguet

 

À 18h une ving­taine de Gilets Jaunes se retrouvent pour regar­der ensemble une vidéo : les deux appels du groupe de Gilets Jaunes de Commercy, dans la Meuse. Il s’agit d’un pro­jet d’« Assemblée des assem­blées » : une grande réunion natio­nale des comi­tés popu­laires locaux le 26 jan­vier, pour débattre des suites du mou­ve­ment. La décla­ra­tion du 30 décembre affirme : « Nous avons com­pris que nos véri­tables enne­mis, ce sont les quelques déten­teurs d’une richesse immense qu’ils ne par­tagent pas : les 500 per­sonnes les plus riches de France ont mul­ti­plié par 3 leur for­tune depuis la crise finan­cière de 2008, pour atteindre 650 mil­liards d’€ !!! »

À Nogent-le-Rotrou, il est déci­dé de prendre contact avec des groupes voi­sins d’Eure-et-Loir, de l’Orne ou de la Sarthe afin d’échanger sur les pro­grammes et les formes d’action, de s’entraider si néces­saire. Le groupe compte aus­si amé­lio­rer ses moyens de com­mu­ni­ca­tion en interne et vers la popu­la­tion. Dans la bonne humeur, ren­dez-vous est don­né à toutes et tous pour 9h le len­de­main matin afin de se rendre sur le mar­ché de Nogent et vers les grandes sur­faces, la péti­tion en main.

 

Samedi 5 jan­vier : pari gagné

 

Gilets Jaunes Nogent-le-Rotrou Rond-point Michel-Hoguet 05-01-2019 Marche Rue St-Hilaire

Nogent-le-Rotrou, rue Saint-Hilaire, 5 jan­vier 2019

 

50 per­sonnes sont prêtes à par­tir à 9h30. Deux voi­tures de gen­dar­me­rie encadrent le groupe. L’optimisme domine, les slo­gans sont repris :  sur les thèmes de la pau­vre­té, de la reva­lo­ri­sa­tion des salaires et des pen­sions, des pri­vi­lèges à abattre, de l’arrogance du chef de l’Etat, sans oublier la démis­sion de Macron.

Les pas­sants et les auto­mo­bi­listes reçoivent le tract-péti­tion avec le sou­rire ou, par­fois, sans enthou­siasme. Une entorse au par­cours est faite pour s’arrêter 5 minutes devant la rési­dence du Sous-Préfet.

Tout en enfi­lant leur gilet jaune d’autres per­sonnes rejoignent le défi­lé sur le mar­ché de la place du 11 août. Plus loin, le groupe passe au milieu des stands des com­mer­çants puis se dirige, par une longue marche, vers la grande sur­face Intermarché avant de reve­nir au point de départ. Les par­ti­ci­pants se disent satis­faits de leur nombre et de l’esprit paci­fique et déter­mi­né de cette démons­tra­tion. Les suites sont main­te­nant à mettre en place car le sen­ti­ment d’injustice ne fai­blit pas. La cohé­sion du groupe des occu­pants de ce rond-point s’est renforcée.

 

Gilets Jaunes Nogent-le-Rotrou Rond-point Michel-Hoguet 05-01-2019 Marche Gaulois-réfractaire

Nogent-le-Rotrou, 5 jan­vier 2019, “Gaulois réfractaire”