Saccage pour une déviation
et un pont sur la Loire
Nous reproduisons ci-après, des extraits d’un article paru sur reporterre.net, le 31 août 2019, qui concerne notre région. Le titre et les intertitres sont de notre site. Retrouvez l’intégralité de l’article sur le site d’origine en cliquant ici.
Porté et financé à hauteur de 80 millions d’euros par le conseil départemental du Loiret, le projet de déviation de Jargeau consiste en la création d’une nouvelle route à deux voies d’une quinzaine de kilomètres entre la route départementale (RD) 13 à Marcilly-en-Villette au sud, et la RD 960 à Saint-Denis-de‑l’Hôtel à l’est, avec la construction d’un nouveau pont sur la Loire. Il vise à désengorger le pont de Jargeau, unique point de passage du fleuve à des kilomètres à l’est de l’agglomération orléanaise. « Aujourd’hui, le trafic sur le pont de Jargeau atteint 15.000 véhicules par jour. Ce sont aussi plus de 1.600 poids lourds qui traversent les centres-villes des communes concernées par le projet, indique la vidéo de présentation du projet du conseil départemental. Cette situation favorise aussi un sentiment d’insécurité et suscite des nuisances pour les riverains en matière de vibrations sur l’habitat ou de bruit. »
“C’est la civilisation de la bagnole qu’il faut changer”
Un argument que réfute Jean-Marie Salomon, président de l’association Mardiéval. Depuis la véranda de sa maison de Mardié, la pelouse descend en pente douce jusqu’au fleuve, dont les bancs de sable sont régulièrement survolés par des grandes aigrettes — un paysage classé au patrimoine mondial de l’Unesco que viendrait défigurer le nouveau pont. « Les ralentissements sur le pont ne dépassent pas 1,5 km et ne surviennent qu’aux heures de pointe, soit une heure et demie par jour. Les jours les plus critiques, les automobilistes les franchissent en dix minutes. En plus, le trafic, dont il était prévu qu’il augmente de 2 % par an, a diminué de 1 % par an ces dernières années. Si les communes construisaient une déviation à 100 millions d’euros à chaque fois qu’elles étaient confrontées à cette situation, la France serait ruinée. C’est cette civilisation de la bagnole qu’il faut changer. »
L’habitat de 170 espèce d’oiseaux menacé
Pour le président de Mardiéval, le projet est d’autant plus aberrant qu’il traverserait un écosystème rare et fragile. « Les bords du fleuve sont classés Natura 2000. Le bois de Latingy est un massif forestier très ancien, très peu remanié, habité par des chiroptères et un couple de balbuzards pêcheurs, une espèce de rapace protégée. » Ce dernier est devenu la star de la Balbucam, un dispositif caméra installé par Mardiéval qui filme le nid toute la journée pendant la période de reproduction et retransmet la vidéo en direct sur internet. « Nous avons aussi réalisé un contre-inventaire naturaliste : là où l’étude d’impact n’a recensé que 80 espèces d’oiseaux, nous en avons trouvé plus de 170 ! Dont 74 devraient faire l’objet d’une demande de dérogation pour la destruction d’espèces protégées — dans l’étude d’impact, seul le balbuzard pêcheur fait l’objet d’une telle demande. »
“Il est possible, voire probable que le pont s’effondre”
Enfin, la Loire, à cet endroit, ne se prête pas à l’installation d’un pont, affirme Jean-Marie Salomon en s’appuyant sur un rapport du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) commandé par le conseil départemental, qui devait rester confidentiel jusqu’en 2020 mais dont des extraits ont fuité dans la presse en février : « Selon ce rapport, il est possible, voire probable que le pont s’effondre pendant sa durée d’existence, à cause de l’extrême fragilité du système karstique sur lequel il serait installé. » Entre Châteauneuf-sur-Loire et Blois, les calcaires de Beauce qui forment une partie du lit du fleuve se dissolvent au contact de l’acide carbonique présent dans l’eau et laissent apparaître des fissures, les karsts. Selon les experts du BRGM, boucher ces fissures pour installer un pont risquerait de réduire et de polluer les écoulements d’eau vers la nappe phréatique et les captages d’eau potable en aval. Par ailleurs, ces karsts peuvent s’effondrer et former d’énormes cavités, les « fontis » : en 2010, c’est un pavillon entier du village de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin qui a disparu dans un de ces trous, de 16 mètres de diamètre et 8 mètres de profondeur.
Ces spécificités du lit du fleuve ne sont pourtant pas un obstacle à la construction du pont, selon le président du conseil départemental du Loiret, Marc Gaudet. « L’idée est d’aller chercher au-delà de la zone karstique, dans le substratum plus dur. Il n’est pas non plus question d’injecter du béton dans le sous-sol : nous avons la volonté de préserver le bouillon qui alimente le Loiret, par un système de pieux qui permettront la circulation des eaux souterraines. Nous avons aussi à cœur de réaliser toutes les compensations écologiques prévues par la loi. On ne construit plus les ponts comme il y a vingt ans, c’est d’ailleurs pour ça que le processus est aussi long ! »
Les opposants de Mardiéval… sur le pont !
Pour le président du Loiret, les opposants sont injustes quand ils parlent d’un projet imposé. « La déviation n’est pas une lubie du département, puisque c’est la commune de Jargeau qui l’a réclamée. Les gens veulent vivre à la campagne et des lotissements ont été construits un peu partout.
Pourtant, lors de l’enquête publique de 2016, « 2.200 personnes ont laissé un avis, plus que pour le projet de seconde ligne de tram d’Orléans. Et 1.600 de ces avis étaient défavorables », indique Jean-Marie Salomon. Depuis sa création, son association Mardiéval multiplie les recours juridiques pour bloquer le chantier.
L’association ne déserte pas le terrain de la communication : « Nous informons la population via notre infolettre Le Castor énervé, notre blog Loire et biodiversité et les forums de la Balbucam.
Ce petit groupe d’une quinzaine de personnes a mis sur pied une réunion publique au village de Bou et le Village de la Loire, qui a accueilli un millier de visiteurs du 11 au 18 août pour une semaine de débats, d’ateliers et de fêtes près du bois de Latingy.