Agent orange : Moment
d’émotion avec Tran To Nga

Premier évé­ne­ment public de l’Association d’Amitié fran­co-viet­na­mienne d’Eure-&-Loir depuis sa récente consti­tu­tion, la pro­jec­tion, aux Enfants du Paradis, du docu­men­taire Agent orange, une bombe à retar­de­ment, a été sui­vie par un public d’une qua­ran­taine de par­ti­ci­pants très attentifs.

Agent Orange Épandage sur le Vietnam [WikimediaCommons, USAF]Le film com­po­sé d’images d’archives montre, notam­ment, l’épandage aérien du défo­liant à la dioxine, appe­lé agent orange (1), durant la guerre du Vietnam. Des inter­ve­nants y expliquent le contexte inter­na­tio­nal et la demande de livrai­son de ce pro­duit toxique par le gou­ver­ne­ment et l’armée amé­ri­caine à des firmes chi­miques comme Monsanto, dans le cadre de sa stra­té­gie  de contre-insur­rec­tion. Le film montre aus­si les consé­quences de ce pro­duit sur l’écosystème et sur les humains, les mal­for­ma­tions per­du­rant, aujourd’hui encore, chez les des­cen­dants des per­sonnes expo­sées à l’agent orange.

Ma mère a été empri­son­née dans les cages à tigres”

À l’issue de la pro­jec­tion, le pré­sident de l’association dépar­te­men­tale, Gilbert Tenèze, donne la parole à la salle et la réa­li­sa­trice, Thuy Tien-ho, en réponse à une ques­tion, pré­cise que la volon­té des Américains était « de détruire la végé­ta­tion sous laquelle les résis­tants se cachaient et d’affamer la popu­la­tion » car « les avions pas­saient, le len­de­main, il n’y avait plus une feuille d’arbre. » Elle explique que la guerre de libé­ra­tion du peuple viet­na­mien a duré trente ans, de l’appel de Ho-Chi-Min en 1945 contre le colo­ni­sa­teur fran­çais au départ des Américains en 1975. Au départ, elle pen­sait faire un docu­men­taire sur cette longue résis­tance mais, sur place, elle découvre les innom­brables vic­times de l’agent orange et cela en devient le sujet. Son amie Tran To Nga, 80 ans, auteure de Ma terre empoi­son­née, parle d’abord de sa mère  « cap­tu­rée, empri­son­née dans les cages à tigre du bagne de Poulo Condor, tor­tu­rée [par les Français]…  ense­ve­lie vivante par les Américains. »  Elle-même, après avoir été  agent de liai­son à 8 ans du temps de la guerre fran­çaise, s’est enga­gée à 22 ans et a été envoyée par le FNL (Front National de Libération) dans le Sud pour enseigner.

Une sorte de liquide me trem­pait et tout de suite j’étouffais”

« La pre­mière fois que j’ai reçu ce poi­son [l’agent orange], c’était fin 66, j’ai vu des avions avec der­rière un nuage blanc, très rapi­de­ment une sorte de liquide me trem­pait et tout de suite j’étouffais, je tous­sais, ma mère m’a deman­dé d’aller me laver … mais, après, l’incident est oublié. Je ne pou­vais pas m’imaginer qu’à par­tir de ce moment-là j’étais deve­nue vic­time de ce pro­duit chimique. »

“J’ai été tor­tu­rée toute la nuit”

« Après, quand je suis reve­nue à l’agence de presse où je tra­vaillais, j’ai mis au monde ma pre­mière enfant, avec une mal­for­ma­tion car­diaque, qui n’a pas sur­vé­cu. Ma deuxième fille est née aus­si avec des mal­for­ma­tions et ma troi­sième je l’ai accou­chée en pri­son. Dès le pre­mier soir où ils m’ont cap­tu­rée, j’ai été tor­tu­rée toute la nuit. »

Après sa libé­ra­tion en 1975, elle dirige les écoles de Ho-Chi-Min-Ville (ex Saïgon). Une fois retrai­tée, elle s’engage dans des acti­vi­tés huma­ni­taires. C’est à cette occa­sion qu’elle visite une ville où il y a beau­coup de vic­times de la dioxine. « Je suis res­tée vingt jours, et durant ces vingt jours les larmes ne ces­saient pas de cou­ler. J’ai ren­con­tré des souf­frances, des misères et le cou­rage contre les souffrances. »

Elle assigne 36 firmes amé­ri­caines ayant pro­duit l’agent orange en justice

Agent Orange Tran To Nga à Chartres

Tran To Nga dédi­ca­çant livre et film après le débat

Revenue en France et dis­po­sant de la natio­na­li­té fran­çaise, après des hési­ta­tions, elle décide de dépo­ser plainte avec son avo­cat Me Bourdon et ses deux jeunes asso­ciés, devant la jus­tice fran­çaise qui le per­met, contre les mul­ti­na­tio­nales amé­ri­caines qui ont fabri­qué les pro­duits chi­miques pul­vé­ri­sés sur le Vietnam. Mais c’est seule­ment en 2015, qu’elle peut assi­gner 36 firmes amé­ri­caines. « On a besoin d’argent, pour la tra­duc­tion de fran­çais en anglais par tra­duc­teurs asser­men­tés. Rien que pour l’assignation, on devait payer 36 000 €. » La pre­mière audience a débu­té en avril 2016. Les trois avo­cats de Tran To Nga  se retrouvent face à trente-huit avo­cats des firmes qui, à chaque audience créent des inci­dents pour retar­der la pro­cé­dure. Le 16 décembre pro­chain le juge devrait fixer les dates de plai­doi­ries pour 2020. « Les firmes ne nous font aucun cadeau. C’est très dur, c’est très atroce, c’est très méchant », conclut-elle.

Nous enga­geons donc nos lec­teurs à suivre ce pro­cès, à sou­te­nir Tran To Nga, et notam­ment finan­ciè­re­ment. L’argent de la vente de la cas­sette du film va inté­gra­le­ment à ce com­bat et éga­le­ment 5 € sur le prix du livre.

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  1. Il doit son nom aux bandes de cou­leur orange peintes sur les fûts dans les­quels il était sto­cké par les mili­taires américains.