Coronavirus : « La situation semble totalement sous-estimée »

Retrouvez cet article (sous le titre : Covid-19: “Le Grand Est dans une situa­tion dra­ma­tique, le pic atten­du dans une à deux semaines”), ain­si que d’autres articles sur le coro­na­vi­rus sur le site mediapart.fr

 

«Reste chez toi » : le mes­sage du Collectif inter-hôpi­taux (CIH) à la popu­la­tion est net, à l’impératif. « Il faut tous nous pré­pa­rer à une véri­table catas­trophe sani­taire », a pré­ve­nu, lun­di 16 mars, ce col­lec­tif de soi­gnants de toute la France, créé à l’automne pour défendre l’hôpital public. À l’origine espace de mobi­li­sa­tion des soi­gnants, le CIH est deve­nu un lieu d’échanges d’informations médi­cales sur le Covid-19.

Reste chez toi

Les nou­velles sont dra­ma­tiques, en par­ti­cu­lier de la région Grand Est. Dans la nuit du same­di 14 au dimanche 15 mars, les chefs de ser­vice des urgences de Colmar et de Mulhouse ont échan­gé des mails avec leurs col­lègues membres du syn­di­cat Samu-Urgences de France. Marc Noizet, de Mulhouse, les met en garde : dans le reste de la France, « la situa­tion semble tota­le­ment sous-estimée ».

Mulhouse : “L’hôpital est qua­si à bout de moyens”

L’hôpital de Mulhouse est en « plan blanc » depuis le 7 mars. Toutes les acti­vi­tés médi­cales et chi­rur­gi­cales non urgentes ont été dépro­gram­mées. Face à la vague épi­dé­mique, cela n’a pas suf­fi : « L’établissement est qua­si à bout des moyens qu’il peut déployer », constate le chef de ser­vice. Car le Covid-19 n’a ces­sé de gagner du ter­rain : 25 patients en réani­ma­tion, 125 lits dédiés aux malades moins graves. Les moyens manquent déjà pour les futurs malades. « Les lits de réani­ma­tion de la région sont satu­rés, et impos­sible de trou­ver des res­pi­ra­teurs pour ouvrir de nou­veaux postes. »

En Alsace, les per­sonnes âgées sont désor­mais lar­ge­ment tou­chées, pour­suit le chef de ser­vice : « La mor­ta­li­té dans les sec­teurs de géria­trie est majeure, et les cas symp­to­ma­tiques dans les Ehpad très nom­breux, occa­sion­nant des dif­fi­cul­tés, des choix en régu­la­tion. » Il explique avoir d’ores et déjà orga­ni­sé la réunion d’« un col­lège de spé­cia­listes », pour fixer « les cri­tères (notam­ment d’âge) de limi­ta­tion d’accès à la réani­ma­tion ». Le pré­sident du Samu-Urgences de France, François Braun, des­ti­na­taire de ces mails, essaie de ras­su­rer : « En temps nor­mal, on décide chaque jour de ne pas admettre un patient en réani­ma­tion. Mais quand on pre­nait cette déci­sion 1 fois par jour, on la prend 10 fois », assure-t-il. Il est cepen­dant clair : « On ne réanime pas une per­sonne âgée très dépen­dante, elle ne le sup­por­te­rait pas. »

Il y a donc des morts : à Mulhouse, « en 24 heures, nous avons une ving­taine de décès Covid + au sein de l’établissement », indique dans son mail l’urgentiste. Et « les équipes com­mencent à s’épuiser, avec un absen­téisme qui gran­dit lié à des cas posi­tifs, même si la soli­da­ri­té est impor­tante ». À Mulhouse et Colmar, des soi­gnants sont tou­chés par le Covid-19, « y com­pris en réani­ma­tion », admet François Braun, le pré­sident du Samu-Urgences de France.

Nous sommes dépas­sés par les événements”

Au Samu de Mulhouse, le Covid repré­sente désor­mais plus de la moi­tié des appels. Ce gra­phique trans­mis par le chef de ser­vice montre aus­si la très forte pro­gres­sion du nombre d’appels aux­quels font face les urgentistes.

Appels Urgences Colmar [Graphique]

Dans l’échange de mails, son confrère de Colmar, Yannick Gottwalles, ne peut que « ren­for­cer ces pro­pos que je trouve encore trop peu alar­mistes, bien que déjà déses­pé­rants ». Colmar a « 2 à 3 jours de retard » par rap­port à Mulhouse. Mais cela n’a pas suf­fi à l’hôpital pour se pré­pa­rer : « Nous sommes dépas­sés par les évé­ne­ments », écrit le chef de ser­vice des urgences. « Toutes les déci­sions prises et les amé­na­ge­ments sont obso­lètes et dépas­sés dans les 12 heures qui suivent, et pour­tant nous étions très pré­voyants. En per­ma­nence, il manque 25 à 30 lits de plus de ce qui est fai­sable à un temps T, pour prendre en charge les patients non pas dans des condi­tions cor­rectes, mais sim­ple­ment dégra­dées. » Et cette dégra­da­tion va être « crois­sante, voire expo­nen­tielle pour les 15 jours à venir ».

À Colmar, le maté­riel manque : « Moins de 5 jours de stock en SHA (solu­tion hydro-alcoo­lique), moins de 3 jours de stock en masques FFP2, moins de 4 jours de stock en masque chi­rur­gi­cal, plus de stock en sur-blouse, très peu de stock en lunettes… Et des pers­pec­tives de réap­pro­vi­sion­ne­ment dans 6 à 8 semaines !!!!! » Le pré­sident de la République vient cepen­dant d’annoncer que les régions les plus tou­chées seraient réap­pro­vi­sion­nées très vite.

Il va fal­loir faire des choix sur nos cri­tères d’admission”

« Il va fal­loir faire des choix sur nos cri­tères d’ad­mis­sion, pré­vient à son tour le chef de ser­vice des urgences de Colmar, non seule­ment en réani­ma­tion, mais tout sim­ple­ment dans une struc­ture hos­pi­ta­lière. Tous nos décès de ce jour sont COVID +. » Le doc­teur Gottwalles conclut ain­si son mes­sage : « Préparez-vous, ain­si que vos per­son­nels, à cette vague majeure. Il y avait un avant Covid-19, il y aura un après Covid-19 avec de très lourdes cica­trices. » François Braun, avant le pré­sident de la République, décrit « un état de guerre ». Il estime que l’Île-de-France et les Hauts-de-France sont elles aus­si en « zone rouge ».

Partout en France, la vie quo­ti­dienne a radi­ca­le­ment chan­gé. Emmanuel Macron a annon­cé, lun­di 16 mars, le confi­ne­ment de la popu­la­tion : les dépla­ce­ments doivent être réduits au strict mini­mum, « faire ses courses, se soi­gner, les tra­jets néces­saires pour aller tra­vailler lorsque le tra­vail à dis­tance n’est plus pos­sible, et les tra­jets néces­saires pour faire un peu d’activité physique ».

Seulement, ces mesures dras­tiques ne don­ne­ront leurs effets que dans « une à deux semaines », indique Antoine Flahault, direc­teur de l’Institut de san­té glo­bale de l’Université de Genève. Les per­sonnes infec­tées par le coro­na­vi­rus, bien plus nom­breuses que les 6 633 cas annon­cés ce lun­di 16 mars, ne mani­fes­te­ront, peut-être, les pre­miers symp­tômes, légers, que dans 5 à 6 jours. Et les cas sévères ou cri­tiques, envi­ron 20 %, n’arriveront aux urgences que quelques jours plus tard.

Selon Le Monde, le col­lège scien­ti­fique ins­tal­lé par le pré­sident de la République pour éclai­rer les déci­sions du gou­ver­ne­ment, a reçu des modé­li­sa­tions de l’impact de l’épidémie. La plus alar­miste, réa­li­sée par Neil Ferguson, de l’Imperial College à Londres, fait état de 300 000 à 500 000 morts en France, en l’absence de toute mesure d’endiguement.

L’Europe tout entière est en train de rat­tra­per au galop la Chine 

Covid-19 France évvolution [Graphique]« C’est une pro­jec­tion très far­fe­lue éma­nant d’une grande équipe qui ne veut pas tirer les leçons de nos erreurs pas­sées, veut ras­su­rer Antoine Flahault. On ne devrait pas faire de telles pré­vi­sions, on en est inca­pables. » Le bio­ma­thé­ma­ti­cien ne veut pas tirer les courbes plus loin que les 8 pro­chains jours. Il nous a confié ses pro­jec­tions, à par­tir des chiffres du jour. Il regarde la pro­gres­sion sur les der­nières 48 heures, et applique pour les jours sui­vants le même « taux mul­ti­pli­ca­tif ». Ses chiffres sont déjà très inquiétants.

 

À ce rythme, l’Europe tout entière est en train de rat­tra­per au galop la Chine : elle compte 54 425 cas confir­més et 2 337 décès, alors que la plu­part des pays viennent tout juste de prendre des mesures de confi­ne­ment. L’Organisation mon­diale de la san­té consta­tait ven­dre­di que « l’Europe était deve­nue l’épicentre de l’épidémie ».

 

[Les inter­titres sont de la rédac­tion d’ensemble28.forum28.net]