La sucrerie de Toury menacée
Daddy pas cool

La sucrerie a été créée en 1874

La sucre­rie a été créée en 1874

Le 17 avril der­nier, les sala­riés de la sucre­rie coopé­ra­tive (de bet­te­ra­viers) Cristal Union de Toury ont appris, lors du comi­té cen­tral d’entreprise, le pro­jet de fer­me­ture de leur usine. Pourtant, un an et demi plus tôt, à la mi-sep­tembre 2017, suite à un mou­ve­ment de grève sur le site beau­ce­ron, la direc­tion com­mu­ni­quait : « La stra­té­gie du groupe s’inscrit dans la durée. Elle com­bine un sens aigu de l’économie res­pon­sable, un ancrage local de l’outil indus­triel et une poli­tique de recherche et déve­lop­pe­ment active » (1)

Le Graal de l’ex­por­ta­tion a miroité

Alors, incom­pé­tence, enfu­mage ou cynisme ? Peut-être les trois à la fois ! Nous sommes alors à la veille de la sup­pres­sion des quo­tas de pro­duc­tion à l’exportation sur le sucre, le 1er octobre 2017. Ces quo­tas PAC, mis en place par la CEE (ancêtre de l’Union euro­péenne) en 1968, visaient, accom­pa­gnés de sou­tiens aux prix, à assu­rer l’autosuffisance de l’Europe. Depuis, beau­coup d’eau libé­rale a cou­lé sous les ponts, et comme pour le lait, Bruxelles, avec l’accord des gou­ver­ne­ments euro­péens, a vou­lu la libé­ra­li­sa­tion totale du mar­ché du sucre, fai­sant miroi­ter les débou­chés à l’exportation. « Ces der­nières années la PAC a été plus axée sur l’a­li­gne­ment des pro­duits euro­péens au mar­ché mon­dial » affirme benoî­te­ment un pros­pec­tus de la Commission euro­péenne. “Les groupes sucriers se sont tous lan­cés dans une opé­ra­tion de séduc­tion pour convaincre les agri­cul­teurs de lais­ser tom­ber une par­tie de leur pro­duc­tion de céréales” décla­rait Eric Lainé, pré­sident de la Confédération géné­rale des plan­teurs de bet­te­raves (CGB), au site lexpansion.lexpress.fr (27–09-2017).

Betteraves en tasLa pro­duc­tion de bet­te­raves et de sucre monte de 20 % en un an

Cette fré­né­sie s’est dérou­lée dans un cli­mat de concur­rence exa­cer­bée entre les dif­fé­rents groupes sucriers à l’échelle natio­nale (la France est le pre­mier pro­duc­teur du conti­nent) et euro­péenne : Tereos, groupe coopé­ra­tif, pro­prié­taire des marques Beghin-Say et la Perruche, Cristal Union (marque Daddy) et Saint Louis Sucre, filiale du groupe alle­mand Südzucker. “Pour tous ces indus­triels, il s’a­git de pro­duire au maxi­mum, de satu­rer les usines, ce qui per­met de dimi­nuer les frais fixes par tonne de sucre extraite et d’a­bais­ser les coûts de pro­duc­tion”, explique François Thaury, spé­cia­liste de la filière sucre chez Agritel dans le même article de lexpansion.l’express.fr. Cristal Union affirme alors pou­voir aug­men­ter sa pro­duc­tion de 20% et confirme cet objec­tif, pour la sucre­rie de Toury, le 27 décembre 2017, lors de la venue de la pré­fète Sophie Brocas. (2)

La loi d’airain du marché

Betteraves à sucre [gros plan]Une sai­son plus tard, Cristal Union, mais aus­si les autres groupes euro­péens qui ferment eux-aus­si des sites, n’ont pu s’imposer face à la concur­rence mon­diale des groupes bré­si­liens ou thaï­lan­dais qui pro­dui­raient 20 à 30 % moins cher… Et en plus, l’augmentation de la pro­duc­tion euro­péenne de sucre a contri­bué à la sur­pro­duc­tion mon­diale et à la chute des cours… “On ver­ra qui a les reins les plus solides” fan­fa­ron­nait Alain Commissaire, direc­teur géné­ral de Cristal Union lors de la sup­pres­sion des quo­tas… aujourd’hui, sa coopé­ra­tive casse ses usines de Toury et du Bourdon (63)… et les tra­vailleurs qui les fai­saient tourner.

 Des élus “en colère” font mine de décou­vrir les ravages du capitalisme

Daddy - sucre, "Pink invasion" - janvier 2012

Publicité de 2012

Le syn­di­cat CGT de la sucre­rie de Toury a enga­gé la résis­tance avec une pre­mière assem­blée géné­rale des sala­riés le 18 avril et son secré­taire, Frédéric Rebyffé, constate que « le groupe n’a réa­li­sé aucun inves­tis­se­ment majeur sur le site depuis 2012 » (3) et qu’il argue main­te­nant qu’il « est vétuste et qu’il fau­drait inves­tir des mil­lions pour le remettre aux normes ». Les élus locaux vont dans le même sens : Delphine Breton (UDI), vice-pré­si­dente du Conseil dépar­te­men­tal, rap­pelle que « le Département a finan­cé 70% des tra­vaux de ren­for­ce­ment et de pro­lon­ga­tion du che­min rural de Luteau… pour faci­li­ter l’accès à la sucre­rie …inau­gu­ré en 2016 en pré­sence des res­pon­sables de la sucre­rie… ». (4) Enfin lucide sur les pra­tiques cou­rantes des indus­triels, elle se demande « si la fer­me­ture n’était pas cal­cu­lée, et, si c’est le cas, je serai encore plus en colère. » Jean-Louis Baudron, pré­sident de la ComCom, lui n’est « pas content… J’avais enten­du des rumeurs… On m’a dit que le site de Toury n’était pas concer­né… ». Le dépu­té Philippe Vigier (Liberté et Territoires) semble lui aus­si né de la der­nière pluie : « Les diri­geants nous ont men­ti. Il nous ont dit ‘’tout va bien’’… » (5).

Pour les ouvriers, et les agri­cul­teurs, ce n’est pas “le rose qui revient au galop” (voir la publi­ci­té Daddy Sucres) mais le noir qu’ils com­mencent à broyer.

 

 

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  1. L’Écho répu­bli­cain du 15-09-2017 p. 21.
  2. L’Écho répu­bli­cain du 28-12-2017 p. 17.
  3. L’Écho répu­bli­cain du 19-04-2019 p. 17.
  4. L’Écho répu­bli­cain du 25-04-2019 p. 18.
  5. L’Écho répu­bli­cain du 30-04-2019 p. 26.
  6. L’Écho répu­bli­cain du 30-04-2019 p. 26.