Monique Pinçon-Charlot à Chartres :
Il ne faut rien attendre de ces gens-là !

Le-president-des-ultra-riches [couv]Monique Pinçon-Charlot, auteur avec son conjoint Michel, de « Le Président des ultra-riches » était l’invitée d’Olivier Lhostis, le libraire de l’Esperluète à Chartres, le 10 mai. La salle du pre­mier étage était comble pour entendre la socio­logue à la biblio­gra­phie four­nie sur le monde des pri­vi­lé­giés. Sa sim­pli­ci­té, son lan­gage acces­sible et son humour ont vite conquis le public.

Une fis­ca­li­té au ser­vice des ultra-riches

Après une séance de dédi­cace pour laquelle il a man­qué des livres, la pre­mière par­tie de l’échange, en réponse aux ques­tions du libraire, a por­té sur la poli­tique fis­cale du pré­sident de la République : « De Nicolas Sarkozy et son bou­clier fis­cal à 1 mil­liard d’euros aux dizaines de mil­liards d’euros d’Emmanuel Macron, on est pas­sé à une dimen­sion de pillage des deniers de l’État tota­le­ment dingue et tota­le­ment ultra… Et ces sommes sont accor­dées sans aucune condi­tion : 4 mil­liards annuels de l’ISF en moins dans les recettes de l’État ! »

Monique Pinçon-Charlot en dédicace

Mais, en réfé­rence à la reven­di­ca­tion des Gilets Jaunes (‘’Rends l’ISF’’), Monique Pinçon-Charlot inter­roge : « Pourquoi, Bon Dieu, on se bloque uni­que­ment sur l’ISF ? Ça a une valeur sym­bo­lique énorme, mais pour­quoi on ne parle pas de la flat tax qui est le vrai scan­dale d’Emmanuel Macron. La sup­pres­sion de l’ISF concerne le stock des valeurs mobi­lières, c’est à dire des valeurs finan­cières, des plus riches. Chez les 100 plus riches, ce stock atteint 97% de leur patri­moine. Cet argent pro­voque énor­mé­ment de reve­nus mobi­liers (divi­dendes) qui se chiffrent en mil­lions, en mil­liards d’euros. C’est la pre­mière fois sous la Constitution de 1958 (1) que les reve­nus du capi­tal sont impo­sés de manière for­fai­taire (flat tax), que la pro­gres­si­vi­té de l’impôt est sup­pri­mée. Bernard Arnault est donc impo­sé sur les reve­nus du capi­tal à 12,8% (aupa­ra­vant son impo­si­tion était à 45%). C’est une révo­lu­tion conser­va­trice néo­li­bé­rale sans pré­cé­dent. 6 mil­liards, voire 10 mil­liards, d’euros vont ain­si man­quer dans les caisses de l’État. À quoi s’joutent 6 autres mil­liards de la niche fis­cale du cré­dit impôt recherche… qui sert en fait à payer les action­naires. On a aus­si les 20 mil­liards annuels du CICE, sans aucun contrôle sur les résul­tats en matière d’emplois ou de rému­né­ra­tion des salariés. »

Pas de neu­tra­li­té axiologique !

Olivier Lhostis se fait l’avocat du diable en relayant l’accusation de non neu­tra­li­té des Pinçon-Charlot. L’invitée pré­cise « Nous avons tou­jours contes­té la notion de neu­tra­li­té axio­lo­gique (2) qu’on enseigne en socio­lo­gie. Comment vou­lez-vous être citoyens quand on se réveille, qu’on prend son petit déjeu­ner, qu’on lit la presse et deve­nir socio­logues quand on arrive au tra­vail au CNRS ?… On nous reproche d’être des mili­tants ‘’com­mu­nistes, enga­gés, par­ti­sans’’ mais vous vous retrou­vez à la télé­vi­sion, sur le sujet Macron, face à deux jour­na­listes néo­li­bé­raux (Nicolas Domenach et Maurice Szafran) qui ne se reven­diquent pas comme mili­tants ! Pour eux, le libé­ra­lisme c’est la Nature… »

Nous avons la force du nombre

Ensuite la dis­cus­sion bas­cule sur le ter­rain pro­pre­ment poli­tique. Une audi­trice pose la ques­tion : « Que fait-on contre la vio­lence du pou­voir ? » Réponse : « Il ne faut rien attendre de ces gens-là. C’est une guerre qui ne dit pas son nom, une guerre de classe que  les plus riches mènent contre les pauvres. C’est pour ça qu’ils ins­tru­men­ta­lisent et accé­lèrent le dérè­gle­ment cli­ma­tique pour que ce soit un cata­clysme néo­li­bé­ral qui balaie la par­tie la plus pauvre de l’humanité. La vio­lence de Gilets Jaunes, notam­ment contre les sym­boles du pou­voir, ça leur flanque la trouille. Mais ils ne sont rien, même pas 1% de la popu­la­tion. Nous, les 99%, nous avons la force du nombre, nous sommes les seuls à faire fonc­tion­ner le monde  de l’économie réelle. Alors, on appelle à quoi ? À la grève géné­rale, arrê­tons la pro­duc­tion… à des actes de déso­béis­sance civile, on bloque… »

Monique Pinçon-Charlot et Olivier Lhostis

Une autre par­ti­ci­pante demande si, en Occident, nous ne sommes pas des pri­vi­lé­giés. La socio­logue pointe le pillage de l’Afrique et pour­suit : « Avec le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, il va fal­loir faire notre deuil de la civi­li­sa­tion indus­trielle, retrou­ver ce qui est essen­tiel l’humanité, la soli­da­ri­té, l’amour, la poésie. »

Tous ensemble, dans le res­pect mutuel

En guise de conclu­sion, à une ques­tion d’un Gilet Jaune se décla­rant soli­daire de la base des syn­di­cats mais vou­lant déga­ger le som­met de la pyra­mide, Monique Pinçon-Charlot répond que le terme syn­di­cat recouvre des réa­li­tés dif­fé­rentes : « La CFDT est un syn­di­cat qui est en phase avec le néo­li­bé­ra­lisme. Pour moi, rien ne doit s’opposer, c’est tous ensemble dans le res­pect mutuel… si on n’est pas capables de faire ça, on va cre­ver tous ensemble. Les couches popu­laires et les couches moyennes doivent être unies. Les alliances doivent se faire de façon hété­ro­gène. Notre inté­rêt, c’est de ne sur­tout pas nous oppo­ser les uns les autres. » Elle jus­ti­fie cette alliance par l’urgence : « Il y a le feu. Ce n’est même plus le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, c’est le dérè­gle­ment cli­ma­tique. » À bon enten­deur, salut !

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  1. La Constitution de la Vème République rap­pelle dans son pré­am­bule que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reste en vigueur. Celle-ci affirme dans son article 13 qu’une contri­bu­tion com­mune est indis­pen­sable : elle doit être éga­le­ment répar­tie entre tous les citoyens, en rai­son de leurs facultés.
  2. Posture métho­do­lo­gique pro­po­sée par le socio­logue alle­mand Max Weber (1860–1920) et sou­vent inter­pré­tée en France, mais inter­pré­ta­tion aus­si contes­tée, comme inter­di­sant au cher­cheur une opi­nion per­son­nelle quant à l’ob­jet qu’il étudie.