Coro­na­vi­rus :
Les enjeux de la crise

Jamais, depuis 1945, le monde n’avait connu une situa­tion aus­si chao­tique et instable dans un enche­vê­tre­ment de crises aus­si diverses que majeures : cli­mat et envi­ron­ne­ment, migra­tions, guerres et ten­sions géo­po­li­tiques, mon­tée des auto­ri­ta­rismes, ralen­tis­se­ment du com­merce mon­dial, sou­lè­ve­ments popu­laires sur tous les conti­nents, endet­te­ments et mar­chés finan­ciers hors contrôle, et enfin la crise sani­taire du coronavirus… 
Si ces crises sont inter­dé­pen­dantes – com­ment pen­ser les ques­tions migra­toires sans pen­ser au cli­mat, aux conflits et aux guerres – il nous faut choi­sir un angle et, aujourd’hui, l’épidémie du coro­na­vi­rus est un bon indi­ca­teur des fra­gi­li­tés de la situa­tion inter­na­tio­nale et des ten­dances poten­tielles qu’elle révèle.

 

Du grec « Krisis », la crise, en fran­çais, est avant tout une rup­ture, une dis­con­ti­nui­té qui peut ouvrir sur de nou­velles oppor­tu­ni­tés. L’épidémie actuelle répond par­fai­te­ment à cette défi­ni­tion et elle porte en elle les germes des pires et des plus sou­hai­tables évo­lu­tions possibles.

Les gou­ver­ne­ments tentent d’utiliser le coro­na­vi­rus pour reprendre la main sur les opinions

Gel hydroalcooliqueLa situa­tion chi­noise nous montre à quel point une situa­tion d’urgence peut être uti­li­sée pour accen­tuer le contrôle de la popu­la­tion. Des mil­liers d’internautes chi­nois ont ain­si été exclus des réseaux sociaux pour « pro­pa­ga­tion de fausses nou­velles » et toute la popu­la­tion est aujourd’hui tra­cée par des appli­ca­tions sur mobile qui par­tagent avec la police, les socié­tés de trans­port et même les centres com­mer­ciaux, l’état de votre risque sani­taire et le détail de vos der­niers dépla­ce­ments. En Europe nous n’en sommes pas là, mais, sans par­ler des nom­breuses atteintes aux liber­tés fon­da­men­tales dues aux obli­ga­tions de confi­ne­ment, il est clair que les gou­ver­ne­ments en place tentent d’utiliser la foca­li­sa­tion des médias et du public sur et le contrôle du calen­drier. Mais si ces mesures coer­ci­tives sont accep­tées par les popu­la­tions pen­dant le pic de l’épidémie, il est fort pro­bable qu’un mécon­ten­te­ment popu­laire s’exprimera for­te­ment une fois celle-ci pas­sée. En Chine, les très nom­breux mes­sages de sou­tien au doc­teur Li Wenliang, le pre­mier lan­ceur d’alerte à Wuhan, ou les cris de colère face à la vice-pre­mière ministre chi­noise Sun Chunlan en visite dans la ville en témoignent !

Les points faibles de la mon­dia­li­sa­tion libérale

Par son ampleur, et parce qu’elle a d’abord tou­ché la Chine, cette épi­dé­mie per­met de mettre le doigt sur les points faibles de la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale. Des sec­teurs stra­té­giques, comme l’industrie phar­ma­ceu­tique, délo­ca­lisent depuis des années des pans entiers de leur appa­reil pro­duc­tif. Aujourd’hui, en pleine crise sani­taire l’Union euro­péenne (UE) réa­lise que des médi­ca­ments de base sont en passe de man­quer à cause de la para­ly­sie de l’industrie chi­noise. L’industrie du numé­rique est éga­le­ment tou­chée de plein fouet. Mais les dégâts ne se limitent pas à ces sec­teurs. Les grandes entre­prises du sec­teur de l’automobile, de l’aéronautique ou de la robo­tique ont déve­lop­pé des chaînes de pro­duc­tion qui s’étendent sur toute la pla­nète et qui peuvent se grip­per au moindre pro­blème. Le Brexit avait déjà posé une alerte, obli­geant plu­sieurs grands groupes à revoir leurs poli­tiques d’implantation d’usines, et le coro­na­vi­rus pour­rait repré­sen­ter la crise de trop pour de nom­breuses multinationales.

Le tou­risme et la finance dans la tourmente

Avion TourismeMais la mon­dia­li­sa­tion ne concerne pas que l’industrie et de nom­breux sec­teurs vont être dura­ble­ment impac­tés par cette épi­dé­mie. Le tou­risme, en plein boom, en est un des pre­miers. Il repré­sente aujourd’hui 10% du PIB et 10% de l’emploi au niveau mon­dial, en se concen­trant sur un nombre limi­té de lieux et de pres­ta­tions. En France, le pre­mier site visi­té est Disneyland Paris, bien devant la tour Eiffel ou le Louvre, et au niveau mon­dial le sec­teur des croi­sières connaît une forte crois­sance, avec des paque­bots tou­jours plus grands, mais aus­si pre­miers témoins de la mala­die. Dernier élé­ment, et non des moindres, la mon­dia­li­sa­tion finan­cière qui montre éga­le­ment sa fra­gi­li­té. Les bourses du monde entier ont com­men­cé à chu­ter dès le mois de février, puis ont plon­gé le 9 mars à la suite de la très forte baisse des cours du pétrole. Si, à l’heure où ce texte a été écrit il n’est pas pos­sible de pré­voir l’ampleur des évé­ne­ments à venir, le coro­na­vi­rus pour­rait être le déclen­cheur d’une crise éco­no­mique et finan­cière de grande ampleur par la conjonc­tion, sans pareil, d’éléments de très forte fragilité.

L’épidémie per­met aus­si de mettre en avant ce que pour­raient être les alter­na­tives au libéralisme

Paris VéloL’épidémie montre les points faibles de la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale, mais per­met aus­si de mettre en avant ce que pour­raient en être les alter­na­tives. L’histoire regorge de moments où des évé­ne­ments impré­vus, des guerres, des chocs poli­tiques ou des mou­ve­ments sociaux ont accé­lé­ré des pro­ces­sus en cours ou per­mis des bas­cules impré­vi­sibles. Tout récem­ment la grève des trans­ports en Île-de-France a per­mis à des dizaines de mil­liers de per­sonnes de décou­vrir les usages du vélo en ville, et les der­niers chiffres montrent que ce mou­ve­ment per­dure. Sans com­mune mesure, la Seconde Guerre mon­diale et les années qui l’ont sui­vie ont jeté les bases de ce l’on a appe­lé l’État pro­vi­dence. Aux États-Unis, l’impôt pro­gres­sif mis en place pen­dant le New Deal par l’administration Roosevelt s’est dur­ci avec un taux maxi­mal de 80 à 90%, en place jusque dans les années 1980. En France, le sys­tème de retraite pré­cé­dem­ment basé sur des fonds de capi­ta­li­sa­tion s’est effon­dré pen­dant la guerre. C’est ain­si que le sys­tème de retraite par répar­ti­tion a été mis en place à la libération.

Un début de mou­ve­ment de relocalisation

Plus géné­ra­le­ment, dans tous les pays déve­lop­pés, un taux éle­vé de pré­lè­ve­ment obli­ga­toire néces­saire à la recons­truc­tion a été péren­ni­sé pour mettre en place des sys­tèmes de redis­tri­bu­tion et de cou­ver­ture sociale. Un choc pla­né­taire comme l’épidémie de coro­na­vi­rus pour­rait ini­tier ou accé­lé­rer des trans­for­ma­tions néces­saires. La pénu­rie de médi­ca­ments a ame­né les ins­ti­tu­tions euro­péennes, ces der­nières semaines, à réflé­chir à une relo­ca­li­sa­tion de cer­taines chaînes de pro­duc­tion pour assu­rer une sécu­ri­té sani­taire sur le conti­nent. Cette ini­tia­tive pour­rait être élar­gie à d’autres sec­teurs, la pro­duc­tion agroa­li­men­taire, par exemple, pour répondre à la reven­di­ca­tion his­to­rique de « sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire » défen­due par les pay­sans de la Confédération pay­sanne et de la Via Campesina. Au niveau indus­triel, la baisse des prix de machines à com­mandes numé­riques a per­mis un timide mou­ve­ment de relo­ca­li­sa­tion de cer­taines pro­duc­tions. Les chaînes mon­diales mises en place par les mul­ti­na­tio­nales pour leurs pro­duc­tions indus­trielles viennent de révé­ler leur fra­gi­li­té, il serait temps de don­ner la prio­ri­té à une relo­ca­li­sa­tion qui béné­fi­cie­rait à l’emploi comme à l’environnement.

Les germes des pires et des plus sou­hai­tables évolutions

Le Pouah des mots [Fred Sochard]

Le pouah ! des mots

La crise du coro­na­vi­rus a éga­le­ment mon­tré qu’en cas de néces­si­té, des mesures « radi­cales » pou­vaient être mises en place. C’est le cas de la fixa­tion des prix ou la réqui­si­tion pour des pro­duits qui connais­saient des phé­no­mènes spé­cu­la­tifs, comme le gel hydro­al­coo­lique ou les masques de pro­tec­tion. Il est déjà évident que l’UE — devant la crise éco­no­mique qui s’annonce — va exo­né­rer les pays membres des obli­ga­tions bud­gé­taires fixées par le trai­té de Maastricht. Ce qui est pos­sible, et juste, face aux consé­quences de l’épidémie devrait être mis en place de la même manière pour d’autres ques­tions toutes aus­si impor­tantes, comme la crois­sance des inéga­li­tés, le trai­te­ment inhu­main des migrants, la crise cli­ma­tique ou l’effondrement de la bio­di­ver­si­té. La NASA a dif­fu­sé des images de la Chine avant et pen­dant l’épidémie, qui montrent une qua­si-dis­pa­ri­tion de la pol­lu­tion en quelques jours. Il ne s’agit évi­dem­ment pas de confi­ner sur le long terme toutes les popu­la­tions, mais ces images montrent la réver­si­bi­li­té de phé­no­mènes si des mesures fortes sont prises.

La crise sani­taire mon­diale nous indique des alter­na­tives poten­tielles. Mais, à l’évidence, elles ne seront mises en œuvre que si elles sont por­tées par des mou­ve­ments sociaux et un rap­port de force à construire pour chan­ger le sys­tème. Ce sera tout l’enjeu des mois et années qui viennent !

Mercredi 11 mars 2020, par Christophe Aguiton membre d’ATTAC et d’Ensemble!

[Les inter­titres sont de ensemble28.forum28.net]