Entreprises privées :
les salariés dans la tourmente

L’épidémie gagne du ter­rain dans la région

Ce 2 avril, l’ARS Centre-Val de Loire annonce 1759 cas confir­més dans la région, 85 décès (sans comp­ter les décès en EHPAD et à domi­cile !), dont 146 hos­pi­ta­li­sés en Eure-et-Loir, 18 per­sonnes décé­dées, le chiffre le plus impor­tant des dépar­te­ments de la région.

ARS Centre-Val de Loire Bulletin quotidien 02-04-2020

ARS Centre-Val de Loire : Bulletin quo­ti­dien du 02-04-2020

Ce triste décompte qui rythme nos soi­rées est la trans­crip­tion chif­frée d’une catas­trophe « en marche », consé­quence d’une pénu­rie dra­ma­tique en tests, en maté­riels de pro­tec­tion, en appa­reils vitaux, d’une poli­tique des­truc­trice du ser­vice public de san­té et plus encore.

Le gou­ver­ne­ment a pris des déci­sions tar­dives et par­fois inco­hé­rentes : après une période de bana­li­sa­tion (« allons au théâtre… »), elles ont été accom­pa­gnées d’explications contra­dic­toires (il faut se tenir éloi­gnés les uns des autres mais au fond les masques ne sont pas utiles « quand on est en bonne san­té »). Il est dif­fi­cile d’éloigner de notre esprit qu’il fal­lait cher­cher avant tout à sépa­rer, pour les trai­ter, les per­sonnes réel­le­ment infec­tées et que pour cela les déci­sions urgen­tis­simes concer­naient la pro­duc­tion de tests, de gel, de masques, de res­pi­ra­teurs. Evidemment, le capi­ta­lisme néo­li­bé­ral refuse l’idée d’intérêt géné­ral et de réqui­si­tion alors qu’il aurait fal­lu trans­for­mer des entre­prises dans l’urgence !

Alors, devant les cri­tiques, le pré­sident répète que « l’heure n’est pas à la polémique ».

Confine-toi mais va bosser !

La contra­dic­tion entre une demande de confi­ne­ment extrême pour les citoyens et l’ac­ti­vi­té main­te­nue de toutes sortes d’en­tre­prises, s’est faite sen­tir dès la pre­mière semaine. Une ques­tion mérite encore d’être posée : quelles pro­duc­tions et quels ser­vices sont néces­saires aux besoins vitaux immé­diats ? Les sala­riés qui sont appelé·e·s à assu­rer le quo­ti­dien du pays sont exposé·e·s à un énorme risque pour eux/elles et leur famille. Cependant, la ten­ta­tion des entre­prises, des action­naires, des banques, donc de l’état est de relan­cer la pro­duc­tion rapidement.

L’économie serait-elle prio­ri­taire sur la san­té des travailleurs ?

Les mesures prises par l’état laissent à l’écart un nombre impor­tant de salarié·e·s et les médias ne les ont pas mis en lumière dans les débuts de la crise. De nom­breuses pro­fes­sions sont concer­nées, les per­son­nels vont tra­vailler avec la peur pour com­pagne tan­dis que leurs enfants sont loin d’eux, par­fois confiés à des tiers. Ce sont les employés et cais­siers et cais­sières de la grande dis­tri­bu­tion, de l’industrie ali­men­taire, les sala­riés d’entreprises liées à la san­té, les aides à domi­ciles, les ser­vices essen­tiels (élec­tri­ci­té, eau, éboueurs…), le trans­port, la Poste… Dans ces cir­cons­tances les sec­tions locales et les syn­di­cats natio­naux ont dû inter­ve­nir pour rame­ner les res­pon­sables des indus­tries et de cer­tains ser­vices publics à la rai­son. Encore aujourd’hui les tra­vailleurs conti­nuent de lut­ter pour leur santé.

Site Valeo de Nogent-le-Rotrou [Photo site La Raudière)

Site Valeo de Nogent-le-Rotrou

En effet des entre­prises rêvent de pour­suivre leur acti­vi­té même si elle n’est pas prio­ri­taire. C’est pour­quoi, des tra­vailleurs, inquiets, se sont mis en retrait. Ils ont alors subi des pres­sions : il leur a été rap­pe­lé qu’ils ne peuvent être payés que si leur déci­sion est vali­dée par les Prud’hommes, en cas de conten­tieux avec l’employeur. Plusieurs orga­ni­sa­tions syn­di­cales, locales et natio­nales, ont dû exi­ger que les sec­teurs non indis­pen­sables arrêtent la production.

Dans l’industrie automobile

Les plus grands équi­pe­men­tiers auto­mo­biles euro­péens ont vou­lu gar­der leurs usines ouvertes, alors que les construc­teurs auto­mo­biles ont sus­pen­du leur pro­duc­tion : PSA, Renault et Toyota ont annon­cé lun­di 16 mars la fer­me­ture de leurs sites de pro­duc­tion auto­mo­bile en France. Mais Valeo tenait à conti­nuer de pro­duire ses équi­pe­ments (à Angers, Nogent-le-Rotrou par exemple), mena­çant de consi­dé­rer l’exercice du droit au retrait comme un aban­don de poste. Sur le site de Valeo à Amiens, qui comp­tait une dizaine de cas de coro­na­vi­rus, les sala­riés ont arrê­té le tra­vail et voté un droit de retrait et ont deman­dé la fer­me­ture du site, la pro­duc­tion a été arrê­tée mar­di 17 mars1.Sur le site de Valeo à Angers, qui fabrique des phares et emploie 1500 sala­riés, mal­gré des sus­pi­cions de cas de coro­na­vi­rus dans l’en­tre­prise. La CGT a mena­cé d’exer­cer un droit de retrait face à cette situa­tion. En Eure-et-Loir, Valeo à Nogent-le-Rotrou et Paulstra à Châteaudun ont ren­voyé un mil­lier de salariés.

Reprise sur fond de réduc­tion des droits des salariés :

Le 1er avril, un accord a été signé entre la direc­tion de Renault et les syn­di­cats CGC, CFDT et FO, donc sans la CGT. Il per­met la reprise de la pro­duc­tion auto­mo­bile et « ouvre la voie à la déré­gle­men­ta­tion du tra­vail tant en ce qui concerne les horaires que les prises de congé. »1

Les cais­sières et cais­siers de la grande dis­tri­bu­tion ont obte­nu quelques amé­na­ge­ments de leur poste de tra­vail très expo­sé au public. Par contre les employés char­gés du net­toyage, se plaignent encore de ne pas être assez protégés.

Pour FO, Yves Veyrier a deman­dé, le 22 mars, que les condi­tions de tra­vail soient amé­na­gées, refu­sant le pro­jet d’augmentation de la durée de tra­vail : [Pour] « les sala­riés tra­vaillant dans les sec­teurs essen­tiels, on ne va pas ajou­ter un risque sur la san­té des sala­riés en accrois­sant la quan­ti­té de tra­vail et la durée du tra­vail, le tra­vail de nuit, le tra­vail domi­ni­cal. Il vaut mieux faire l’inverse. » Il n’a pas été entendu !

Le gou­ver­ne­ment, dans l’esprit de la réforme du tra­vail des­truc­trice Macron-El Khomri  de 2016, laisse chaque chef d’entreprise et les sala­riés « orga­ni­ser leur sécu­ri­té sanitaire » !

Amazon-Saran [photo marxiste.org]

Site Amazon de Saran

Les plates-formes télé­pho­niques et com­mer­ciales : en de nom­breux endroits sur­peu­plés, sans masques, sans gel, les sala­riés ont dû mon­ter au cré­neau pour obte­nir la réduc­tion des postes ou la fer­me­ture com­plète, assor­tie des mesures légales de « chô­mage partiel ».

Le 18 mars, les sala­riés d’Amazon Saran, près d’Orléans, ont exer­cé leur droit d’alerte et débrayé pour récla­mer plus de sécu­ri­té : un cas de coro­na­vi­rus a été détec­té, 32 employés ont été confi­nés chez eux. Des mesures ont été prises mais les sala­riés ne se sentent pas pro­té­gés, d’autant moins qu’ils arrivent sur leur lieu de tra­vail dans des bus bon­dés.  Le siège, aux États-Unis, demande d’embaucher plus d’intérimaires pour faire face aux com­mandes. « Les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, Solidaires en tête, sont pour la fer­me­ture du site le plus tôt et le plus vite pos­sible. Amazon ne relève pas des indus­tries vitales1. » [Au moment de publier cet article, nous appre­nons que le direc­teur géné­ral d’Amazon France annonce que les sala­riés seront équi­pés de masques “à leur demande” et que leur tem­pé­ra­ture sera contrô­lée à leur arrivée.]

Les trans­por­teurs, sur­tout les petits patrons et des sala­riés, se rebellent tant leurs condi­tions de tra­vail et sani­taires sont aggra­vées par les condi­tions d’hygiène qu’ils trouvent sur les très pri­vées auto­routes du ter­ri­toire. Ceux qui livrent les grandes sur­faces ali­men­taires se plaignent de l’absence de masques et de gants de protection.

Aujourd’hui et le jour d’après

Châteaudun 14-02-2020 Rassemblement pour l'hôpital

Châteaudun, 14-02-2020, Rassemblement pour l’hôpital

L’heure n’est pas au bilan, certes, mais le silence serait cou­pable ! La situa­tion médi­cale en hôpi­taux et dans les mai­sons de retraite est de plus en plus pré­oc­cu­pante. De nom­breux malades n’ont pas accès à un vrai sui­vi médi­cal, cha­cun reste chez soi en espé­rant échap­per à l’hospitalisation. Le 23 mars, la CGT a rap­pe­lé : « avant cette crise, le gou­ver­ne­ment a fer­mé 4 418 lits d’hospitalisation ces deux der­nières années et de nom­breux ser­vices d’urgence, de mater­ni­té ». 3 mil­liards pris depuis 2017 au bud­get de la san­té et en par­ti­cu­lier à l’hôpital public- sup­pres­sion de 22 000 postes. Injonction à 100% d’occupation pour ren­ta­bi­li­ser les établissements.

Contraint à agir, le gou­ver­ne­ment annonce des recon­ver­sions (tem­po­raires) d’entreprises pour la pro­duc­tion de masques, solu­tions hydro­al­coo­liques, etc. C’est le cas en région centre et à Chartres, Nogent-le-Rotrou par exemple (voir en note 2). Mais il ins­talle aus­si les moyens de contour­ner les règles du tra­vail déjà mises à mal : il faut veiller aux risques pour les liber­tés et les condi­tions de tra­vail que contient la loi d’ur­gence sani­taire votée par l’Assemblée Nationale le 22 mars, sans les voix des élu·e·s de gauche.

L’argent des états et de l’Europe va-t-il per­mettre de remettre en selle le même sys­tème ? Une seule garan­tie : l’intervention des citoyens. « Nous ne sommes pas en guerre contre un virus, c’est la nature… Nous sommes devant les effets du néo-capi­ta­lisme, l’effondrement de ses pro­messes. “Le Jour d’après c’est main­te­nant qu’il se construit” (Geneviève Azam)3.

La Rédaction d’ensemble28.forum28.net

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  1. Source : Infos NPA
  2. Heureusement, depuis la mi-mars des entre­prises majeures de la phar­ma­cie et du par­fum ont recon­ver­ti leur pro­duc­tion pour livrer du gel hydro­al­coo­lique : Expanscience à Épernon, Guerlain (LVMH) à Chartres. Euro Wipes à Nogent-le-Rotrou fabrique ses lin­gettes pour la dés­in­fec­tion et la PME Inavive Lab rem­place les crèmes solaires et de beau­té par du gel alcoo­lique.  Mais les repor­tages sur ces entre­prises sont bien rares : d’autres pro­duc­tions ont-elles été conser­vées ? dans quelles condi­tions de sécu­ri­té sont mobi­li­sés les travailleurs ?
  3. Geneviève Azam : Economiste, Université de Toulouse- Membre d’Attac

Si vous avez des infor­ma­tions et/ou témoi­gnages concer­nant les condi­tions de tra­vail, la sécu­ri­té sani­taire des sala­riés, la reprise du tra­vail, n’hé­si­tez pas à nous écrire à redaction@forum28.net