Entreprises privées :
les salariés dans la tourmente
L’épidémie gagne du terrain dans la région
Ce 2 avril, l’ARS Centre-Val de Loire annonce 1759 cas confirmés dans la région, 85 décès (sans compter les décès en EHPAD et à domicile !), dont 146 hospitalisés en Eure-et-Loir, 18 personnes décédées, le chiffre le plus important des départements de la région.
Ce triste décompte qui rythme nos soirées est la transcription chiffrée d’une catastrophe « en marche », conséquence d’une pénurie dramatique en tests, en matériels de protection, en appareils vitaux, d’une politique destructrice du service public de santé et plus encore.
Le gouvernement a pris des décisions tardives et parfois incohérentes : après une période de banalisation (« allons au théâtre… »), elles ont été accompagnées d’explications contradictoires (il faut se tenir éloignés les uns des autres mais au fond les masques ne sont pas utiles « quand on est en bonne santé »). Il est difficile d’éloigner de notre esprit qu’il fallait chercher avant tout à séparer, pour les traiter, les personnes réellement infectées et que pour cela les décisions urgentissimes concernaient la production de tests, de gel, de masques, de respirateurs. Evidemment, le capitalisme néolibéral refuse l’idée d’intérêt général et de réquisition alors qu’il aurait fallu transformer des entreprises dans l’urgence !
Alors, devant les critiques, le président répète que « l’heure n’est pas à la polémique ».
Confine-toi mais va bosser !
La contradiction entre une demande de confinement extrême pour les citoyens et l’activité maintenue de toutes sortes d’entreprises, s’est faite sentir dès la première semaine. Une question mérite encore d’être posée : quelles productions et quels services sont nécessaires aux besoins vitaux immédiats ? Les salariés qui sont appelé·e·s à assurer le quotidien du pays sont exposé·e·s à un énorme risque pour eux/elles et leur famille. Cependant, la tentation des entreprises, des actionnaires, des banques, donc de l’état est de relancer la production rapidement.
L’économie serait-elle prioritaire sur la santé des travailleurs ?
Les mesures prises par l’état laissent à l’écart un nombre important de salarié·e·s et les médias ne les ont pas mis en lumière dans les débuts de la crise. De nombreuses professions sont concernées, les personnels vont travailler avec la peur pour compagne tandis que leurs enfants sont loin d’eux, parfois confiés à des tiers. Ce sont les employés et caissiers et caissières de la grande distribution, de l’industrie alimentaire, les salariés d’entreprises liées à la santé, les aides à domiciles, les services essentiels (électricité, eau, éboueurs…), le transport, la Poste… Dans ces circonstances les sections locales et les syndicats nationaux ont dû intervenir pour ramener les responsables des industries et de certains services publics à la raison. Encore aujourd’hui les travailleurs continuent de lutter pour leur santé.
En effet des entreprises rêvent de poursuivre leur activité même si elle n’est pas prioritaire. C’est pourquoi, des travailleurs, inquiets, se sont mis en retrait. Ils ont alors subi des pressions : il leur a été rappelé qu’ils ne peuvent être payés que si leur décision est validée par les Prud’hommes, en cas de contentieux avec l’employeur. Plusieurs organisations syndicales, locales et nationales, ont dû exiger que les secteurs non indispensables arrêtent la production.
Dans l’industrie automobile
Les plus grands équipementiers automobiles européens ont voulu garder leurs usines ouvertes, alors que les constructeurs automobiles ont suspendu leur production : PSA, Renault et Toyota ont annoncé lundi 16 mars la fermeture de leurs sites de production automobile en France. Mais Valeo tenait à continuer de produire ses équipements (à Angers, Nogent-le-Rotrou par exemple), menaçant de considérer l’exercice du droit au retrait comme un abandon de poste. Sur le site de Valeo à Amiens, qui comptait une dizaine de cas de coronavirus, les salariés ont arrêté le travail et voté un droit de retrait et ont demandé la fermeture du site, la production a été arrêtée mardi 17 mars1.Sur le site de Valeo à Angers, qui fabrique des phares et emploie 1500 salariés, malgré des suspicions de cas de coronavirus dans l’entreprise. La CGT a menacé d’exercer un droit de retrait face à cette situation. En Eure-et-Loir, Valeo à Nogent-le-Rotrou et Paulstra à Châteaudun ont renvoyé un millier de salariés.
Reprise sur fond de réduction des droits des salariés :
Le 1er avril, un accord a été signé entre la direction de Renault et les syndicats CGC, CFDT et FO, donc sans la CGT. Il permet la reprise de la production automobile et « ouvre la voie à la déréglementation du travail tant en ce qui concerne les horaires que les prises de congé. »1
Les caissières et caissiers de la grande distribution ont obtenu quelques aménagements de leur poste de travail très exposé au public. Par contre les employés chargés du nettoyage, se plaignent encore de ne pas être assez protégés.
Pour FO, Yves Veyrier a demandé, le 22 mars, que les conditions de travail soient aménagées, refusant le projet d’augmentation de la durée de travail : [Pour] « les salariés travaillant dans les secteurs essentiels, on ne va pas ajouter un risque sur la santé des salariés en accroissant la quantité de travail et la durée du travail, le travail de nuit, le travail dominical. Il vaut mieux faire l’inverse. » Il n’a pas été entendu !
Le gouvernement, dans l’esprit de la réforme du travail destructrice Macron-El Khomri de 2016, laisse chaque chef d’entreprise et les salariés « organiser leur sécurité sanitaire » !
Les plates-formes téléphoniques et commerciales : en de nombreux endroits surpeuplés, sans masques, sans gel, les salariés ont dû monter au créneau pour obtenir la réduction des postes ou la fermeture complète, assortie des mesures légales de « chômage partiel ».
Le 18 mars, les salariés d’Amazon Saran, près d’Orléans, ont exercé leur droit d’alerte et débrayé pour réclamer plus de sécurité : un cas de coronavirus a été détecté, 32 employés ont été confinés chez eux. Des mesures ont été prises mais les salariés ne se sentent pas protégés, d’autant moins qu’ils arrivent sur leur lieu de travail dans des bus bondés. Le siège, aux États-Unis, demande d’embaucher plus d’intérimaires pour faire face aux commandes. « Les organisations syndicales, Solidaires en tête, sont pour la fermeture du site le plus tôt et le plus vite possible. Amazon ne relève pas des industries vitales1. » [Au moment de publier cet article, nous apprenons que le directeur général d’Amazon France annonce que les salariés seront équipés de masques “à leur demande” et que leur température sera contrôlée à leur arrivée.]
Les transporteurs, surtout les petits patrons et des salariés, se rebellent tant leurs conditions de travail et sanitaires sont aggravées par les conditions d’hygiène qu’ils trouvent sur les très privées autoroutes du territoire. Ceux qui livrent les grandes surfaces alimentaires se plaignent de l’absence de masques et de gants de protection.
Aujourd’hui et le jour d’après
L’heure n’est pas au bilan, certes, mais le silence serait coupable ! La situation médicale en hôpitaux et dans les maisons de retraite est de plus en plus préoccupante. De nombreux malades n’ont pas accès à un vrai suivi médical, chacun reste chez soi en espérant échapper à l’hospitalisation. Le 23 mars, la CGT a rappelé : « avant cette crise, le gouvernement a fermé 4 418 lits d’hospitalisation ces deux dernières années et de nombreux services d’urgence, de maternité ». 3 milliards pris depuis 2017 au budget de la santé et en particulier à l’hôpital public- suppression de 22 000 postes. Injonction à 100% d’occupation pour rentabiliser les établissements.
Contraint à agir, le gouvernement annonce des reconversions (temporaires) d’entreprises pour la production de masques, solutions hydroalcooliques, etc. C’est le cas en région centre et à Chartres, Nogent-le-Rotrou par exemple (voir en note 2). Mais il installe aussi les moyens de contourner les règles du travail déjà mises à mal : il faut veiller aux risques pour les libertés et les conditions de travail que contient la loi d’urgence sanitaire votée par l’Assemblée Nationale le 22 mars, sans les voix des élu·e·s de gauche.
L’argent des états et de l’Europe va-t-il permettre de remettre en selle le même système ? Une seule garantie : l’intervention des citoyens. « Nous ne sommes pas en guerre contre un virus, c’est la nature… Nous sommes devant les effets du néo-capitalisme, l’effondrement de ses promesses. “Le Jour d’après c’est maintenant qu’il se construit” (Geneviève Azam)3.
La Rédaction d’ensemble28.forum28.net
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- Source : Infos NPA
- Heureusement, depuis la mi-mars des entreprises majeures de la pharmacie et du parfum ont reconverti leur production pour livrer du gel hydroalcoolique : Expanscience à Épernon, Guerlain (LVMH) à Chartres. Euro Wipes à Nogent-le-Rotrou fabrique ses lingettes pour la désinfection et la PME Inavive Lab remplace les crèmes solaires et de beauté par du gel alcoolique. Mais les reportages sur ces entreprises sont bien rares : d’autres productions ont-elles été conservées ? dans quelles conditions de sécurité sont mobilisés les travailleurs ?
- Geneviève Azam : Economiste, Université de Toulouse- Membre d’Attac
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