Les pesticides, ces alliés du coronavirus

Logo CoquelicotsIl y a un mys­tère des pes­ti­cides, et il est bien gar­dé. Mais ce n’est pas un mys­tère pour qui sait dépouiller des cen­taines de textes dis­per­sés aux quatre vents que per­sonne ne trouve inté­rêt à ras­sem­bler. Les pes­ti­cides de l’agriculture indus­trielle jouent-ils un rôle impor­tant dans la pro­pa­ga­tion du coro­na­vi­rus? Tristement, mais cer­tai­ne­ment, la réponse est oui.

Il faut com­men­cer par le com­men­ce­ment. Les par­ti­cules fines conte­nues dans l’air que les Français res­pirent affai­blissent les défenses immu­ni­taires, aggravent la situa­tion des insuf­fi­sants res­pi­ra­toires, des malades car­diaques, et tuent. En France, la pol­lu­tion de l’air – et au tout pre­mier rang les par­ti­cules fines – conduit à la mort 48 000 per­sonnes par an, selon l’étude de Santé publique France de 2016.

Or il appa­raît que la ter­rible pan­dé­mie due au coro­na­vi­rus peut être aggra­vée, notam­ment par pro­pa­ga­tion, au tra­vers de nuages de par­ti­cules fines. Ces der­nières sont sou­vent connues sous leur acro­nyme anglais PM10 et PM2,5 –ini­tiales qui signi­fient «par­ti­cu­late mat­ter»– en fonc­tion de leur dia­mètre. Les PM10 mesurent 10 micro­mètres, soit 10 mil­lio­nièmes de mètre – et les PM2,5 quatre fois moins que les PM10. Plus ces par­ti­cules sont fines, plus elles sont trans­por­tées par le vent et plus long­temps elles res­tent dans l’atmosphère.

Une étude chi­noise de 2003 a mon­tré que la pol­lu­tion de l’air ren­dait le SRAS bien plus létal. On doit y ajou­ter deux tra­vaux récents –une publi­ca­tion ita­lienne et une autre amé­ri­caine– qui montrent des liens puis­sants entre la concen­tra­tion de par­ti­cules fines dans l’air et la pro­pa­ga­tion du coro­na­vi­rus. Ou son aggra­va­tion. Par ailleurs, 11 cher­cheurs amé­ri­cains, dont 4 des fameux Centers for Disease Control and Prevention, ont signé, en mars, un article sur la pos­sible dif­fu­sion aérienne du virus. Que contiennent ces par­ti­cules fines? Entre autres, la trace des acti­vi­tés humaines: cui­sine et chauf­fage, trans­ports, rejets indus­triels, mais sans oublier l’agriculture. Autant de véhi­cules pour le coronavirus.

Épandage de pesticides dans le Perche 2

Épandage de pes­ti­cides dans le Perche

Dérive et vapo­ri­sa­tion – Tous les spé­cia­listes de la ques­tion savent que deux phé­no­mènes inter­viennent, qui se conjuguent. Le pre­mier s’appelle dérive, et le second vapo­ri­sa­tion. Dans l’exemple des pes­ti­cides, des micro­gout­te­lettes, de la taille des par­ti­cules fines, sont pous­sées par le vent, loin de leur cible pre­mière. Et une par­tie notable devient une vapeur si légère qu’elle est reprise par les nuages et trans­por­tée jusque dans le cœur des villes, ce qu’attestent d’innombrables enquêtes offi­cielles. Dans cer­tains cas extrêmes, plus de 90 % du pro­duit n’atteint pas sa cible. Les scien­ti­fiques de l’Institut natio­nal de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ont, de leur côté, consta­té des pertes de 15% à 40% dans les trai­te­ments sur la vigne. La moyenne géné­ra­le­ment rete­nue est com­prise entre 30% et 50%. Qu’en est-il alors des nano­par­ti­cules, mas­si­ve­ment uti­li­sées par l’industrie des pes­ti­cides dans la dis­cré­tion la plus totale? A cette échelle 1.000 fois plus petite que celle des par­ti­cules fines, plus aucune bar­rière bio­lo­gique, pas même celle des cel­lules, ne demeure intacte.

On s’étonnera moins, dans ces condi­tions, de l’appel publié en ligne de scien­ti­fiques menés par la direc­trice de recherche Inserm Isabella Annesi-Maesano, pour les­quels «le prin­temps est la période d’épandage agri­cole, grand pour­voyeur de par­ti­cules fines. En effet, lors des épan­dages, le gaz ammo­niac (NH3) va, en pas­sant dans l’atmosphère, réagir avec les oxydes d’azote (NOx) pour for­mer des par­ti­cules de nitrate d’ammonium et de sul­fate d’ammonium». Fort logi­que­ment, ces cher­cheurs appellent «les pré­fets à prendre des mesures urgentes visant à limi­ter dras­ti­que­ment les émis­sions liées aux épan­dages agri­coles (res­tric­tion, tech­nique d’enfouissement de l’engrais) afin de tout mettre en œuvre pour limi­ter la pro­pa­ga­tion du virus».

Certes, on parle là d’engrais, mais les pes­ti­cides jouent très exac­te­ment le même rôle, ce que per­sonne pour le moment ne dit. Personne, sauf l’Inrae, une nou­velle fois, qui note expli­ci­te­ment, dans des docu­ments offi­ciels datant de l’été 2019: «Les acti­vi­tés agri­coles sont res­pon­sables de 28% des émis­sions fran­çaises de par­ti­cules de dia­mètre infé­rieur à 10 micro­mètres, comme les com­po­sés azo­tés ou les pes­ti­cides.» Et le texte ajoute que l’agriculture émet plus de par­ti­cules fines que l’ensemble des trans­ports, d’un côté, et les acti­vi­tés indus­trielles, de l’autre.

Respectez les distancesLes mots de l’Inrae sont déci­sifs, car ils montrent pré­ci­sé­ment que les pes­ti­cides, tout comme les engrais et les lisiers, sont des par­ti­cules fines.

Double peine – Toutes ces pra­tiques agri­coles forment des nuées qui se com­binent avec d’autres venues des villes pour for­mer de vastes ensembles de pol­lu­tion de l’air. C’est exac­te­ment ce qui s’est pas­sé fin mars en Bretagne, avec un sévère épi­sode de par­ti­cules fines cir­cu­lant de Brest à Saint-Malo.

Dans ces condi­tions, que fait le gou­ver­ne­ment? Rien. Pour de nom­breuses rai­sons poli­tiques et his­to­riques, l’agriculture indus­trielle semble intou­chable. Ainsi que son plus illustre repré­sen­tant, la FNSEA. D’un côté, les dis­cours offi­ciels affirment que la san­té publique prime. Et de l’autre, on confine de nom­breuses familles avec enfants tout près d’épandages de lisier, d’engrais azo­tés et de pes­ti­cides. Ce qu’on doit appe­ler une double peine.

Pis. On se sou­vient com­ment, début jan­vier 2020, l’éléphant a accou­ché d’une sou­ris. A la suite d’arrêtés anti­pes­ti­cides pris par des maires, dont celui de Langouët, Daniel Cueff, nos auto­ri­tés ont alors impo­sé des zones de non-trai­te­ment (ZNT) de pes­ti­cides, dont la plu­part s’arrêtaient à cinq mètres des habi­ta­tions. Une dis­tance qui parais­sait une simple plai­san­te­rie, de très mau­vais goût.

Mais c’était encore trop pour la FNSEA, qui n’a ces­sé de récla­mer un assou­plis­se­ment du dis­po­si­tif, et l’a obte­nu. Le 30 mars, en effet, le minis­tère de l’agriculture a accor­dé une déro­ga­tion, fai­sant pas­ser la ZNT de cinq à trois mètres dans les dépar­te­ments où une «concer­ta­tion aura été lan­cée».

Terre traitée au désherbant [Perche]

Terre trai­tée au désher­bant [Perche]

Nous en sommes là. De solides élé­ments scien­ti­fiques nous assurent que les par­ti­cules fines aggravent la pan­dé­mie en cours. L’Inrae, ins­ti­tut public, constate que l’agriculture indus­trielle pro­duit près de 30 % des par­ti­cules fines. Et l’on décide de faire un cadeau de plus à la FNSEA.

Cadeau de trop? M. Macron, qui vient d’en appe­ler, dans son dis­cours du 13 avril, à la Révolution fran­çaise et au Conseil natio­nal de la résis­tance, a‑t-il bien besoin d’un pro­cès reten­tis­sant pour mise en dan­ger de la vie d’autrui? Responsables en ces temps de drame, nous ne le sou­hai­tons pas. Alors, il faut chan­ger de cap et rap­pe­ler, par exemple à Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, qu’il n’est pas au ser­vice d’un lob­by, mais de la socié­té tout entière. Conscients de défendre l’intérêt géné­ral et la san­té publique, nous deman­dons l’ouverture d’une enquête indé­pen­dante, sous la conduite de l’Inserm et avec contrôle par­le­men­taire. Et dans l’attente de ses résul­tats, un mora­toire sur les épan­dages de pes­ti­cides près des habi­ta­tions est une néces­si­té sani­taire et morale.

 

19 avril 2020

 

Fabrice Nicolino est pré­sident du mou­ve­ment Nous vou­lons des coque­li­cots. François de Beaulieu, Mathieu Chastagnol, Françoise Fontaine, Eric Feraille, Marianne Frisch, Franck Laval, Emmanuelle Mercier et Franck-Olivier Torro sont membres du mouvement.

 

 

Retrouvez cette tri­bune sur le site de Nous vou­lons des coquelicots