Biennale de mosaïque : Parler de soi et du monde
Les Rencontres Internationales de Mosaïque se poursuivent jusqu’au 13 novembre dans la chapelle du lycée Fulbert à Chartres. Comme à chaque fois (il s’agit d’une biennale), des dizaines de créations sont exposées incluses ou non dans le thème (cette année, le bleu).
Émotions, impressions, sentiments
Au fil des ans, on retrouve l’inventivité, l’habileté, la sensibilité des artistes. Nombre de mosaïques expriment des sensations personnelles, des bonheurs, des tristesses, des états d’âme, des cheminements individuels devant des difficultés. Et le résultat est souvent fascinant. On en prendra pour exemple Saisir l’instant de Elaine M Goodwin (Royaume Uni) qui présente ainsi son travail : « Il célèbre la capture et la tenue d’un moment de beauté, de lucidité et d’émerveillement dans une période de blues mélancolique. » Ou encore Entre ciel et terre de Marie Hesni (France) qui explique « Mes créations sont le fruit d’émotions, d’impressions, de sentiments, d’odeurs rencontrés aux croisements des chemins de ma vie. »
L’humanité et la nature
À côté de cette veine tournée vers l’introspection, d’autres œuvres, et parfois dans son prolongement, interrogent ou célèbrent la place de l’humanité au sein de la nature, voire de l’univers. C’est le cas d’une interprétation de La Vague de Hokusai par un groupe de soignants et de patients de l’Hôpital de jour des Yvelines qui pointent « l’humilité et la vulnérabilité de l’homme face à la nature et aux éléments. »
L’art, un exercice de style ?
Mais celui qui, à notre sens, pose clairement l’enjeu, et pas seulement pour l’art mosaïste, est Luigi La Ferla (Italie) qui, avec L’Apparence de l’art interroge : « L’art est-il devenu un exercice de style, d’effet ou veut-il encore nous parler franchement de la vraie nature des choses dans laquelle nous vivons ? L’art est-il encore un véhicule de profondeur ou est-il devenu un medium ludique et agréable, peu complexe de sens et apte à être injecté dans les veines du web ? »
Les réalités du temps
Empli de cette interrogation, nous avons recherché parmi les œuvres présentes celles qui n’évitaient pas les sombres réalités de notre temps. Elles ne sont pas si nombreuses. Le sort réservé aux migrant·e·s n’est évoqué, mais puissamment, que dans Blu mare de l’Allemand Thomas Denker. L’effet de flou évoque bien l’invisibilisation à laquelle ils/elles sont soumi·se·s.
La guerre affleure
La guerre qui martyrise l’Ukraine n’a suscité que deux créations, Nuit froide, œuvre collective d’Ukrainiens (et/ou d’Ukrainiennes ?) qui se sont baptisé·e·s significativement Pomme de boue. Elle mérite qu’on s’y arrête. Techniquement assez simple (des tesselles de grande taille, de couleurs franches, imbriquées), elle rend palpable le chaos d’un bombardement nocturne, matériaux enchevêtrés, feu, fumée, brouillard, victimes englouties. Toutes proportions gardées, ce travail n’est pas sans faire écho au Guernica de Picasso. Foulard des Balkans de la Française Sandrine Daubrège quant à elle évoque, dit l’artiste « ces femmes, ces familles tout entières contraintes de quitter leur maison, leur région, leur vie. »
Le sort des femmes
La situation des femmes est aussi présente dans une œuvre collective et internationale en cours intitulée Tenir à un fil et dont l’objectif est de témoigner la « solidarité aux filles et aux femmes afghanes qui subissent violences physiques et psychologiques, sont privées d’éducation, de travail, de toutes les libertés et de leur dignité humaine » par les talibans.
Les grandes questions contemporaines sont donc bien présentes dans cette exposition mais à proportion faible. Et comment expliquer que, après Me too, aucune œuvre n’aborde la question féministe en Europe ?
J.C.