Jacqueline Marre a publié un nouveau livre

Jacqueline Marre1 a publié chez L’Harmattan en février de cette année un livre inti­tu­lé « Les poli­tiques de la Vierge Marie ». À cette occa­sion, elle a pré­sen­té son ouvrage à la librai­rie L’Esperluète à Chartres et devant des adhérent·e·s de l’association LSR 28 (Loisirs et Solidarité des Retraités) dont elle est membre.

La recen­sion qui suit est issue de cette der­nière ren­contre. Elle ne fait évi­dem­ment qu’effleurer une par­tie des sujets trai­tés dans le livre qui est l’aboutissement de 6 à 7 ans de nom­breuses recherches.

Marie, une figure mythique et contradictoire

Godard Je-vous-salue-Marie-1985-[pochette DVD]

Une pochette de DVD pour le film de J.-L. Godard

Pour Jacqueline Marre qui n’a pas de croyance par­ti­cu­lière, Marie n’est pas une figure de reli­gion, mais une figure mythique pleine de contra­dic­tions inté­res­santes, dans des séries d’images explo­sives depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui avec, par exemple, le film de Jean-Luc Godard « Je vous salue Marie ».

Alors que dès le 17e siècle, le pro­tes­tan­tisme affirme que Marie est une femme comme une autre, l’Église catho­lique lui asso­cie plu­sieurs dogmes, jusqu’à celui où, lors du concile Vatican II en 1976, elle est décla­rée  co-rédemp­trice (rémis­sion des péchés) mais‘’à titre excep­tion­nel‘’. Les prières et les pèle­ri­nages qui lui sont consa­crés conti­nuent. Se méfiant mal­gré tout des appa­ri­tions mira­cu­leuses de Marie, l’Église ne les recon­naît pas toutes, à l’exemple, de celle de 1980 à Medjugorje (Bosnie-Herzégovine), mais accom­pagne cepen­dant chaque année les nom­breux pèlerins.

La pre­mière ques­tion théo­lo­gique fut : où est Marie dans la tri­ni­té le Père, le Fils, et le Saint Esprit ? L’historien Paul Veyne (1930–2022), nous dit Jacqueline Marre, a mon­tré qu’elle fut l’objet de nom­breuses, larges et popu­laires dis­cus­sions pen­dant les trois cents pre­mières années du chris­tia­nisme, véri­table ‘’épine nomade’’ qui le gratte : juive ? femme ? Mais femme excep­tion­nelle puisqu’elle est à la fois mère et femme de Dieu le Père (mère de Jésus mais comme Jésus est Dieu et que c’est Dieu le père de Jésus…), mère et épouse de Jésus son fils (pour les mêmes rai­sons), ou sim­ple­ment mère de Jésus qui est Dieu, mais pas mère de Dieu ? Marie est un mys­tère com­plexe, contra­dic­toire, elle s’en trouve injus­te­ment trai­tée.

Les quatre évan­giles3 rete­nus par l’Église ‑par­mi les très nom­breux qui ont circulé‑, en disent peu de choses. Son his­toire est racon­tée dans un évan­gile apo­cryphe cir­cu­lant en Orient : femme savante, repré­sen­tée avec un livre, vierge (c’est-à-dire sainte) comme les ves­tales à Rome qui étaient des veuves. Au Moyen Âge, la ques­tion était de com­prendre com­ment a fait Jésus fils de Dieu et Dieu lui-même, pour pas­ser dans le corps de femme mor­telle de Marie, est-il pas­sé comme dans un ‘’tuyau’’ sans tou­cher ses vis­cères ? Puisqu’elle est mor­telle, elle devrait être née avec le péché, comme tout le monde. Mais ce n’est pas pos­sible. Elle est ‘’excep­tion­nelle’’. Alors de nom­breuses dis­putes théo­lo­giques ont divi­sé le Moyen Âge : Quand Dieu lui a‑t-il ôté le péché ? avant, pen­dant, après la concep­tion ? Et pour­quoi elle ? Pourquoi à ce moment-là de l’histoire romaine ? 

Image utilisée par le diocèse de Saint-Dié pour la fête de l'Immaculée conception en 2021

Image uti­li­sée par le dio­cèse de Saint-Dié pour la fête de l’Immaculée concep­tion en 2021

Pour beau­coup d’historiens, aujourd’hui, l’utilisation par l’Église catho­lique de Marie appa­raît comme ‘’un effort de guerre’’. Dès les pre­miers siècles, le concile d’Éphèse (431) déclare Marie mère de Dieu face et contre les autres sectes juives ; au concile de 1854, le pape pro­clame son Immaculée Conception en oppo­si­tion aux idées socia­listes : deve­nue femme auto­ri­taire, elle est repré­sen­tée seule, sans son fils. Quant aux rai­sons qui ont pous­sé le pape à ins­ti­tuer l’Assomption en dogme en 1950  (mon­tée au ciel sans attendre la résur­rec­tion du corps), Jacqueline Marre en reste perplexe.

Marie est une mytho­lo­gie popu­laire, phi­lo­so­phique et fantastique

L’Incarnation est une image magni­fique, Marie est une nou­velle Ève, dans une Église hié­rar­chique, auto­ri­taire. De la même façon, les espoirs s’incarnent dans la Révolution qui veut construire une nou­velle huma­ni­té. Autre figure, celle des ins­ti­tu­teurs qui éduquent les enfants dans l’espoir qu’ils réfor­me­ront cette socié­té… alors que l’école repro­duit les inéga­li­tés sociales selon Pierre Bourdieu.

Depuis 1950 des théo­lo­giennes (amé­ri­caines, euro­péennes) ont décou­vert que les pre­mières églises sont allées jusqu’à trans­for­mer les pré­noms fémi­nins de nom­breuses femmes pro­sé­lytes en mas­cu­lins, ou conser­vant le seul pré­nom du mari du couple. 

Aujourd’hui, dans l’Église, cer­tains veulent trans­for­mer le rôle des femmes, consi­dé­rant que les femmes y sont mal­trai­tées et reven­diquent, par exemple, la pos­si­bi­li­té de faire la messe.

Enfin, on ne peut pas réflé­chir sur la mater­ni­té sans pas­ser par Marie, sou­mise au fils, au mari, dévouée : la sacra­li­sa­tion du mariage au 14e siècle est un tour de vis de l’Église construi­sant une vision alié­nante de la femme.

Jacqueline Marre insiste sur la trans­for­ma­tion radi­cale des images de Marie au 19siècle : elle appa­raît seule, (à Bernadette, par exemple) sans Fils, s’exprimant de façon auto­ri­taire : ‘’tu vas construire une basi­lique.’’ L’Église se défend ain­si de façon viru­lente contre les socia­listes, les ouvrières, les francs maçons… Auparavant, elle pro­té­geait… Plus récem­ment, à Medjugorje, elle enjoint  : ‘’vous allez vous battre contre les musul­mans, les soviétiques’’…

Et Marianne ?

Pourquoi ce nom ‘’Marianne’’ pour incar­ner al République ? 

Paolo_Veronese_Les Noces de Cana [détail] WikimediaCommons

Paolo Véronese, Les Noces de Cana [détail] [WikimediaCommons]

À par­tir de la Révolution, on ven­dait beau­coup de petites sta­tues de Marianne comme, aujourd’hui, à Lourdes celles de Marie ; les aris­to­crates lan­çaient ‘’tu es une Marianne’’ (= tu es une pauvre fille) aux nom­breuses fillettes de la cam­pagne pré­nom­mées ain­si. La Révolution venge le Peuple en se pré­nom­mant Marianne (cf. les livres de Maurice Aghulhon, « Marianne au com­bat » et « Marianne au pou­voir »)

Des Marianne, il y en a deux : celle incar­nant la République héri­tée des révo­lu­tion­naires sans-culotte de 1792, repré­sen­tée avec le bon­net phry­gien par Delacroix dans le tableau La Liberté gui­dant le peuple, et celle impo­sée par Thiers, inter­dite de bon­net phry­gien. Celle de la République sociale et celle de la République autoritaire . 

De la même façon, il y a deux Marie : celle, ortho­doxe, conser­va­trice et celle plus sou­ter­raine, démo­cra­tique. Certaines théo­lo­giennes afri­caines (au Ghana, par exemple) s’en reven­diquent aujourd’hui pour éman­ci­per les mères. L’épisode des Noces de Cana2 ne la fait-elle pas appa­raître maî­tresse du des­tin de Jésus ?

Michel De Certeau

Michel De Certeau

Jacqueline Marre consacre aus­si une réflexion à Auguste Blanqui, per­son­nage fas­ci­nant, qui a pas­sé la majeure par­tie de sa vie en pri­son. Ses textes exal­tants sur la révo­lu­tion, lui font pen­ser à ceux sur les Mystiques du 17e siècle que décrit Michel de Certeau (1925–1986), prêtre, his­to­rien et phi­lo­sophe. La foi de Michel de Certeau se résume à : ‘’Je ne peux pas vivre sans toi, tu n’es pas là, et chaque fois que je crois te trou­ver , ce n’est pas ça,’’ De même pour la révo­lu­tion : l’élan révo­lu­tion­naire, l’avenir radieux, on ne le trouve pas.

Jacqueline Marre place à l’opposé de Michel de Certeau, la posi­tion du phi­lo­sophe, juriste du IIIe Reich, Carl Schmitt, pour lequel, ce qui compte, c’est la puis­sance de l’Église, son pou­voir, sa ‘’gloire’’.

Enfin, elle remarque que Marie a fini sa vie à Éphèse, lieu du culte d’Isis, et où les mar­chands du temple qui mani­fes­tèrent contre Paul qui dut quit­ter la ville. Le culte de Marie à Éphèse date du 19e siècle.

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  1. Nous avons publié en 2021 une étude de Jacqueline Marre en six par­ties sur La Laïcité que vous pou­vez retrou­ver ici.

  2. Les Noces de Cana, épi­sode racon­té par Luc. Aux noces d’un ami, alors qu’il n’y a plus de vin, Marie ordonne d’aller voir son Fils qui trans­forme l’eau en vin. C’est extra­or­di­naire, c’est contraire à l’habitude, le vin le meilleur est ser­vi à la fin du repas. 

  3. Les évan­giles sont pleins de dif­fé­rences les uns avec les autres, ils sont écrits au moins 30 ans après la mort du Christ, et lar­ge­ment pro­sé­lytes. Celui de Jean est le plus récent, fin 1er siècle. On dit que c’est le même Jean qui a écrit l’Apocalypse.

Les politiques de la Vierge Marie [couverture]
Jacqueline Marre présente Politiques de la Vierge Maris à L'Esperluète à Chartres 24-03-2023
Jacqueline Marre pré­sente Politiques de la Vierge Maris à L’Esperluète à Chartres 24-03-2023