Jacqueline Marre a publié un nouveau livre
Jacqueline Marre1 a publié chez L’Harmattan en février de cette année un livre intitulé « Les politiques de la Vierge Marie ». À cette occasion, elle a présenté son ouvrage à la librairie L’Esperluète à Chartres et devant des adhérent·e·s de l’association LSR 28 (Loisirs et Solidarité des Retraités) dont elle est membre.
La recension qui suit est issue de cette dernière rencontre. Elle ne fait évidemment qu’effleurer une partie des sujets traités dans le livre qui est l’aboutissement de 6 à 7 ans de nombreuses recherches.
Marie, une figure mythique et contradictoire
Pour Jacqueline Marre qui n’a pas de croyance particulière, Marie n’est pas une figure de religion, mais une figure mythique pleine de contradictions intéressantes, dans des séries d’images explosives depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui avec, par exemple, le film de Jean-Luc Godard « Je vous salue Marie ».
Alors que dès le 17e siècle, le protestantisme affirme que Marie est une femme comme une autre, l’Église catholique lui associe plusieurs dogmes, jusqu’à celui où, lors du concile Vatican II en 1976, elle est déclarée co-rédemptrice (rémission des péchés) mais‘’à titre exceptionnel‘’. Les prières et les pèlerinages qui lui sont consacrés continuent. Se méfiant malgré tout des apparitions miraculeuses de Marie, l’Église ne les reconnaît pas toutes, à l’exemple, de celle de 1980 à Medjugorje (Bosnie-Herzégovine), mais accompagne cependant chaque année les nombreux pèlerins.
La première question théologique fut : où est Marie dans la trinité le Père, le Fils, et le Saint Esprit ? L’historien Paul Veyne (1930–2022), nous dit Jacqueline Marre, a montré qu’elle fut l’objet de nombreuses, larges et populaires discussions pendant les trois cents premières années du christianisme, véritable ‘’épine nomade’’ qui le gratte : juive ? femme ? Mais femme exceptionnelle puisqu’elle est à la fois mère et femme de Dieu le Père (mère de Jésus mais comme Jésus est Dieu et que c’est Dieu le père de Jésus…), mère et épouse de Jésus son fils (pour les mêmes raisons), ou simplement mère de Jésus qui est Dieu, mais pas mère de Dieu ? Marie est un mystère complexe, contradictoire, elle s’en trouve injustement traitée.
Les quatre évangiles3 retenus par l’Église ‑parmi les très nombreux qui ont circulé‑, en disent peu de choses. Son histoire est racontée dans un évangile apocryphe circulant en Orient : femme savante, représentée avec un livre, vierge (c’est-à-dire sainte) comme les vestales à Rome qui étaient des veuves. Au Moyen Âge, la question était de comprendre comment a fait Jésus fils de Dieu et Dieu lui-même, pour passer dans le corps de femme mortelle de Marie, est-il passé comme dans un ‘’tuyau’’ sans toucher ses viscères ? Puisqu’elle est mortelle, elle devrait être née avec le péché, comme tout le monde. Mais ce n’est pas possible. Elle est ‘’exceptionnelle’’. Alors de nombreuses disputes théologiques ont divisé le Moyen Âge : Quand Dieu lui a‑t-il ôté le péché ? avant, pendant, après la conception ? Et pourquoi elle ? Pourquoi à ce moment-là de l’histoire romaine ?
Pour beaucoup d’historiens, aujourd’hui, l’utilisation par l’Église catholique de Marie apparaît comme ‘’un effort de guerre’’. Dès les premiers siècles, le concile d’Éphèse (431) déclare Marie mère de Dieu face et contre les autres sectes juives ; au concile de 1854, le pape proclame son Immaculée Conception en opposition aux idées socialistes : devenue femme autoritaire, elle est représentée seule, sans son fils. Quant aux raisons qui ont poussé le pape à instituer l’Assomption en dogme en 1950 (montée au ciel sans attendre la résurrection du corps), Jacqueline Marre en reste perplexe.
Marie est une mythologie populaire, philosophique et fantastique
L’Incarnation est une image magnifique, Marie est une nouvelle Ève, dans une Église hiérarchique, autoritaire. De la même façon, les espoirs s’incarnent dans la Révolution qui veut construire une nouvelle humanité. Autre figure, celle des instituteurs qui éduquent les enfants dans l’espoir qu’ils réformeront cette société… alors que l’école reproduit les inégalités sociales selon Pierre Bourdieu.
Depuis 1950 des théologiennes (américaines, européennes) ont découvert que les premières églises sont allées jusqu’à transformer les prénoms féminins de nombreuses femmes prosélytes en masculins, ou conservant le seul prénom du mari du couple.
Aujourd’hui, dans l’Église, certains veulent transformer le rôle des femmes, considérant que les femmes y sont maltraitées et revendiquent, par exemple, la possibilité de faire la messe.
Enfin, on ne peut pas réfléchir sur la maternité sans passer par Marie, soumise au fils, au mari, dévouée : la sacralisation du mariage au 14e siècle est un tour de vis de l’Église construisant une vision aliénante de la femme.
Jacqueline Marre insiste sur la transformation radicale des images de Marie au 19e siècle : elle apparaît seule, (à Bernadette, par exemple) sans Fils, s’exprimant de façon autoritaire : ‘’tu vas construire une basilique.’’ L’Église se défend ainsi de façon virulente contre les socialistes, les ouvrières, les francs maçons… Auparavant, elle protégeait… Plus récemment, à Medjugorje, elle enjoint : ‘’vous allez vous battre contre les musulmans, les soviétiques’’…
Et Marianne ?
Pourquoi ce nom ‘’Marianne’’ pour incarner al République ?
À partir de la Révolution, on vendait beaucoup de petites statues de Marianne comme, aujourd’hui, à Lourdes celles de Marie ; les aristocrates lançaient ‘’tu es une Marianne’’ (= tu es une pauvre fille) aux nombreuses fillettes de la campagne prénommées ainsi. La Révolution venge le Peuple en se prénommant Marianne (cf. les livres de Maurice Aghulhon, « Marianne au combat » et « Marianne au pouvoir »)
Des Marianne, il y en a deux : celle incarnant la République héritée des révolutionnaires sans-culotte de 1792, représentée avec le bonnet phrygien par Delacroix dans le tableau La Liberté guidant le peuple, et celle imposée par Thiers, interdite de bonnet phrygien. Celle de la République sociale et celle de la République autoritaire .
De la même façon, il y a deux Marie : celle, orthodoxe, conservatrice et celle plus souterraine, démocratique. Certaines théologiennes africaines (au Ghana, par exemple) s’en revendiquent aujourd’hui pour émanciper les mères. L’épisode des Noces de Cana2 ne la fait-elle pas apparaître maîtresse du destin de Jésus ?
Jacqueline Marre consacre aussi une réflexion à Auguste Blanqui, personnage fascinant, qui a passé la majeure partie de sa vie en prison. Ses textes exaltants sur la révolution, lui font penser à ceux sur les Mystiques du 17e siècle que décrit Michel de Certeau (1925–1986), prêtre, historien et philosophe. La foi de Michel de Certeau se résume à : ‘’Je ne peux pas vivre sans toi, tu n’es pas là, et chaque fois que je crois te trouver , ce n’est pas ça,’’ De même pour la révolution : l’élan révolutionnaire, l’avenir radieux, on ne le trouve pas.
Jacqueline Marre place à l’opposé de Michel de Certeau, la position du philosophe, juriste du IIIe Reich, Carl Schmitt, pour lequel, ce qui compte, c’est la puissance de l’Église, son pouvoir, sa ‘’gloire’’.
Enfin, elle remarque que Marie a fini sa vie à Éphèse, lieu du culte d’Isis, et où les marchands du temple qui manifestèrent contre Paul qui dut quitter la ville. Le culte de Marie à Éphèse date du 19e siècle.
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Nous avons publié en 2021 une étude de Jacqueline Marre en six parties sur La Laïcité que vous pouvez retrouver ici.
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Les Noces de Cana, épisode raconté par Luc. Aux noces d’un ami, alors qu’il n’y a plus de vin, Marie ordonne d’aller voir son Fils qui transforme l’eau en vin. C’est extraordinaire, c’est contraire à l’habitude, le vin le meilleur est servi à la fin du repas.
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Les évangiles sont pleins de différences les uns avec les autres, ils sont écrits au moins 30 ans après la mort du Christ, et largement prosélytes. Celui de Jean est le plus récent, fin 1er siècle. On dit que c’est le même Jean qui a écrit l’Apocalypse.