Bretoncelles :
La grève des “Piron” en 1975 sortie de l’oubli
Il a eu lieu et ce fut un succès ! Le spectacle consacré à la grève à l’usine Piron à Bretoncelles, en 1974–75, pour s’opposer à sa fermeture, préparé depuis plus d’un an par des dizaines de bénévoles autour de Denis Robert (association La Troisième Rive), Patrick Schweizer (ancien syndicaliste) et Jean-Baptiste Évette (écrivain), s’est en effet trouvé confronté à la volonté de la famille de l’ancien patron d’empêcher la représentation. Pour résumer : le maire de Bretoncelles (Daniel Chevée) avait d’abord donné son accord à ce que celle-ci soit donnée à la salle des fêtes à l’occasion des Journées du Patrimoine. La famille Piron a tant exprimé son indignation auprès des médias (‘’spectacle à but politique’’, ‘’on refuse qu’on salisse la mémoire de notre père’’) que le maire s’est finalement opposé à la location de la salle des fêtes et a interdit la déambulation prévue au prétexte de ‘’maintenir l’ordre dans l’espace public’’. Heureusement, la Préfecture ne l’a pas suivi, consciente sans doute qu’une entrave à la liberté de création artistique et au droit de lecture de l’Histoire aurait été injustifiable, et n’a donc pas prononcé d’interdiction.
La famille Piron a voulu empêcher le spectacle
À 15 h., ce 17 septembre, c’est près de 400 personnes qui se sont rassemblées devant le site de l’ancienne usine Piron. Dans un combat d’arrière-garde, plus ridicule qu’efficace, une douzaine de membres de la famille de l’ex-patron ont tenté de perturber la déambulation. D’une part, en tentant de couvrir les prises de parole, à l’aide de trompes, de klaxons et d’une sono portable… mais, la Fanfare Invisible de Paris a réduit ces efforts à néant en prenant la tête du cortège. D’autre part, et plus problématique, à plusieurs reprises, la famille Piron (dont des membres étaient venus de très loin) a placé des autos en travers de la route pour bloquer les participant·e·s… entraînant même l’intervention des gendarmes pour calmer leur ardeur ! Il a fallu aussi toute la maîtrise des organisateurs pour éviter tout incident face à ces provocations.
Porte-parole du comité de grève, Antoine Rubinat a expliqué les occupations
Lors du premier arrêt, devant la mairie, après le beau Chant des Ouvriers (1846) chanté par le Chœur de Chants de luttes de Bretoncelles, Antoine Rubinat (porte-parole CFDT du comité de grève en 1974–1975) a expliqué qu’alors l’occupation de celle-ci faisait suite à une AG où la continuation de l’occupation de l’usine (‘’là où nous travaillions, là où nous souffrions’’) était devenue, à son regret, minoritaire et qu’en contrepartie la mairie, ‘’la maison de tous’’ a été investie.
Devant la salle des fêtes, lors d’un nouvel arrêt, il a poursuivi ‘’la salle des fêtes, c’était une position de repli […] on a voulu en faire un point d’ancrage, un point de rebondissement… et on a rebondi, 1300 personnes ! Je remercie les comités de soutien, les paysans-travailleurs qui étaient là, je remercie tous ceux qui étaient sans étiquette mais qui étaient là pour nous soutenir ! Je ne vous remercierai jamais assez de me rajeunir de 50 ans !’’
Une mise en scène originale donnée sur un terrain privé
Après le refus de location de cette salle des fêtes pour le spectacle et la menace d’une interdiction dans l’espace public, les militant·e·s en charge de l’organisation du spectacle avaient aménagé un pré privé avec une scène (une remorque agricole), un stand de boissons, une exposition de documents sur la grève et quelques chaises et bancs, bien insuffisants pour accueillir toute la foule.
La mise en scène originale, où les acteurs et actrices se répondaient, répartis sur le plateau mais aussi au milieu des spectateurs/trices, a fait intervenir Le Chœur de chants de lutte accompagné par la fanfare, et des marionnettes de grande taille pour raconter cette lutte exceptionnelle. On en retiendra l’intensité des débats sur la conduite de la lutte ne masquant pas l’opposition de certains, la pugnacité des femmes, l’inconscience mêlée de désarroi des patrons-marionnettes pris de court par la radicalité de cette grève et leur ‘’licenciement’’. Les hésitations ou maladresses, parfois, de ces actrices et acteurs bénévoles ont donné à ce dialogue d’assemblée générale de lutte, une réalité accrue.
Les témoignages des anciens de Piron
À la suite de la représentation chaleureusement applaudie, une dizaine d’ancien·ne·s de Piron et des comités de soutien sont venu·e·s apporter leur témoignage pour confirmer les éléments égrainés dans la pièce et, en particulier, les décalages de salaires entre hommes et femmes et les dangers des presses vétustes dont les systèmes de sécurité étaient en panne ou inopérants. Les conditions de travail désastreuses ont entraîné, entre 1970 et 1973, huit accidents par amputation des doigts ou de la main complète, œil crevé, fractures, écrasements et autres…
Merci à tou·te·s les protagonistes de cette aventure Bretoncelles, et si un jour ça se passait ainsi pour avoir ressuscité ce pan de la mémoire ouvrière.
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Pour plus d’informations sur la grève, voir la vidéo.