Le Drouais Cyril Dion sur la loi Dupomb : Assemblée citoyenne délibérative !

Cyril Dion [portrait]Inventer un modèle agri­cole qui res­pecte la san­té des humains et celle des éco­sys­tèmes est pos­sible selon le mili­tant éco­lo­giste qui appelle dans Libération à l’organisation d’une assem­blée citoyenne déli­bé­ra­tive dont les pro­po­si­tions seraient sou­mises à référendum.

Nous repro­dui­sons cette tri­bune que vous pou­vez retrou­ver sur le site inter­net du quotidien.

*

Épandage de pesticides dans le Perche 1

Épandage de pes­ti­cides dans le Perche eurélien

À l’heure où j’écris ces lignes, plus d’1,4 mil­lion de per­sonnes ont signé une péti­tion lan­cée sur le site de l’Assemblée natio­nale par une étu­diante en «san­té envi­ron­ne­men­tale et res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive», pour deman­der l’abrogation de la loi Duplomb.

Pétition dont les condi­tions de signa­tures sont bien plus rigou­reuses que la majo­ri­té des péti­tions clas­siques. En plein mois de juillet. C’est de loin, la péti­tion qui a recueilli le plus de signa­tures sur le site de l’Assemblée. Plus encore que celle qui a déclen­ché le mou­ve­ment des gilets jaunes. Et le comp­teur conti­nue à mon­ter. Que se passe-t-il ? Comment expli­quer que tous ces gens se mobi­lisent au beau milieu des vacances pour une obs­cure his­toire d’acétamipride ?

À mon avis, il se passe une chose très simple. Un nombre gran­dis­sant de per­sonnes en a assez qu’une petite poi­gnée de res­pon­sables poli­tiques et de repré­sen­tants de l’élite éco­no­mique décident sans leur deman­der leur avis, s’ils vont conti­nuer à ingé­rer des pes­ti­cides, à boire de l’eau conta­mi­née, à regar­der leurs proches mou­rir du can­cer et à vivre sur une pla­nète où les insectes et les oiseaux sont éra­di­qués. Ce qui me semble être un signe de bonne san­té men­tale. De vigueur démo­cra­tique. Vous trou­vez que j’exagère ?

Commençons par les consé­quences sani­taires et éco­lo­giques de la loi. Des mil­liers de méde­cins, cher­cheuses et cher­cheurs sont sor­tis de leur réserve pour aler­ter les par­le­men­taires et les mettre en garde. 22 pré­si­dents de socié­tés savantes ont mar­te­lé que «l’adoption de la loi Duplomb repré­sen­te­rait un recul majeur pour la san­té publique». «La liste des patho­lo­gies en lien avec l’exposition pro­fes­sion­nelle aux pes­ti­cides ne cesse de s’allonger, tout comme celle des patho­lo­gies impac­tant la popu­la­tion géné­rale», ont écrit 1 300 autres scien­ti­fiques dans une tri­bune publiée par Médecins du monde. Parmi les­quels on peut recen­ser : troubles du com­por­te­ment, anxié­té, troubles cog­ni­tifs, lym­phomes, leu­cé­mies, can­cers de la pros­tate, atteintes sper­ma­tiques… (dont les pre­mières vic­times sont d’ailleurs les agri­cul­teurs que la fameuse loi Duplomb pré­tend pro­té­ger). Mises en garde répé­tées par la Ligue contre le can­cer, la Fondation pour la recherche médi­cale, le Conseil scien­ti­fique du CNRS, les per­son­nels de l’Agence natio­nale de sécu­ri­té sani­taire, la Fédération des mutuelles de France, la Fédération des régies d’eau potable…

On ne compte pas non plus les alertes éco­lo­giques. L’Institut d’écologie et d’environnement du CNRS, la CGT de l’Inrae, la qua­si-tota­li­té des ONG ont rap­pe­lé que les pes­ti­cides sont direc­te­ment incri­mi­nés dans l’éradication des popu­la­tions d’insectes, des oiseaux, dans la pol­lu­tion des sols et des eaux.

Pourquoi tous ces scien­ti­fiques se seraient-ils mobi­li­sés s’il n’y avait aucun risque comme le clament les défen­seurs de la loi ?

Déni démo­cra­tique

On peut alors se deman­der si ces alertes ont été écou­tées. Absolument pas. Au contraire. Pour évi­ter tout débat à l’Assemblée le bloc LR, RN, Renaissance a voté une motion de rejet sur son propre texte pour ren­voyer la dis­cus­sion à une opaque com­mis­sion mixte pari­taire, où il serait plus facile de cadrer les choses. Nouveau coup de force démo­cra­tique, qui fait mal­heu­reu­se­ment suite à un nombre incal­cu­lable d’autres coups de force dont 26 uti­li­sa­tions du 49.3 depuis 2022 et une réforme des retraites qui a été votée dans des cir­cons­tances très simi­laires, contre l’avis de l’immense majo­ri­té des experts et de la population.

Cette situa­tion est le symp­tôme d’un déli­te­ment démo­cra­tique plus pro­fond. De l’influence déme­su­rée d’intérêts pri­vés dans la déci­sion publique. Et de l’incapacité des ins­ti­tu­tions à répondre à des ques­tions complexes.

Aujourd’hui, tout le monde peut voir que les agri­cul­teurs et agri­cul­trices sont en dif­fi­cul­té. Mais tout le monde peut éga­le­ment voir que la bio­di­ver­si­té s’effondre et que le nombre de mala­dies liées aux pol­lu­tions envi­ron­ne­men­tales explose. La ques­tion est de savoir pour­quoi. Et de trou­ver une solu­tion globale.

Au lieu de ça, nous voyons des res­pon­sables poli­tiques oppo­ser ces deux enjeux à lon­gueur de jour­née et pra­ti­quer une stra­té­gie popu­liste de bouc émis­saire. «Si les agri­cul­teurs sont étran­glés, c’est à cause des normes impo­sées par les éco­lo­gistes.» La ficelle est grosse, sim­pliste, mais répé­tés ad nau­seam, les argu­ments finissent par faire mouche. En réa­li­té, les agri­cul­teurs sont exsangues pour les mêmes rai­sons que celles qui ont épui­sé l’hôpital public, l’école, etc. : tou­jours moins d’argent, de moyens, pour faire tou­jours plus de tra­vail ; la volon­té de pro­duire tou­jours plus, tou­jours moins cher. Et aus­si par des contraintes plus nom­breuses : le cli­mat qui change, les ren­de­ments qui stag­nent (à force d’avoir épui­sé les sols), les pol­li­ni­sa­teurs qui dis­pa­raissent, les mala­dies qui aug­mentent, les rive­rains qui ne veulent plus se faire asper­ger de pro­duits et donc davan­tage de normes pour répondre à tous ces enjeux…

Mais d’où viennent ces contraintes ? Des éco­lo­gistes ? Non, elles sont la consé­quence de poli­tiques éco­no­miques agres­sives (libre échange, concur­rence déloyale, pres­sions des grandes coopé­ra­tives et des grandes sur­faces pour bais­ser les prix, etc.) qui épuisent humains et écosystèmes.

Traiter le pro­blème à la source

Au lieu de s’attaquer à la racine du mal, ces élus et repré­sen­tants de l’industrie accusent les normes qui cherchent à limi­ter les dégâts. Le font-ils parce qu’ils sont stu­pides ? Non. Peut-être cherchent-ils juste à pro­té­ger les inté­rêts finan­ciers des quelques géants de l’agroalimentaires, de la chi­mie, des pes­ti­cides, que l’on retrouve à la tête de la FNSEA (Arnaud Rousseau est pré­sident du conseil d’administration d’Avril, géant de l’agroalimentaire) ou à l’origine même de cette loi (le séna­teur Duplomb est éga­le­ment pré­sident régio­nal du groupe lai­tier Sodiaal et membre du conseil de sur­veillance de Candia). Car lever les contraintes envi­ron­ne­men­tales, c’est sur­tout bon pour les affaires. Pas tel­le­ment pour la santé.

Si nous vou­lons réel­le­ment amé­lio­rer la situa­tion, nous avons besoin de trai­ter ces sujets dans leur com­plexi­té, de façon impar­tiale et d’inventer un modèle agri­cole qui res­pecte la san­té des humains et celle des éco­sys­tèmes. Tout en per­met­tant aux agri­cul­teurs de bien vivre de leur métier. Cela demande d’accorder des inté­rêts qui peuvent sem­bler contra­dic­toires, mais qui ne le sont pas forcément.

Car de nom­breux modèles agroé­co­lo­giques existent déjà, d’autres modèles de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion aus­si. Ce n’est pas simple, mais c’est pos­sible. Et ter­ri­ble­ment nécessaire.

A ce stade, il serait donc sage et res­pon­sable d’abandonner la loi Duplomb, qui ne sert que l’intérêt des nan­tis, pour enga­ger un débat plus vaste sur l’avenir des pes­ti­cides, de l’agriculture, où l’avis du plus grand nombre serait enfin entendu.

Par exemple en orga­ni­sant une assem­blée citoyenne déli­bé­ra­tive qui for­mu­le­rait des pro­po­si­tions ensuite sou­mises à référendum.

Ça aus­si, ça marche. Si on se donne le mal de res­pec­ter le pro­ces­sus jusqu’au bout.