N.Nicholovitch : “Notre histoire commune est faite de migrations”

L’Atelier aux Dos Tournés, est invi­té par Autrement, ATD-Quart Monde et Nogent-Terre d’Accueil, pour des repré­sen­ta­tions les 20 et 21 jan­vier pro­chains de leur créa­tion col­lec­tive « Your Position » sur le thème des migrants.  Nous avons inter­ro­gé Nathan Nicholovitch, le met­teur en scène (par cour­riel le 10/01/2018).

 

ensemble.forum28 : Vous avez réa­li­sé deux films de fic­tion de long métrage,  Casa Nostra (2013) et De l’ombre il y a (2018). Avec Your Position est-ce votre pre­mière incur­sion dans le domaine du théâtre ? Vous avez mis en place l’Atelier aux Dos Tournés avec des par­te­naires avec les­quels vous avez tra­vaillé pour le ciné­ma. Pouvez-vous nous dire com­ment est né ce col­lec­tif et pour­quoi l’avoir dénom­mé « atelier » ?

 

Nathan NicholovitchNathan Nicholovitch : Mon tra­vail de cinéaste se construit conjoin­te­ment à la mise en scène pour le théâtre. Dans les deux cas, mon désir se trouve tou­jours au même endroit : être accom­pa­gné des comé­diens et col­la­bo­rer avec eux. L’Atelier aux dos tour­nés a été créé il y a une dizaine d’an­nées — au départ c’était un espace d’expérimentation pour pas mal de gens…  On avait en com­mun cette envie de faire des choses. Il y avait des acteurs débu­tants, ama­teurs et d’autres pro­fes­sion­nels. Une des choses impor­tantes défi­nie au départ dans cet ate­lier, c’est qu’il n’y ait pas d’autre objec­tif que le jeu — seule­ment l’expérience du jeu. Il n’y avait pas de réa­li­sa­tion de film en vue, pas de pièce de théâtre à pro­duire, ni de repré­sen­ta­tion quel­conque… Nous vou­lions sim­ple­ment jouer, trou­ver des méthodes de jeu et les éprou­ver sans aucune obli­ga­tion de résul­tat. C’était le contrat. Tout le monde appor­tait des textes, des scènes de ciné­ma, de théâtre, de la poé­sie… Mon pre­mier long-métrage, Casa Nostra, est né de cette approche et de cet appren­tis­sage com­mun. Le désir de mettre en scène pour le théâtre est venu dans sa conti­nui­té. En 2011, nous avons pro­duit un pre­mier spec­tacle : Aux Suivants, puis une seconde pro­po­si­tion en 2012 : Personne n’échappe à son enfance.… Et nous tra­vaillons actuel­le­ment sur un nou­veau spec­tacle inti­tu­lé SCOP, l’histoire des employés d’une usine de sous-vête­ments qui s’or­ga­nisent col­lec­ti­ve­ment pour sau­ver leur usine et leurs emplois.

 

Your Position est donc une « créa­tion col­lec­tive ». Celle-ci a‑t-elle fonc­tion­né à toutes les étapes, écri­ture, mise en scène, jeu… ?

 

C’est tou­jours très vivi­fiant de pen­ser et fabri­quer les choses à plu­sieurs… Dans l’Atelier, nous avons des rôles défi­nis mais fort heu­reu­se­ment ils sont poreux — c’est très simple : le jeu doit conti­nuel­le­ment enri­chir la mise en scène et inver­se­ment. Il y a peu de choses, d’i­dées pré­vues trop en amont, tout naît du pla­teau — de ce que l’on observe et res­sent à l’in­té­rieur et l’ex­té­rieur de la scène. Il y a de la place pour ce fonc­tion­ne­ment et cette parole-là, pour ce tra­vail en allers-retours. Le tra­vail se vit donc indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment à toutes les étapes. Plus pré­ci­sé­ment, l’é­cri­ture de Your Position part d’im­pro­vi­sa­tions sur le pla­teau et d’ap­ports de textes d’o­ri­gines diverses — docu­men­taires, uni­ver­si­taires, extraits radio­pho­niques — pro­po­sés par les uns et les autres, et enfin Clo Mercier a aus­si écrit une par­tie du spec­tacle d’a­près son expé­rience de tra­vailleuse sociale sur les cam­pe­ments… C’est donc une somme de conte­nus pro­gres­si­ve­ment agré­gés et que j’ai eu la charge d’é­la­guer et d’agencer.

Pourquoi avoir choi­si le sujet des migra­tions et par­ti­cu­liè­re­ment celui de l’accueil des per­sonnes qui quittent leur pays ?

 

D’abord pour nous y inté­res­ser, pour dépas­ser le sen­ti­ment d’im­puis­sance qui nous habite tous d’une manière ou d’une autre vis-à-vis de cette dite crise migra­toire. Trouver aus­si un espace de résis­tance à la peur et au repli sur nous-mêmes que nos poli­tiques et les grands médias nous imposent. Dans leur dis­cours, l’é­tran­ger ne devient plus qu’une menace. On cherche à l’an­nu­ler, il ne fau­drait que du proche, du sem­blable… — c’est ter­ri­fiant comme idée, non ? On nous pro­pose de débattre sur l’i­den­ti­té natio­nale plu­tôt que de s’in­té­res­ser au fait que la France, pays colo­ni­sa­teur et impé­ria­liste, est en par­tie res­pon­sable des guerres qui agitent le Moyen Orient, l’Afrique et par consé­quent des causes réelles de ces migra­tions. Le trai­te­ment par l’État de ces per­sonnes en situa­tion de pré­ca­ri­té et de détresse est bru­tal et dégra­dant, et pour­tant il conti­nue de se tar­guer de valeurs huma­nistes uni­ver­selles — c’est sidé­rant. Pour sor­tir de la sidé­ra­tion, on peut pen­ser, cher­cher à com­prendre… Notre his­toire com­mune est faite de migra­tions — on en trouve trace dans nos ADN à tous. Et notre iden­ti­té est tou­jours mul­tiple, en mou­ve­ment — sinon elle meurt. Notre iden­ti­té c’est jus­te­ment l’ailleurs.

Your Position 02Il y a une néces­si­té pour nous de cher­cher des pistes de com­pré­hen­sion du mou­ve­ment de ces hommes et ces femmes, en s’ai­dant de pen­sées plus diverses, plus riches – poli­tiques, his­to­riques, socio­lo­giques, juri­diques, voire psy­cha­na­ly­tiques… Comme le dit un des per­son­nages de la pièce : Le dis­cours poli­tique et le dis­cours des poli­tiques sur la crise des réfu­giés n’est pas à la hau­teur des mobi­li­sa­tions col­lec­tives réelles, concrètes, que sus­cite cette crise sur le ter­rain. L’hypothèse de Your Position étant que le théâtre pou­vait faire éprou­ver, faire réson­ner ces dif­fé­rentes pen­sées, comme autant de chambres d’é­chos et de che­mins possibles.

 

Sur ce type de sujet « brû­lant » qui peut divi­ser ou, au contraire, faire émer­ger des soli­da­ri­tés, quel est, selon vous, l’apport spé­ci­fique de l’expression théâtrale ?

 

L’apport pour le spec­ta­teur est le même que pour nous lorsque nous pen­sons, écri­vons et jouons Your Position. Il y a d’a­bord le constat que nous sommes sou­vent en mécon­nais­sance du sujet, que nous le subis­sons avec le sen­ti­ment com­mun d’être impuis­sants au cours des choses. C’est une pre­mière chose de par­ta­ger ce sen­ti­ment-là. Que der­rière les effets d’an­nonces, d’autres réa­li­tés d’ac­cueil existent, que des choses sont pos­sibles, sont ren­dues pos­sibles. Il y a dans Your Position cette idée très simple de tendre un miroir au spec­ta­teur pour qu’il le tra­verse… Un miroir à plu­sieurs facettes qui tente modes­te­ment de résis­ter à la peur de l’autre, de l’exi­lé et d’ac­cueillir au contraire d’autres réa­li­tés sur la migration.

Pour finir puisque l’oc­ca­sion s’y prête, j’in­vite ceux qui le sou­haitent — comme un pro­lon­ge­ment au spec­tacle, à s’in­for­mer auprès du CNR — le Collectif pour une Nation Refuge, qui ras­semble col­lec­tifs, asso­cia­tions et per­sonnes qui luttent pour un véri­table accueil des per­sonnes exi­lées en France. Une autre manière de ne pas subir.