Loi Collomb-Macron
L’asile dans la tourmente

Le 21 février, le ministre de l’Intérieur a ren­du public son pro­jet de loi inti­tu­lé « Pour une immi­gra­tion maî­tri­sée et un droit d’asile effec­tif ». Ce titre n’est pas ano­din, il fait entendre qu’il y a un lien indu­bi­table entre le bon accueil pour une mino­ri­té choi­sie et l’expulsion rapide du plus grand nombre, que la France ne peut pas faire autre­ment.  Ce pro­jet qui sera étu­dié en com­mis­sion à la Chambre des dépu­tés en mars et débat­tu en avril concerne à la fois les dubli­nés(1), les débou­tés du droit d’a­sile et les sans-papiers en attente d’une régu­la­ri­sa­tion de leur situa­tion. Il vise fina­le­ment à dis­sua­der de venir en France afin de dimi­nuer le nombre de demandes d’asile. Et il conforte le rejet de l’étranger.

Ce pro­jet uti­lise des moyens excep­tion­nel­le­ment coercitifs.

Il res­treint les droits fon­da­men­taux des per­sonnes et bafoue leur dignité

Un asile sélec­tif et élitiste

Le pro­jet de loi l’annonce sans détour dès le début : l’un de ses buts est d’améliorer les condi­tions d’accueil des « talents étran­gers » (pro­fes­sion­nels hau­te­ment qua­li­fiés, étu­diants, cher­cheurs), dans l’intérêt du « dyna­misme éco­no­mique et du rayon­ne­ment lin­guis­tique et cultu­rel » de notre pays. Ce texte est bien dans la droite ligne des dif­fé­rentes réformes du droit d’asile depuis une dizaine d’années : on se sou­vient de « l’émigration choi­sie » de N. Sarkozy. On peut noter l’absence d’évocation des cir­cons­tances qui jettent ces mil­liers de per­sonnes sur les routes dan­ge­reuses de l’exil, sauf pour jus­ti­fier les mesures par une dif­fé­rence sup­po­sée évi­dente entre per­sonnes pou­vant pré­tendre à l’asile et migrants dits éco­no­miques, dif­fé­rence que les spé­cia­listes manient avec beau­coup de pru­dence. Au regard de la Déclaration uni­ver­selle des Droits de l’Homme(2), cette dis­tinc­tion n’a aucun sens !

Ce pro­jet pré­sente deux ou trois mesures que l’on peut consi­dé­rer comme posi­tives : la pro­tec­tion sub­si­diaire(3) pas­se­rait d’un an à quatre ans ; la pro­tec­tion des jeunes filles ris­quant l’excision serait amé­lio­rée ; l’asile accor­dé à un mineur per­met­tra la réuni­fi­ca­tion fami­liale incluant ses frères et sœurs mineurs ; la demande d’asile d’un adulte venu avec ses enfants mineurs, concer­ne­ra aus­si ses enfants. Ces rares mesures sup­po­sées « équi­li­brer » le texte de loi ne concer­ne­ront qu’un nombre res­treint de personnes.

L’alarmisme du gou­ver­ne­mentRéalité des chiffres

Fred Sochard Rocard La France ne peut pas accueillir

Dessin de Fed Sochard

Dès l’exposé des motifs le texte pré­sente l’immigration comme un flux, une crise et une pres­sion. C’est une trom­pe­rie. Même si l’on a dépas­sé le chiffre des 100 000 demandes d’asile en 2017, les deman­deurs d’asile ne repré­sen­taient que 0,13% de la popu­la­tion fran­çaise en 2016. Si l’on com­pare avec les demandes faites dans tous les pays d’Europe, la France n’était sou­hai­tée que par 7% cette même année(4). Un deman­deur d’asile sur 3 en moyenne obtient une pro­tec­tion en tant que réfu­gié ou apa­tride(5) ou une pro­tec­tion sub­si­diaire. En 2017 la France a accep­té 36% des demandes, en légère baisse. Au niveau mon­dial elle vient se pla­cer au 15ème rang sur 31 pays étu­diés(6). On est loin du « grand rem­pla­ce­ment » qu’agite l’extrême-droite.

Restreindre l’accès aux droits

Toutes les asso­cia­tions voient dans ce texte une volon­té d’expulser davan­tage et plus vite. Les pre­mières vic­times seraient les dubli­nés qui ont eu le mal­heur d’être contraints de lais­ser leurs empreintes dans le pays de l’espace Schengen par lequel ils sont entrés, ou dans un autre pays. Le but est de les iden­ti­fier le plus tôt pos­sible pour les pla­cer sous sur­veillance dans les Centres de réten­tion admi­nis­tra­tive (CRA) dans l’attente que le pays concer­né les reprenne. La réa­li­té est pour­tant bien connue : pour ce qui est de l’Italie, elle les ren­voie ou les enferme. Quand ils reviennent ils se retrouvent dans l’illégalité. Le cynisme de cette chasse aux dubli­nés, à l’œuvre dans toute l’Europe, s’accompagne de la volon­té par­ta­gée par les pays de ne pas remettre ce règle­ment Dublin en ques­tion, au contraire, ils se dirigent vers une ver­sion Dublin IV.

Ce tri ini­tial, G.Collomb a ten­té dès décembre de le rendre effec­tif dans les Centres d’hébergement d’urgence. Les asso­cia­tions, una­nimes, rap­pellent le carac­tère incon­di­tion­nel de l’accueil et refusent de coopérer.

Le texte vise aus­si les actuels sans-papiers qui se trou­ve­ront criminalisés.

Réduire les délais de dépôt et de trai­te­ment des dossiers

Pour les deman­deurs d’asile la règle sera de réduire leur temps de pré­sence sur le ter­ri­toire, lorsqu’on n’a pas réus­si à les éloi­gner grâce à la pro­cé­dure Dublin. 90 jours et non plus 120 à comp­ter de leur arri­vée sur le ter­ri­toire pour dépo­ser leur demande d’asile en pro­cé­dure nor­male. Passé ce délai, le dos­sier sera ins­truit en « pro­cé­dure accé­lé­rée » ce qui a pour prin­ci­pal effet de pri­ver le deman­deur de cer­tains droits, rédui­sant ses chances de béné­fi­cier du sta­tut de réfugié.

Résistons à bras ouverts fond noir

Visuel des États Généraux des Migrations #EGMigrations

Pour les débou­tés de l’OFPRA(7), le délai de recours auprès de la CNDA(8) pas­se­rait d’un mois à quinze jours. Cette cour natio­nale, der­nière chance des deman­deurs, repêche des mil­liers de per­sonnes chaque année à condi­tion d’avoir le temps d’instruire sérieu­se­ment les dos­siers. Cependant, les syn­di­cats de la CNDA, en grève en février, ont fait savoir qu’en 2014 ils n’ont pas pu trai­ter cor­rec­te­ment 16% des dos­siers et qu’en 2017 c’est pas­sé à 30 %.  Qu’en sera-t-il si la nou­velle loi passe ?

Des tech­niques qui feront gagner du temps ont été ima­gi­nées : la vidéo-audience qui devien­drait obli­ga­toire est désta­bi­li­sante et déshu­ma­ni­sante pour la per­sonne ; l’envoi des convo­ca­tions et déci­sions par « tous moyens » élec­tro­niques (et non plus par cour­rier recom­man­dé), peut avoir comme consé­quence que l’information n’arrive pas jusqu’à la personne.

Le soup­çon et l’enfermement : là, les délais s’allongent !

Une autre carac­té­ris­tique du pro­jet de loi est la pro­pen­sion au soup­çon. Les deman­deurs sont sus­pec­tés de tri­che­rie et de volon­té de fuite. Ce qui per­met de jus­ti­fier, par exemple, le pas­sage de la rete­nue admi­nis­tra­tive pour contrôle du droit de séjour de 16h à 24heures, la trans­for­mant en une sorte de garde à vue. Et pour­tant, à l’entrée d’un pays, la loi euro­péenne ne consi­dère pas l’absence de papiers comme un délit.

Centre de Rétention Administrative Loudéac

Un Centre de Rétention Administrative (Loudéac)

Autre cas : lorsqu’un deman­deur est débou­té, il peut béné­fi­cier d’un délai de départ volon­taire pour quit­ter le pays. Désormais, ce DDV serait de plus en plus rare, l’État pré­fé­rant l’enfermement dans un Centre de réten­tion admi­nis­tra­tive (CRA) en atten­dant d’obtenir le visa consu­laire qui per­met­tra de faire voya­ger la per­sonne vers son pays. Le délai de pré­sence dans un CRA pas­se­rait de 45 à 90 jours, et même 135. Or, les juges de l’asile répètent qu’actuellement, la moyenne est de 14 jours, au-delà, très peu de pays répondent favo­ra­ble­ment à la demande ! Quel est donc le but recher­ché en main­te­nant ces per­sonnes dans l’angoisse, dans un lieu d’enfermement qu’aucune ne mérite ? Les asso­cia­tions l’affirment : il s’agit de créer un sen­ti­ment de peur chez ces débou­tés, de décou­ra­ger leur retour en France ain­si que l’afflux d’autres hommes et femmes qui rêve­raient encore de trou­ver pro­tec­tion dans notre pays.

Expulser, inter­dire le retour.

Et, pour cou­ron­ner le tout, le minis­tère de l’Intérieur a pré­vu de par­ta­ger ces règles avec les autres pays euro­péens.  En effet, le pro­jet sor­ti du cer­veau de Mr Collomb invente de nou­velles mesures. L’interdiction de cir­cu­ler en France, pour une durée pou­vant aller jusqu’à 3 ans, pour­rait accom­pa­gner la remise de la per­sonne à un autre état :  cette mesure s’inspire de l’interdiction de cir­cu­la­tion de 2016 pour les Roms.

 Le délit de fran­chis­se­ment non auto­ri­sé des fron­tières de l’espace Schengen serait assor­ti d’un an de pri­son et 3750 € d’amende si le/la migrant.e a péné­tré en France sans emprun­ter « un pas­sage fron­ta­lier pen­dant ses heures d’ouverture » !…  Cet article tient pour nulle la Convention de Genève de 1951 qui énonce la règle du non-refoulement !

Cet arse­nal de mesures est indigne ! Il conforte les sen­ti­ments d’indifférence, de xéno­pho­bie et de racisme d’une par­tie de l’électorat que ce gou­ver­ne­ment, comme les pré­cé­dents, pense ain­si gagner. Quant à la tac­tique consis­tant à mettre dans la balance un trai­te­ment amé­lio­ré pour les réfu­giés accep­tés c’est une hon­teuse pro­pa­gande ! Notre pays peut et doit accueillir plus lar­ge­ment. Il en a les moyens en tant que 5ème puis­sance mondiale.

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  1. Dublinés : nom don­né aux per­sonnes migrantes qui ont été contrô­lées (notam­ment empreintes digi­tales) à leur entrée dans un autre pays de l’espace Schengen. Le Règlement Dublin III les oblige à repar­tir dépo­ser leur demande d’asile dans ce pays. Le Règlement Dublin III   a été adop­té en Europe en jan­vier 2014.
  2. Déclaration uni­ver­selle des Droits de l’Homme : adop­tée par l’Assemblée géné­rale des Nations Unies en 1948 à Paris.
  3. Protection sub­si­diaire : accor­dée tem­po­rai­re­ment à toute per­sonne qui est expo­sée dans son pays à des menaces graves
  4. 0,13%- 7% : don­nées four­nies par INED- Population et Sociétés — N°552 — 2018 — L’admission au séjour des deman­deurs d’asile en France depuis 2000.
  5. Apatrides : Pour diverses rai­sons, his­to­riques ou per­son­nelles, ces per­sonnes ne peuvent béné­fi­cier de la pro­tec­tion d’un état. Plusieurs conven­tions inter­na­tio­nales demandent de ne pas recréer de l’apatridie.
  6. 15ème rang : France Terre d’Asile — Politiques d’intégration : 31 pays à la loupe.
  7. OFPRA : Office fran­çais de pro­tec­tion des réfu­giés et apatrides.
  8. CNDA : Cour natio­nale du Droit d’asile