Chez les Gilets Jaunes percherons :
les colères cherchent leur voie
Après leur installation sur le rond-point de Margon de la D923, Chartres-Le Mans, les 200 à 300 personnes recensées au début du mouvement n’ont pas chômé pour améliorer l’intendance et assurer une présence nuit et jour. Les personnes qui se sont mobilisées ne sont pas là par hasard ou par simple solidarité : sur le secteur de Nogent-Margon la majorité des Gilets Jaunes est composée de salarié.e.s ou ex-salarié.e.s (les Valéo ont parfois enfilé le gilet de l’entreprise), de privé.e.s d’emploi, de petits entrepreneurs ou artisans-routiers ou du secteur du bâtiment — beaucoup venant des villages plus ou moins proches, contraints d’utiliser leur voiture. Des retraité.e.s parlent de leur pension plus que réduite (630€, 850€… après 40 années de travail), des salarié.e.s ou demandeurs.ses d’emplois évoquent leurs handicaps, conséquences des conditions de travail subies, atteintes physiques autant que morales quand l’entreprise les a mis.e.s à l’écart.
Quelles formes d’action choisir ?
Pour leur deuxième assemblée, le vendredi 21 décembre à 20h30, les Gilets Jaunes de Nogent-le Rotrou ont une nouvelle fois bénéficié de la halle de Margon. Se sont retrouvés une bonne centaine d’entre eux et quelques dizaines d’auditeurs venus soutenir ou s’informer. D’autres Gilets Jaunes représentaient les mobilisations de Chartres, Illiers, Courville et même La Ferté-Bernard et Mortagne, des départements limitrophes. Après la présentation de porte-paroles (que de plus en plus de Gilets Jaunes de Nogent-Margon considèrent comme auto-proclamés), le groupe organisateur a peiné à traiter du fond, la discussion ayant commencé par des questions abruptes : qui est d’accord pour participer au blocage des ronds-points ou à des ouvertures de péages du secteur ? D’autres personnes prennent la parole pour faire entendre quelques avis sur les déclarations du chef de l’État. Quelques Gilets Jaunes de Nogent insistent sur l’insuffisance criante des annonces de Macron et demandent qu’il y ait d’abord une discussion sur le fond puis sur les formes d’action capables de maintenir le soutien de la population. D’autres affirment bruyamment que des actions violentes sont les seules efficaces pour effrayer le président et le faire céder. Un autre présente le Référendum d’Initiative citoyenne (RIC) et conseille de se mobiliser pour défendre la démocratie participative. Devant l’énervement ambiant, certains Gilets Jaunes venus d’autres villes expliquent l’intérêt d’élaborer des listes de revendications et des explications destinées à la population. Ils insistent : les violences nuisent au mouvement. Certains mobilisés de Margon réagissent vivement à ces propos, à leurs yeux « trop gentils », et le groupe qui est allé manifester à Paris est appelé à témoigner des fouilles multiples et des violences policières subies le samedi précédent. Entretemps, des auditeurs apparemment déçus avaient quitté la salle. En fin de compte, le calme revenu, des échanges constructifs ont pu avoir lieu. Avec ce jugement final : « faisons montre de notre colère avec intelligence », « la violence va nous faire du mal ».
Deux ronds-points, deux méthodes
Les conséquences de cette séance mouvementée se sont vues dès le lendemain. Deux lignes se dessinaient déjà lorsqu’un groupe avait commencé à se montrer sur le rond-point Michel-Hoguet situé à la sortie de Nogent-le-Rotrou, vers Berd’huis et la route d’Alençon. Endroit assez fréquenté par les voitures mais aussi par des habitants du quartier populaire des Gauchetières se rendant dans les grandes et moyennes surfaces du secteur. Finalement ce groupe a grossi et a installé un brasero, un abri de fortune, une table et le lot de palettes quotidien. Sous l’impulsion de 4 ou 5 personnes (dont les adhérents de syndicats qui sont maintenant acceptés), les discussions ont abouti à l’élaboration d’une liste de principes et de revendications précises, en particulier en réponse aux mesures que le président Macron a dû concéder dans son allocution du 10 décembre. Des pancartes bien visibles ont été installées au centre du rond-point, les automobilistes et routiers sont informés par tract. Une marche vers le marché de Nogent est prévue, la demande faite auprès de la Sous-Préfecture.
À Margon, après l’insistance de la gendarmerie, le campement a été démonté puis réinstallé de l’autre côté de la rocade qu’il a suffi de traverser. Cabane plus confortable au milieu du bosquet d’arbres et feu de palettes près de la route. Les projets des occupants restent centrés sur la présence aux manifestations parisiennes.
Toutes ces actions sont évidemment suivies de près par les gendarmes. À l’approche des fêtes de fin d’année, ils ont tenté de faire appliquer la consigne de libération des ronds-points, avec parfois de vives frictions verbales au rond-point de Margon, mais il semble que la Préfecture ait prôné la négociation. Toutefois, début janvier, les Gilets Jaunes des deux ronds-points se plaignaient de pressions : demande de retrait de voitures présentées comme gênantes, de pancartes au ton satirique (mais cependant non injurieux) et autres exigences, faisant s’interroger les militants sur les limites que l’État cherche à imposer aux libertés d’expression et de manifestation.
Vendredi 4 janvier : une projection en plein-air sur le rond-point Michel-Hoguet
À 18h une vingtaine de Gilets Jaunes se retrouvent pour regarder ensemble une vidéo : les deux appels du groupe de Gilets Jaunes de Commercy, dans la Meuse. Il s’agit d’un projet d’« Assemblée des assemblées » : une grande réunion nationale des comités populaires locaux le 26 janvier, pour débattre des suites du mouvement. La déclaration du 30 décembre affirme : « Nous avons compris que nos véritables ennemis, ce sont les quelques détenteurs d’une richesse immense qu’ils ne partagent pas : les 500 personnes les plus riches de France ont multiplié par 3 leur fortune depuis la crise financière de 2008, pour atteindre 650 milliards d’€ !!! »
À Nogent-le-Rotrou, il est décidé de prendre contact avec des groupes voisins d’Eure-et-Loir, de l’Orne ou de la Sarthe afin d’échanger sur les programmes et les formes d’action, de s’entraider si nécessaire. Le groupe compte aussi améliorer ses moyens de communication en interne et vers la population. Dans la bonne humeur, rendez-vous est donné à toutes et tous pour 9h le lendemain matin afin de se rendre sur le marché de Nogent et vers les grandes surfaces, la pétition en main.
Samedi 5 janvier : pari gagné
50 personnes sont prêtes à partir à 9h30. Deux voitures de gendarmerie encadrent le groupe. L’optimisme domine, les slogans sont repris : sur les thèmes de la pauvreté, de la revalorisation des salaires et des pensions, des privilèges à abattre, de l’arrogance du chef de l’Etat, sans oublier la démission de Macron.
Les passants et les automobilistes reçoivent le tract-pétition avec le sourire ou, parfois, sans enthousiasme. Une entorse au parcours est faite pour s’arrêter 5 minutes devant la résidence du Sous-Préfet.
Tout en enfilant leur gilet jaune d’autres personnes rejoignent le défilé sur le marché de la place du 11 août. Plus loin, le groupe passe au milieu des stands des commerçants puis se dirige, par une longue marche, vers la grande surface Intermarché avant de revenir au point de départ. Les participants se disent satisfaits de leur nombre et de l’esprit pacifique et déterminé de cette démonstration. Les suites sont maintenant à mettre en place car le sentiment d’injustice ne faiblit pas. La cohésion du groupe des occupants de ce rond-point s’est renforcée.