Soirée studieuse des Gilets
Jaunes à Chartrexpo
Vendredi 12 avril dès 18 h. 30, les Gilets Jaunes (GJ) et tous les citoyens intéressés, conviés par la Team Chartres, entrent dans la salle Ravenne. On comptera 250 à 300 personnes au cours de la soirée de « conférences citoyennes » qui s’est achevée à 23 h. 30, un peu moins que le 15 février dans le même lieu. Rap et impro ont ouvert et clôturé dans une ambiance festive et combative. Lors des deux débats, les spectateurs avaient moins d’une minute pour poser une question, ce qui ne permet pas de développer une petite argumentation, à tel point que dans la salle un auditeur s’est exclamé « vous êtes en train de montrer le contraire de ce que vous êtes en train d’exposer depuis trois-quart d’heure [la démocratie horizontale]. Ce n’est pas forcément satisfaisant ».
1ère conférence : Revendications et mutations possibles du mouvement
Les quatre premiers invités vont s’installer pour un premier plateau sous la forme d’une table ronde : Priscillia Ludosky (1), Juan Branco (2), Philippe Pascot (3), Pascal Dunord (4) traitent le thème des revendications et des mutations possibles du mouvement, Hakim Löwe (5) tenant le rôle de l’animateur.
Selon Branco, ce mouvement social se situe dans un contexte d’affaiblissement des syndicats, il parle de trahison de la part de directions syndicales, de volonté de garder leurs « privilèges » d’intermédiaires entre l’État et les travailleurs mais il relève la présence de militants de base auprès des Gilets Jaunes. Malgré ces critiques, il compte la création de la Sécurité Sociale (en 194… ) et des services publics comme exemplaires. Dans la perspective d’actions à venir, Branco évoque la possibilité de provoquer une « bascule » qui inverse le rapport de force. Pour cela il appelle à se concentrer sur la journée du 1er mai, plutôt à Paris.
Système de corruption au niveau de l’État
Sa description des privilégiés du système se fait plus précise. Il explique que les hommes politiques favorisent les oligarques parce qu’ils pourront influencer les citoyens par les médias que l’État leur cède, dans l’intérêt de leurs carrières politiques. Il dénonce les faveurs, les arrangements qui permettront à quelques dizaines de personnes de « se nourrir sur la bête », en détournant des sommes d’argent qui permettent l’attribution de contrats, la privatisation d’entreprises publiques, etc. Branco cite comme exemple François Hollande qui a demandé à Patrick Drahi (6) de racheter des titres de presse, en échange de l’autorisation du rachat de SFR. Bilan, 5 000 suppressions d’emplois. Pour mettre fin à ce système de compromissions à coup de millions ou de milliards d’€, seule une véritable révolution citoyenne permettra de mettre en place une 6e République. À plusieurs reprises, il dénonce le manque d’indépendance des médias.
Grand et Vrai Débat
Pascot note que les GJ se sont éveillés au grand étonnement des décideurs. Depuis le 17 novembre, « le peuple veut comprendre » et parle de justice sociale et fiscale.
Priscillia Ludosky appelle à cesser d’être « cloisonnés ». Elle insiste sur le fait que l’État ne répond pas aux questions et arguments, il choisit de répondre par la répression judiciaire et policière. Elle dénonce la recherche d’endormissement par le Grand Débat et le satisfecit de l’État. Elle évoque les 25 000 propositions issues du Vrai Débat organisé par la plateforme des GJ. Les grands médias n’en ont pas parlé alors que les discussions riches de ce Vrai Débat étaient constructives, avec peu de débordements agressifs.
Crise de la représentativité
De son côté, Lenord ferraille contre l’URSSAF et d’autres organismes collecteurs des cotisations sociales patronales qui placent l’argent en bourse alors que, explique-t-il, ce sont des organismes de droit privé non déclarés au tribunal du commerce et des sociétés. Il dit se battre pour les artisans qui sont sous la menace des huissiers. Il a pour l’instant perdu ses procès.
Branco revient sur la puissance de l’élite et la quasi impossibilité pour les travailleurs modestes d’accéder aux grandes écoles, le mythe de la méritocratie réussissant à faire accepter cette injustice sociale. Ce qui explique la crise de la représentativité que le pays connaît actuellement.
La poursuite du mouvement et la diversification des formes d’action ont été présentées comme nécessaires.
2ème conférence : Référendum d’initiative citoyenne
Après une brève interruption consacrée à une petite restauration préparée par des bénévoles, la deuxième conférence se consacre essentiellement au revenu d’initiative citoyenne, le fameux RIC qui fleurit sur certains gilets jaunes. Si Philippe Pascot est toujours sur le plateau, Hakim Löwe accueille maintenant Matthieu Niango (7) et Raul Magni-Berton (8).
Qu’est-ce que le RIC ?
Ce dernier commence par tenter une définition du RIC : c’est un droit individuel permettant de lancer une procédure afin de modifier, abroger, rejeter ou proposer une loi. Pascot, lui, insiste sur le RIC révocatoire pour les élus « Dans tous les domaines ceux qui ne font pas correctement leur boulot sont virés, pas les députés ! » Niango affirme que « Le système représentatif sert à priver le peuple de ses droits. »
Co-construire un RIC partagé
Le RIC existe dans de nombreux pays mais sous des formes variées et avec des conditions de mise en œuvre plus ou moins drastiques (seuil plus ou moins élevé de signatures pour enclencher le processus). Un participant remarque « Le RIC existe depuis cent ans dans certains états des États-Unis, or, c’est toujours un pays capitaliste, voire le pire du monde. Est-ce que c’est le bon exemple pour représenter le RIC ? » Réponse de Magni-Berton : « Il y a des endroits où les gens ont envie d’être anticapitalistes et d’autres non. Il faut accepter le principe majoritaire. » Mais comment imposer la mise en place du RIC sachant que « Si les élites l’accordaient , ce serait rogner sur leurs privilèges » (Pascot) ? Niango pense qu’il sera « arraché si le projet est clair. Ce qui nécessite des propositions minimales où tout le monde est d’accord. » C’est pourquoi des associations (Article 3, Mouvement pour l’Initiative Citoyenne…) se sont regroupées pour une co-construction. « Vous êtes les bienvenus. » Un site participatif est mis en place.
Le RIC ou remplir le frigo ?
Mais un auditeur conteste : « Le RIC dans la situation actuelle, avec notre gouvernement, c’est inapplicable et ça ne passera jamais. Pour moi, c’est pas la priorité du moment. La priorité, c’est comment on fait pour remobiliser et que le gouvernement puisse plier ? C’est pas le RIC qui va donner aux gens de l’argent pour les fins de mois, qui va remplir le frigo et qui va faire en sorte qu’on soit moins ponctionné. » Pascot rétorque : « Si on n’obtient pas le RIC, on n’obtiendra que des choses illusoires et il faudra recommencer dans cinq ans. La base de la démocratie à mettre en place c’est de les forcer à nous donner le RIC et après le frigo sera rempli. » Magni-Berton nuance « Ce n’est pas séparé : la démocratie, c’est pour avoir à manger. »
Le RIC en toutes matières
Une participante demande si le RIC pourrait porter sur plus de pouvoir aux salariés dans l’entreprise ? Le même Magni-Berton répond : « Si le RIC intègre l’aspect constitutionnel, on peut faire un RIC sur tout, même sur dépouiller tous les capitalistes ! »
Dans la salle : « Il faut un RIC ‘en toutes matières’ notamment fiscale. Et aussi au niveau de la couverture médiatique… si 90% de nos médias sont contrôlés par certaines personnes, on peut arriver à voter contre nos intérêts ! » Pascot bondit : « Les gens sont pas cons. Il y a l’information horizontale. Même s’ils essaient de nous manipuler, nous sommes suffisamment intelligents pour contrer ça. » Niango est vigilant : « C’est un vrai risque, c’est pourquoi il faut encadrer sévèrement les campagnes publicitaires autour des RIC. »
Benoît Le Cam (GJ Chartres) conclut la conférence : « On est une source d’espoir. C’est dans le collectif, qu’on peut changer les choses. On crève sous le poids du boulot, et on vient nous dire Faut que tu travailles plus longtemps. Le travail c’est la santé, mais c’est aussi un partage. Pour faire changer les choses, arrêtons d’être des moutons. »
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- Sa pétition «pour une baisse des prix du carburant à la pompe », publiée en mai 2018, est l’une des sources du mouvement des Gilets Jaunes.
- C’est un avocat, universitaire, journaliste et militant politique proche de La France Insoumise et de l’extrême-gauche [Wikipedia], auteur de Crépuscule.
- Ancien conseiller régional PRG d’Île-de-France et ancien adjoint de Manuel Valls à Évry, essayiste, auteur de nombreux livres sur les abus de pouvoir d’une minorité.
- Artisan retraité se présentant comme spécialiste des questions fiscales.
- Spécialiste du référendum d’initiative citoyenne (RIC).
- Principal actionnaire, entre autres, de l’opérateur français Altice France, de Virgin Mobile, de l’opérateur israélien Hot, de Portugal Telecom, d’Altice Dominicana et de l’américain Suddenlink (devenu Altice USA). Altice France est propriétaire de plusieurs médias dont Libération, L’Express, BFM TV et RMC.
- Il est normalien et agrégé de philosophie, membre fondateur du mouvement À Nous la Démocratie. Il a travaillé en cabinet ministériel. Il est l’auteur de La démocratie sans maîtres (2017, chez Robert Laffont).
- Il est professeur de sciences politiques à l’Institut d’Études politiques de Grenoble.