Agent orange : Moment
d’émotion avec Tran To Nga
Premier événement public de l’Association d’Amitié franco-vietnamienne d’Eure-&-Loir depuis sa récente constitution, la projection, aux Enfants du Paradis, du documentaire Agent orange, une bombe à retardement, a été suivie par un public d’une quarantaine de participants très attentifs.
Le film composé d’images d’archives montre, notamment, l’épandage aérien du défoliant à la dioxine, appelé agent orange (1), durant la guerre du Vietnam. Des intervenants y expliquent le contexte international et la demande de livraison de ce produit toxique par le gouvernement et l’armée américaine à des firmes chimiques comme Monsanto, dans le cadre de sa stratégie de contre-insurrection. Le film montre aussi les conséquences de ce produit sur l’écosystème et sur les humains, les malformations perdurant, aujourd’hui encore, chez les descendants des personnes exposées à l’agent orange.
“Ma mère a été emprisonnée dans les cages à tigres”
À l’issue de la projection, le président de l’association départementale, Gilbert Tenèze, donne la parole à la salle et la réalisatrice, Thuy Tien-ho, en réponse à une question, précise que la volonté des Américains était « de détruire la végétation sous laquelle les résistants se cachaient et d’affamer la population » car « les avions passaient, le lendemain, il n’y avait plus une feuille d’arbre. » Elle explique que la guerre de libération du peuple vietnamien a duré trente ans, de l’appel de Ho-Chi-Min en 1945 contre le colonisateur français au départ des Américains en 1975. Au départ, elle pensait faire un documentaire sur cette longue résistance mais, sur place, elle découvre les innombrables victimes de l’agent orange et cela en devient le sujet. Son amie Tran To Nga, 80 ans, auteure de Ma terre empoisonnée, parle d’abord de sa mère « capturée, emprisonnée dans les cages à tigre du bagne de Poulo Condor, torturée [par les Français]… ensevelie vivante par les Américains. » Elle-même, après avoir été agent de liaison à 8 ans du temps de la guerre française, s’est engagée à 22 ans et a été envoyée par le FNL (Front National de Libération) dans le Sud pour enseigner.
“Une sorte de liquide me trempait et tout de suite j’étouffais”
« La première fois que j’ai reçu ce poison [l’agent orange], c’était fin 66, j’ai vu des avions avec derrière un nuage blanc, très rapidement une sorte de liquide me trempait et tout de suite j’étouffais, je toussais, ma mère m’a demandé d’aller me laver … mais, après, l’incident est oublié. Je ne pouvais pas m’imaginer qu’à partir de ce moment-là j’étais devenue victime de ce produit chimique. »
“J’ai été torturée toute la nuit”
« Après, quand je suis revenue à l’agence de presse où je travaillais, j’ai mis au monde ma première enfant, avec une malformation cardiaque, qui n’a pas survécu. Ma deuxième fille est née aussi avec des malformations et ma troisième je l’ai accouchée en prison. Dès le premier soir où ils m’ont capturée, j’ai été torturée toute la nuit. »
Après sa libération en 1975, elle dirige les écoles de Ho-Chi-Min-Ville (ex Saïgon). Une fois retraitée, elle s’engage dans des activités humanitaires. C’est à cette occasion qu’elle visite une ville où il y a beaucoup de victimes de la dioxine. « Je suis restée vingt jours, et durant ces vingt jours les larmes ne cessaient pas de couler. J’ai rencontré des souffrances, des misères et le courage contre les souffrances. »
Elle assigne 36 firmes américaines ayant produit l’agent orange en justice
Revenue en France et disposant de la nationalité française, après des hésitations, elle décide de déposer plainte avec son avocat Me Bourdon et ses deux jeunes associés, devant la justice française qui le permet, contre les multinationales américaines qui ont fabriqué les produits chimiques pulvérisés sur le Vietnam. Mais c’est seulement en 2015, qu’elle peut assigner 36 firmes américaines. « On a besoin d’argent, pour la traduction de français en anglais par traducteurs assermentés. Rien que pour l’assignation, on devait payer 36 000 €. » La première audience a débuté en avril 2016. Les trois avocats de Tran To Nga se retrouvent face à trente-huit avocats des firmes qui, à chaque audience créent des incidents pour retarder la procédure. Le 16 décembre prochain le juge devrait fixer les dates de plaidoiries pour 2020. « Les firmes ne nous font aucun cadeau. C’est très dur, c’est très atroce, c’est très méchant », conclut-elle.
Nous engageons donc nos lecteurs à suivre ce procès, à soutenir Tran To Nga, et notamment financièrement. L’argent de la vente de la cassette du film va intégralement à ce combat et également 5 € sur le prix du livre.
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- Il doit son nom aux bandes de couleur orange peintes sur les fûts dans lesquels il était stocké par les militaires américains.