18 responsables d’organisations : “Plus jamais ça ! Préparons le jour d’après”

Plus jamais ça ! Préparons le ‘jour d’a­près’ ”, 18 res­pon­sables d’or­ga­ni­sa­tions syn­di­cales, asso­cia­tives et envi­ron­ne­men­tales par­mi les­quels Philippe Martinez (CGT), Aurélie Trouvé (Attac), Jean-François Julliard (Greenpeace) et Cécile Duflot (Oxfam), signent une tri­bune com­mune publiée, ven­dre­di 27 mars, sur franceinfo.

Ces orga­ni­sa­tions lancent un appel “à toutes les forces pro­gres­sistes et huma­nistes […] pour recons­truire ensemble un futur, éco­lo­gique, fémi­niste et social, en rup­ture avec les poli­tiques menées jusque-là et le désordre néolibéral”.

 

En met­tant le pilo­tage de nos socié­tés dans les mains des forces éco­no­miques, le néo­li­bé­ra­lisme a réduit à peau de cha­grin la capa­ci­té de nos États à répondre à des crises comme celle du Covid. La crise du coro­na­vi­rus qui touche toute la pla­nète révèle les pro­fondes carences des poli­tiques néo­li­bé­rales. Elle est une étin­celle sur un baril de poudre qui était prêt à explo­ser. Emmanuel Macron, dans ses der­nières allo­cu­tions, appelle à des “déci­sions de rup­ture” et à pla­cer “des ser­vices (…) en dehors des lois du mar­ché”. Nos orga­ni­sa­tions, conscientes de l’urgence sociale et éco­lo­gique et don­nant l’a­lerte depuis des années, n’attendent pas des dis­cours mais de pro­fonds chan­ge­ments de poli­tiques, pour répondre aux besoins immé­diats et se don­ner l’op­por­tu­ni­té his­to­rique d’une remise à plat du sys­tème, en France et dans le monde.

Manifestation des EHPAD à Chartres (30/01/2018)

Dès à pré­sent, toutes les mesures néces­saires pour pro­té­ger la san­té des popu­la­tions celle des per­son­nels de la san­té et des soignant·e·s par­mi les­quels une grande majo­ri­té de femmes, doivent être mises en œuvre, et ceci doit lar­ge­ment pré­va­loir sur les consi­dé­ra­tions éco­no­miques. Il s’a­git de pal­lier en urgence à la baisse conti­nue, depuis de trop nom­breuses années, des moyens alloués à tous les éta­blis­se­ments de san­té, dont les hôpi­taux publics et les Ehpad. De dis­po­ser du maté­riel, des lits et des per­son­nels qui manquent : réou­ver­ture de lits, reva­lo­ri­sa­tion des salaires et embauche mas­sive, mise à dis­po­si­tion de tenues de pro­tec­tion effi­caces et de tests, achat du maté­riel néces­saire, réqui­si­tion des éta­blis­se­ments médi­caux pri­vés et des entre­prises qui peuvent pro­duire les biens essen­tiels à la san­té, annu­la­tion des dettes des hôpi­taux pour res­tau­rer leurs marges de manœuvre bud­gé­taires… Pour frei­ner la pan­dé­mie, le monde du tra­vail doit être mobi­li­sé uni­que­ment pour la pro­duc­tion de biens et de ser­vices répon­dant aux besoins essen­tiels de la popu­la­tion, les autres doivent être sans délai stop­pées. La pro­tec­tion de la san­té et de la sécu­ri­té des per­son­nels doivent être assu­rées et le droit de retrait des salarié·e·s respecté.

Des mesures au nom de la jus­tice sociale nécessaires

La réponse finan­cière de l’État doit être d’a­bord orien­tée vers tou·te·s les salarié·e·s qui en ont besoin, quel que soit le sec­teur d’ac­ti­vi­té, et dis­cu­tée avec les syn­di­cats et représentant·e·s du per­son­nel, au lieu de gon­fler les salaires des dirigeant·e·s ou de ser­vir des inté­rêts par­ti­cu­liers. Pour évi­ter une très grave crise sociale qui tou­che­rait de plein fouet chômeurs·euses et travailleurs·euses, il faut inter­dire tous les licen­cie­ments dans la période. Les poli­tiques néo­li­bé­rales ont affai­bli consi­dé­ra­ble­ment les droits sociaux et le gou­ver­ne­ment ne doit pas pro­fi­ter de cette crise pour aller encore plus loin, ain­si que le fait craindre le texte de loi d’urgence sanitaire.

PauvretéSelon que l’on est plus ou moins pauvre, déjà malade ou non, plus ou moins âgé, les condi­tions de confi­ne­ment, les risques de conta­gion, la pos­si­bi­li­té d’être bien soi­gné ne sont pas les mêmes. Des mesures sup­plé­men­taires au nom de la jus­tice sociale sont donc néces­saires : réqui­si­tion des loge­ments vacants pour les sans-abris et les très mal logés, y com­pris les demandeurs·euses d’asile en attente de réponse, réta­blis­se­ment inté­gral des aides au loge­ment, mora­toire sur les fac­tures impayées d’éner­gie, d’eau, de télé­phone et d’in­ter­net pour les plus dému­nis. Des moyens d’urgence doivent être déblo­qués pour pro­té­ger les femmes et enfants vic­times de vio­lences familiales.

Les moyens déga­gés par le gou­ver­ne­ment pour aider les entre­prises doivent être diri­gés en prio­ri­té vers les entre­prises réel­le­ment en dif­fi­cul­té et notam­ment les indé­pen­dants, autoen­tre­pre­neurs, TPE et PME, dont les tré­so­re­ries sont les plus faibles. Et pour évi­ter que les salarié·e·s soient la variable d’ajustement, le ver­se­ment des divi­dendes et le rachat d’actions dans les entre­prises, qui ont atteint des niveaux record récem­ment, doivent être immé­dia­te­ment sus­pen­dus et enca­drés à moyen terme.

Des mesures fortes peuvent per­mettre, avant qu’il ne soit trop tard, de désar­mer les mar­chés finan­ciers : contrôle des capi­taux et inter­dic­tion des opé­ra­tions les plus spé­cu­la­tives, taxe sur les tran­sac­tions finan­cières… De même sont néces­saires un contrôle social des banques, un enca­dre­ment beau­coup plus strict de leurs pra­tiques ou encore une sépa­ra­tion de leurs acti­vi­tés de dépôt et d’affaires.

Des aides de la BCE condi­tion­nées à la recon­ver­sion sociale et écologique

Siège de la BCE à Francfort

Siège de la BCE à Francfort

La Banque cen­trale euro­péenne (BCE) a annon­cé une nou­velle injec­tion de 750 mil­liards d’euros sur les mar­chés finan­ciers. Ce qui risque d’être à nou­veau inef­fi­cace. La BCE et les banques publiques doivent prê­ter direc­te­ment et dès à pré­sent aux États et col­lec­ti­vi­tés locales pour finan­cer leurs défi­cits, en appli­quant les taux d’intérêt actuels proches de zéro, ce qui limi­te­ra la spé­cu­la­tion sur les dettes publiques. Celles-ci vont for­te­ment aug­men­ter à la suite de la “crise du coro­na­vi­rus”. Elles ne doivent pas être à l’origine de spé­cu­la­tions sur les mar­chés finan­ciers et de futures poli­tiques d’austérité bud­gé­taire, comme ce fut le cas après 2008.

Une réelle remise à plat des règles fis­cales inter­na­tio­nales afin de lut­ter effi­ca­ce­ment contre l’é­va­sion fis­cale est néces­saire et les plus aisés devront être mis davan­tage à contri­bu­tion, via une fis­ca­li­té du patri­moine et des reve­nus, ambi­tieuse et progressive.

Par ces inter­ven­tions mas­sives dans l’économie, l’occasion nous est don­née de réorien­ter très pro­fon­dé­ment les sys­tèmes pro­duc­tifs, agri­coles, indus­triels et de ser­vices, pour les rendre plus justes socia­le­ment, en mesure de satis­faire les besoins essen­tiels des popu­la­tions et axés sur le réta­blis­se­ment des grands équi­libres éco­lo­giques. Les aides de la Banque cen­trale et celles aux entre­prises doivent être condi­tion­nées à leur recon­ver­sion sociale et éco­lo­gique : main­tien de l’emploi, réduc­tion des écarts de salaire, mise en place d’un plan contrai­gnant de res­pect des accords de Paris… Car l’en­jeu n’est pas la relance d’une éco­no­mie pro­fon­dé­ment insou­te­nable. Il s’agit de sou­te­nir les inves­tis­se­ments et la créa­tion mas­sive d’emplois dans la tran­si­tion éco­lo­gique et éner­gé­tique, de dés­in­ves­tir des acti­vi­tés les plus pol­luantes et cli­ma­ti­cides, d’opérer un vaste par­tage des richesses et de mener des poli­tiques bien plus ambi­tieuses de for­ma­tion et de recon­ver­sion pro­fes­sion­nelles pour évi­ter que les travailleurs·euses et les popu­la­tions pré­caires n’en fassent les frais. De même, des sou­tiens finan­ciers mas­sifs devront être réorien­tés vers les ser­vices publics, dont la crise du coro­na­vi­rus révèle de façon cruelle leur état désas­treux : san­té publique, édu­ca­tion et recherche publique, ser­vices aux per­sonnes dépendantes…

Relocalisation de la production

La “crise du coro­na­vi­rus” révèle notre vul­né­ra­bi­li­té face à des chaînes de pro­duc­tion mon­dia­li­sée et un com­merce inter­na­tio­nal en flux ten­du, qui nous empêchent de dis­po­ser en cas de choc de biens de pre­mière néces­si­té : masques, médi­ca­ments indis­pen­sables, etc. Des crises comme celle-ci se repro­dui­ront. La relo­ca­li­sa­tion des acti­vi­tés, dans l’industrie, dans l’agriculture et les ser­vices, doit per­mettre d’instaurer une meilleure auto­no­mie face aux mar­chés inter­na­tio­naux, de reprendre le contrôle sur les modes de pro­duc­tion et d’en­clen­cher une tran­si­tion éco­lo­gique et sociale des activités.

Distribution de légumes dans une Amap [WikimediaCommons, Pierre-Alain Dorange]

Distribution de légumes dans une Amap

La relo­ca­li­sa­tion n’est pas syno­nyme de repli sur soi et d’un natio­na­lisme égoïste. Nous avons besoin d’une régu­la­tion inter­na­tio­nale refon­dée sur la coopé­ra­tion et la réponse à la crise éco­lo­gique, dans le cadre d’ins­tances mul­ti­la­té­rales et démo­cra­tiques, en rup­ture avec la mon­dia­li­sa­tion néo­li­bé­rale et les ten­ta­tives hégé­mo­niques des États les plus puis­sants. De ce point de vue, la “crise du coro­na­vi­rus” dévoile à quel point la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale et la coopé­ra­tion sont en panne : les pays euro­péens ont été inca­pables de conduire une stra­té­gie com­mune face à la pan­dé­mie. Au sein de l’Union euro­péenne doit être mis en place à cet effet un bud­get euro­péen bien plus consé­quent que celui annon­cé, pour aider les régions les plus tou­chées sur son ter­ri­toire comme ailleurs dans le monde, dans les pays dont les sys­tèmes de san­té sont les plus vul­né­rables, notam­ment en Afrique.

Tout en res­pec­tant le plus stric­te­ment pos­sible les mesures de confi­ne­ment, les mobi­li­sa­tions citoyennes doivent dès à pré­sent déployer des soli­da­ri­tés locales avec les plus touché·e·s, empê­cher la ten­ta­tion de ce gou­ver­ne­ment d’imposer des mesures de régres­sion sociale et pous­ser les pou­voirs publics à une réponse démo­cra­tique, sociale et éco­lo­gique à la crise.

Plus jamais ça ! Lorsque la fin de la pan­dé­mie le per­met­tra, nous nous don­nons ren­dez-vous pour réin­ves­tir les lieux publics et construire notre “jour d’après”. Nous en appe­lons à toutes les forces pro­gres­sistes et huma­nistes, et plus lar­ge­ment à toute la socié­té, pour recons­truire ensemble un futur, éco­lo­gique, fémi­niste et social, en rup­ture avec les poli­tiques menées jusque-là et le désordre néolibéral.

 

Les signa­taires :

Khaled Gaiji, pré­sident des Amis de la Terre France
Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France
Philippe Martinez, secré­taire géné­ral de la CGT
Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne
Benoit Teste, secré­taire géné­ral de la FSU
Jean-François Julliard, direc­teur géné­ral de Greenpeace France
Cécile Duflot, direc­trice géné­rale d’Oxfam France
Eric Beynel, porte-parole de l’Union syn­di­cale Solidaires
Clémence Dubois, res­pon­sable France de 350.org
Pauline Boyer, porte-parole d’Action Non-Violente COP21
Léa Vavasseur, porte-parole d’Alternatiba
Sylvie Bukhari-de Pontual, pré­si­dente du CCFD-Terre Solidaire
Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au Logement
Lisa Badet, vice-pré­si­dente de la FIDL, Le syn­di­cat lycéen
Jeanette Habel, co-pré­si­dente de la Fondation Copernic
Katia Dubreuil, pré­si­dente du Syndicat de la magistrature
Mélanie Luce, pré­si­dente de l’UNEF
Héloïse Moreau, pré­si­dente de l’UNL