Tribune :
”Pour 2022, une échéance et peut-être une chance”

Article paru sur le Blog des Invités de Médiapart, le 24 / 12 / 2020 sous la signa­ture de Annick Coupé, Pierre Khalfa, Gustave Massiah et Marie-Pierre Vieu.

 

En 2022, nous serons confron­tés à une échéance élec­to­rale, celle des élec­tions pré­si­den­tielles et légis­la­tives. Si un suc­cès élec­to­ral n’est aucu­ne­ment la garan­tie d’une trans­for­ma­tion sociale et éco­lo­gique, les consé­quences sur­tout néga­tives de ces élec­tions peuvent être consi­dé­rables. Le scé­na­rio d’un second tour oppo­sant une nou­velle fois Emmanuel Macron et Marine Le Pen au deuxième tour laisse pré­sa­ger du pire. L’explosion des abs­ten­tions accom­pa­gne­ra un scru­tin réduit à choi­sir entre recon­duire la poli­tique de droite, régres­sive et liber­ti­cide de l’actuel pou­voir contre celle ouver­te­ment anti sociale et raciste d’une extrême droite décom­plexée. Sans même attendre cette échéance, la dégra­da­tion des situa­tions démo­cra­tiques, sociales et envi­ron­ne­men­tales s’est accen­tuée et a atteint un niveau très inquié­tant. Peut-on trans­for­mer ce dan­ger en opportunité ?

Il ne s’agit pas seule­ment d’un choix élec­to­ral 

Il ne s’agit pas seule­ment d’un choix élec­to­ral. L’offensive conser­va­trice et réac­tion­naire se pour­suit sys­té­ma­ti­que­ment. Elle se déploie dans trois direc­tions : faire payer la crise éco­no­mique et sociale accen­tuée par la pan­dé­mie aux tra­vailleurs et aux pré­caires en réta­blis­sant la pri­mau­té des pro­fits ; orga­ni­ser le déni des impé­ra­tifs éco­lo­giques et cli­ma­tiques ; ren­for­cer les répres­sions et les vio­lences poli­cières et affai­blir l’État de droit et les liber­tés démocratiques.

Manifestation Soignants Chartres 30-06-2020

Manifestation de soi­gnants à Chartres (30/06/2020)

Cette échéance s’inscrit dans une crise sys­té­mique accen­tuée par le rôle de la pan­dé­mie et du cli­mat. En France et dans le monde, les mou­ve­ments sociaux et citoyens devront défi­nir leur stra­té­gie face à une situa­tion contra­dic­toire. Dans l’immédiat, il leur fau­dra résis­ter à la « stra­té­gie du choc » ana­ly­sée par Naomi Klein et qui expli­cite la vio­lence qui sera mise en œuvre par les classes domi­nantes pour ren­for­cer leurs pou­voirs. Cette vio­lence est d’autant plus forte que les coups de bou­toir des mobi­li­sa­tions insur­rec­tion­nelles se sont mul­ti­pliés depuis 2011, en réponse à la crise finan­cière de 2008. Ce qui se passe aux États-Unis se retrouve dans beau­coup de pays ; un mou­ve­ment radi­cal comme Black Lives Matter a démon­tré que face aux inéga­li­tés, aux dis­cri­mi­na­tions, aux racismes, une par­tie de la socié­té amé­ri­caine s’est mobi­li­sée. Elle s’est affron­tée à la mon­tée de cou­rants racistes, xéno­phobes, iden­ti­taires avec des formes fas­ci­santes. En France, les dis­cri­mi­na­tions racistes, l’islamophobie, les vio­lences poli­cières trouvent des relais iden­ti­taires qui ins­tru­men­ta­lisent la situa­tion atti­sée par les atten­tats. Ils se heurtent à des mobi­li­sa­tions et à un refus de la remise en cause des liber­tés démocratiques. 

Un nou­veau monde conteste le vieux monde

Les mou­ve­ments ne se contentent pas de résis­ter. Ils mettent en avant des alter­na­tives. Il s’agit de construire un nou­veau monde dans le vieux monde, comme le capi­ta­lisme a com­men­cé à s’imposer sous le féo­da­lisme et comme les ser­vices publics ou la sécu­ri­té sociale avaient com­men­cé à bri­der la dyna­mique du capi­tal. Pendant la période où une par­tie de l’humanité a été confi­née et où l’idée d’un tra­vail socia­le­ment utile a pro­gres­sé, on a vu s’exprimer de nom­breuses pro­po­si­tions, et par­mi d’autres : la san­té publique, les com­muns, le buen vivir (bien vivre), l’action publique, la limite des mar­chés, l’économie sociale et soli­daire, les nou­velles éner­gies, la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire, les loca­li­sa­tions… La reli­gion du déve­lop­pe­ment capi­ta­liste a per­du son sens, c’est aus­si une crise phi­lo­so­phique qui le touche, la fin du monde et du temps infi­ni ; c’est une crise de civilisation.

Mais la bataille contre l’hégémonie cultu­relle du néo­li­bé­ra­lisme n’est pas finie. Elle est à mener chaque jour qui passe face au rou­leau com­pres­seur des médias domi­nants, à la force d’attraction que peut repré­sen­ter le mirage du consu­mé­risme. Contre l’idéologie de la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste néo­li­bé­rale et mor­ti­fère, nous met­tons en avant les droits et l’égalité des droits, les droits contre les pro­fits ; les droits à la san­té, à l’éducation, au reve­nu et au tra­vail, les droits et obli­ga­tions de l’environnement et du milieu de vie. Nous met­tons en avant le refus des dis­cri­mi­na­tions et du racisme, les droits des femmes et le refus des vio­lences poli­cières. C’est un nou­veau mou­ve­ment glo­bal qui mêle les classes, les genres et les ori­gines ; c’est la prise de conscience de l’actualité de la colo­ni­sa­tion dans les socié­tés modernes. Ces idées ont pro­gres­sé, la crise du cli­mat et de la pan­dé­mie ont démon­tré leur importance.

Présidentielles 2012

Affiches de la Présidentielle de 2012

L’échéance élec­to­rale, une condi­tion peut-être néces­saire, mais sûre­ment insuf­fi­sante, du pro­ces­sus de transformation

Ces tâches des mou­ve­ments sont essen­tielles, elles s’inscrivent dans la durée et dans la construc­tion de la tran­si­tion éco­lo­gique, sociale, démo­cra­tique et géo­po­li­tique. Il n’y a pas d’issue pré­dé­ter­mi­née et il faut pré­pa­rer les rup­tures. L’échéance élec­to­rale peut être la condi­tion néces­saire, mais sûre­ment insuf­fi­sante, pour une bifur­ca­tion de la socié­té. Elle est donc un moment qu’on ne peut pas igno­rer. Une bataille qui peut frei­ner des pos­sibles dan­ge­reux et en faci­li­ter d’autres.

Les appels se sont mul­ti­pliés pour qu’aux élec­tions pré­si­den­tielles, un can­di­dat unique des cou­rants démo­cra­tiques, éco­lo­gistes et de gauche puisse y faire bonne figure et peut-être même l’emporter. Il y a beau­coup d’interrogations sur les dif­fi­cul­tés à construire une telle can­di­da­ture com­mune pour 2022. Pour l’instant rien n’empêchera tous les par­tis de se pla­cer avec un ou plu­sieurs can­di­dats. La période à venir sera donc celle de la mul­ti­pli­ca­tion des can­di­dats. Si la ques­tion d’une can­di­da­ture com­mune de la gauche et de l’écologie poli­tique ren­contre nombre d’obstacles, elle n’est pas pour autant impos­sible, mais elle ne trou­ve­ra un che­min éven­tuel que dans la période des quelques mois qui pré­cé­de­ront les élec­tions lorsque cette mul­ti­pli­ca­tion des can­di­da­tures fera écla­ter au grand jour le risque de catas­trophe. Au moment où on ver­ra que le piège Le Pen — Macron, ou d’un can­di­dat encore plus à droite si ce der­nier s’effondre, peut encore fonc­tion­ner. Les mobi­li­sa­tions citoyennes en tenant compte de l’opinion et en s’appuyant sur ses pré­fé­rences par rap­port aux can­di­dats en lice pour­ront faire pres­sion pour les regrou­pe­ments possibles.

Que pou­vons-nous faire d’ici là ? D’abord, com­men­cer à construire une dyna­mique citoyenne pour un ras­sem­ble­ment. C’est l’objectif de la démarche « 2022 (vrai­ment) en com­mun » ini­tiée par des réseaux jeunes et à laquelle par­ti­cipent nombre de citoyen·e·s enga­gés, qu’ils soient res­pon­sables asso­cia­tifs, poli­tiques, syn­di­ca­listes, intel­lec­tuels… et de nom­breuses autres ini­tia­tives citoyennes. Travaillons aus­si à défi­nir un pro­gramme de gou­ver­ne­ment uni­taire sur des enga­ge­ments à la fois alter­na­tifs et réa­listes. Préparons les légis­la­tives de 2022 autour d’un pro­gramme de gou­ver­ne­ment et des can­di­da­tures qui le sou­tien­dront. Ce pro­gramme per­met­tra de redon­ner confiance à celles et ceux qui veulent s’engager. Il pour­ra élar­gir l’assise des mou­ve­ments divers de la gauche, de l’écologie, de la démo­cra­tie et il per­met­tra d’envisager autre­ment les pos­si­bi­li­tés d’une can­di­da­ture unique aux pré­si­den­tielles. Construisons un vaste mou­ve­ment de col­lec­tifs de base. Mobilisons les mou­ve­ments sociaux et citoyens.

Un rap­pel de quelques pré­cé­dents his­to­riques 

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Usine en grève, 1936 (Photo Agence Meurisse / BNF)

Un bref rap­pel de quelques pré­cé­dents his­to­riques per­met de réflé­chir à ce qui peut être atten­du d’un sur­saut des mou­ve­ments démo­cra­tiques, de gauche et éco­lo­gistes à l’occasion de cette échéance.

En réponse aux émeutes fas­cistes du 6 février 1934 un mou­ve­ment pour l’unité d’action de la gauche se mani­feste. La Ligue des Droits de l’Homme réunit à son siège les par­tis de gauche ; le pro­gramme du Front Populaire est adop­té et per­met une vic­toire élec­to­rale en 1936. C’est un pro­gramme très modé­ré mais qui se veut en rup­ture nette avec les gou­ver­ne­ments pré­cé­dents (il pro­pose une démo­cra­tie sociale par rap­port à la droite et à l’extrême droite). Un mou­ve­ment social sans pré­cé­dent, une grève géné­rale avec occu­pa­tion, le for­ce­ra à aller plus loin (Il en reste les congés payés, la réduc­tion du temps de tra­vail heb­do­ma­daire à 40 heures, les conven­tions col­lec­tives), même si à force de modé­ra­tion le Front popu­laire s’est embourbé. 

En 1944, le pro­gramme adop­té par toutes les forces poli­tiques du Conseil National de la Résistance com­prend un plan d’action immé­diate, les mesures pour ache­ver la libé­ra­tion des ter­ri­toires, et des mesures poli­tiques (suf­frage uni­ver­sel, liber­té de la presse), éco­no­miques (pla­ni­fi­ca­tion et natio­na­li­sa­tions) et sociales (rajus­te­ment des salaires, syn­di­ca­lisme indé­pen­dant, plan com­plet de sécu­ri­té sociale). Il est alter­na­tif par rap­port aux forces poli­tiques et éco­no­miques de l’occupation. Il est réa­liste en pro­po­sant les grandes réformes qui vont moder­ni­ser dans un sens pro­gres­siste la socié­té française. 

En 1981, un pro­gramme com­mun résulte d’une valse-hési­ta­tion, entre le PS et le PCF ; « je t’aime, moi non plus ». Ils rem­portent les légis­la­tives avec un pro­gramme rela­ti­ve­ment alter­na­tif mais ils se heurtent à la vic­toire du néo­li­bé­ra­lisme dans la mon­dia­li­sa­tion sans une base sociale suf­fi­sam­ment unie et sur­tout sans la volon­té de s’y oppo­ser. Et ils s’enfoncent dans la ges­tion du néo­li­bé­ra­lisme. N’oublions pas d’autres pré­cé­dents his­to­riques dans l’articulation entre mou­ve­ment social et échéances poli­tiques. Par exemple, les grèves de 1995 et les luttes des sans-papiers de Saint Bernard en 1996 pèse­ront pour les résul­tats élec­to­raux de la gauche plu­rielle en 1997 et se tra­dui­ront par les 35 heures, dont la mise en œuvre a été hélas très pro­blé­ma­tique, la CMU (Couverture mala­die uni­ver­selle) et la der­nière régu­la­ri­sa­tion mas­sive de sans-papiers. Pourtant la dérive néo­li­bé­rale de ce gou­ver­ne­ment a pris le pas sur les avan­cées sociales, mais elle n’annule pas les résul­tats obte­nus par les luttes des mou­ve­ments sociaux et citoyens. 

Plus jamais ça 28 [Visuel]

2020 : Ébauche de rap­pro­che­ment syn­di­cats / ONG

Pour 2022, les forces poli­tiques éco­lo­giques et de gauche seront elles capables de défi­nir un pro­gramme alter­na­tif par rap­port à la droite et à l’extrême droite por­tant sur les orien­ta­tions éco­lo­giques, sociales, démo­cra­tiques et géo­po­li­tiques. Un pro­gramme réa­liste par rap­port à la situa­tion en repre­nant et ren­dant com­pa­tibles les avan­cées pos­sibles pour un accès aux droits pour toutes et tous (droit à la san­té, au reve­nu, au tra­vail, au loge­ment, aux liber­tés démo­cra­tiques, à la citoyen­ne­té, aux iden­ti­tés mul­tiples). Un pro­gramme sus­cep­tible de créer les bases sociales d’appui néces­saires à son adop­tion et à sa mise en œuvre. Un pro­gramme qui soit un pre­mier pas vers des trans­for­ma­tions radicales.

Une démarche

D’ici 2022, la démarche devrait s’appuyer sur trois actions auto­nomes et coordonnées :

- des col­lec­tifs de base qui se mul­ti­plient autour de cahier de doléances et d’une inter­pel­la­tion de tous les can­di­dats se pré­va­lant d’une approche démo­cra­tique, éco­lo­giste et sociale, à la pré­si­den­tielle et peut-être aus­si aux légis­la­tives. Cette démarche pour­rait aller, là où c’est pos­sible, vers l’organisation de pri­maires entre les candidat.es — qu’ils/elles émanent d’or­ga­ni­sa­tions, de fronts, ou des col­lec­tifs eux-mêmes ;

- l’élaboration d’une plate-forme com­mune entre les gauches, l’écologie poli­tique, voire d’autres acteurs qui ne viennent pas for­cé­ment de ces deux pôles mais qui sou­haitent œuvrer à une trans­for­ma­tion éco­lo­gique, sociale et démo­cra­tique effec­tive de la société ;

- la défi­ni­tion par les mou­ve­ments sociaux et citoyens de ce qu’ils reven­diquent et pro­posent, dans leur champ d’action, pour un contrat de légis­la­ture et l’organisation de débats publics per­met­tant de confron­ter ces pro­po­si­tions, de les dis­cu­ter avec les par­tis, de les sou­mettre aux col­lec­tifs de base.

Signataires : 

Annick Coupé, 
Pierre Khalfa,
Gustave Massiah,
Marie-Pierre Vieu,
membres de Attac et de la Fondation Copernic