Un natif de Chartres dans la Commune :
Auguste Rogeard, un homme libre
Dans notre série sur la Commune de Paris, nous présenterons aussi quelques figures emblématiques dont des acteurs originaires de l’Eure-et-Loir. Voici une courte biographie du Chartrain Auguste Louis Rogeard né en 1820.
Commune de Paris
Un natif de Chartres dans la Commune :
Auguste Rogeard, un homme libre
Né le 25 avril 1820 à Chartres, universitaire, fils d’un capitaine en retraite. Après avoir fait ses études secondaires à Chartres, il est élève en 1841 à l’École normale supérieure. Docteur ès lettres, il est révoqué en 1852 pour son refus de prêter le serment de fidélité à l’Empereur Napoléon III et dès lors se lance dans la politique tout en donnant des leçons particulières et des cours dans un établissement privé.
Il est arrêté en 1856 pour appartenance à une société secrète, les « Francs-Juges ». En réalité, il s’agissait d’une affaire montée par la police pour se débarrasser de quelques ouvriers trop actifs et de quelques membres du petit groupe d’opposants à l’Empire qui se réunissait chez lui. Il bénéficie d’un non-lieu.
Il est mêlé aux troubles qu’entraîne l’agitation des étudiants de Sorbonne contre Désiré Nisard, professeur d’éloquence française à la Faculté de lettres de Paris, qui expose dans une de ses leçons sa théorie des « deux morales » : l’ordinaire, qui régit les actions des simples particuliers, et celle, plus large, applicable seulement aux princes, qui peuvent violer leurs serments, emprunter des millions sans les rendre, etc. Plusieurs étudiants sont condamnés à de la prison suite à ce mouvement.
En 1862, Rogeard fait paraître une brochure électorale au titre significatif : L’Abstention, et en 1863, un recueil de 700 versions latines, soigneusement choisies pour leur sens républicain et matérialiste pour faire, dit-il « un cours de philosophie matérialiste et de politique démocratique en latin, ne pouvant le faire en français ».
En 1864, il fonde le journal La Rive gauche. En 1865, il écrit les Propos de Labiénus (que Baudelaire admirait, dit-on), satire du régime impérial, qui ont une grande influence sur les étudiants du Second Empire, où il s’élève contre le despotisme bonasse et cruel. Le retentissement en est considérable. Condamné à cinq ans de prison pour offenses à l’empereur, il se réfugie en Belgique. Il y est « reçu comme un ami à la maison de la place des Barricades » chez Victor Hugo. Il rencontre, là-bas, Blanqui, Flourens, Pyat, etc. Le gouvernement impérial obtient son expulsion de Belgique le 13 septembre 1865. Il séjourne alors au Luxembourg, puis à Londres, en Suisse, à Madrid…
En 1869, bénéficiant de l’amnistie, il proteste contre cette « dernière injure jetée à la renaissance du droit par l’agonie de la force… Je le dispense de la peine de m’ouvrir la frontière ; je rentrerai à mon heure et non à la sienne, pour remplir mon devoir et non pour subir sa grâce ».
Il rentre finalement à Paris en février 1870.
Sous cet Empire finissant, ouvriers et étudiants chantent les couplets du Lion du quartier Latin qu’il avait composés :
Non, la jeunesse n’est pas morte,
Dans sa colère elle a surgi,
Que César garde bien sa porte,
Le jeune lion a rugi ;
Vous riez parce qu’il sommeille,
Prenez garde qu’un beau matin
Il ne s’éveille,
Le lion du quartier Latin.
L’étudiant à l’avant-garde
Qui conduit au feu l’ouvrier.
Il n’a pas perdu la cocarde
De Juillet et de Février .
Arcole, Vaneau, noble race
Qui combattait d’un bras certain
Les rois en face,
Il combattra sur votre trace,
Le lion du quartier Latin.
En février 1871, Rogeard devient directeur de la rédaction du Vengeur jusqu’en mars. Il y dénonce les mauvaises conditions de la campagne électorale, la fausseté des monarchistes, proclame la République au-dessus même du suffrage universel. Le 4 mars, il écrit : « Le peuple peut toujours révoquer ses élus et l’absence de gouvernement n’est pas un mal, l’expérience des trois jours d’occupation allemande à Paris le prouve. »
Le 30 mars, il salue en termes vibrants l’avènement de la Commune : « Salut à toi, et sois bénie, Révolution communale de Paris !… Fais-nous de bonnes lois […] à toi le soin de nous guérir par la justice sociale, à toi la gloire de garder fidèlement la République des travailleurs ».
Dans ses articles, il s’attache à démontrer que la Commune est le seul gouvernement légal et refuse par souci de légalité le mandat reçu le 16 avril du VIe arrt par 2 292 voix : candidat du Comité central des vingt arrondissements, il ne totalisait pas le huitième des voix et tint donc pour nulle et non avenue sa validation par la Commune.
Poursuivant son activité journalistique durant toute la Commune, il prône le principe électif étendu à tous les pouvoirs publics ; ainsi, dit-il, le peuple « réalise l’idéal moral, qui est le bien, par le vrai ; l’idéal social, qui est le bonheur, par la justice ; et la forme politique définitive, qui est la liberté illimitée de bien faire, c’est-à-dire la République ».
Hébergé chez des amis durant les combats de mai, il part vers l’Est et peut franchir la frontière alsacienne et se réfugier temporairement à Bâle. Il est condamné par contumace à la peine de mort pour avoir été secrétaire à la préfecture de police puis, sous un prénom approchant (Augustin), à la déportation, le 3 décembre 1874 ainsi qu’à 6 000 F d’amende. Il circule alors de Vienne à Pest et à Zurich.
Il bénéficie de l’amnistie partielle du 29 mai 1879 mais proteste en publiant une brochure cinglante intitulée La Fausse Amnistie. À la nouvelle commission des grâces qui parait à Genève. Il renouvelle sa protestation dans les colonnes du Citoyen (13 janvier 1880) contre le terme de « grâce ». Il rentre néanmoins à Paris mais n’y retrouve pas l’audience de naguère.
Lorsqu’Auguste Rogeard est enterré civilement au Père-Lachaise, le 10 décembre 1896, après un mois de maladie, une cinquantaine de personnes seulement se groupent derrière son cercueil. Il pâtit du temps écoulé et du fait qu’il n’est membre d’aucun groupe politique.
[Merci au Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social où l’on peut lire la biographie complète]