Bonne nouvelle : La France se retire du Traité sur la charte de l’énergie (TCE)
Nous reproduisons ci-après des extraits d’un article du site Basta! Vous pouvez en retrouver l’intégralité en suivant ce lien.
Voilà une mobilisation citoyenne sur le point d’atteindre les objectifs qu’elle s’était fixée. C’est suffisamment rare, en ces temps de guerre et d’urgences écologiques et sociales, pour se réjouir du chemin parcouru [depuis] juin 2018 […]
La France vient officiellement de notifier son retrait du TCE, concrétisant l’annonce d’Emmanuel Macron du 21 octobre dernier. Ce retrait sera pleinement effectif au 1er janvier 2024. La France rejoint ainsi l’Italie, sortie du TCE dès 2016, tandis que l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Slovénie, la Pologne et le Luxembourg ont également annoncé vouloir en faire autant, soit huit États de l’UE représentant plus de 70 % de la population européenne.
Un vestige du siècle passé
Entré en vigueur en 1998, le TCE est un vestige du siècle passé. […]Historiquement conçu pour protéger les investisseurs européens face à ces incertitudes [nées de la situation post-soviétique, NDLR], le TCE est longtemps resté dans l’oubli. Jusqu’à ce qu’il soit utilisé par les entreprises du secteur de l’énergie contre les États ayant décidé de modifier leurs politiques énergétiques : contre les Pays-Bas pour la décision de fermeture des centrales au charbon, contre l’Italie pour l’interdiction de forages pétroliers, contre la Slovénie pour les restrictions sur l’utilisation des techniques d’exploitation les plus néfastes, ou encore contre l’Espagne et la France pour leurs décisions de modifier leurs mesures de soutien aux énergies renouvelables.
La pierre angulaire du TCE consiste en effet à donner accès aux entreprises de l’énergie à un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS en anglais) : quand elles jugent qu’une décision des pouvoirs publics va à l’encontre de leurs intérêts, plutôt que se limiter aux recours classiques et possibles devant les tribunaux publics existants, elles peuvent faire valoir leurs droits devant une justice parallèle, obscure et qui leur est généralement favorable.
Une arme de dissuasion contre les politiques de sobriété
Avec un certain succès : en France, la loi Hulot visant à mettre fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures a été édulcorée après des menaces de poursuites portées par l’entreprise canadienne Vermilion au titre du TCE. À la suite de la conférence des Nations unies sur le climat (Cop26) à Glasgow en 2021, les gouvernements du Danemark et de Nouvelle-Zélande ont même publiquement reconnu qu’ils avaient revu à la baisse leurs ambitions climatiques pour ne pas être poursuivis dans le cadre de dispositifs ISDS existants. […]
Les entreprises du secteur de l’énergie disposent donc d’une arme puissante qui leur permet de dissuader les pouvoirs publics de prendre des décisions contraires à leurs intérêts et de retarder, renchérir ou bloquer les politiques de transition énergétique. […]
L’effet domino de la mobilisation citoyenne
[…] Faire connaître le TCE, c’est s’assurer que (presque plus) personne de sensé ne puisse en défendre l’existence. Du moins, publiquement.
Un subtil jeu de dominos s’est alors enclenché : aux innombrables alertes d’ONG et d’experts, ont succédé des appels publics visant à ce que l’UE et ses États-membres se retirent du TCE, puis une pétition européenne en ce sens signée par plus d’un million de personnes.
Une mobilisation citoyenne classique à laquelle se sont ajoutées des prises de position toujours plus nombreuses de climatologues, chercheurs, et institutions diverses. Ainsi, dans son dernier rapport, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) cite le TCE comme exemple de ces « accords bilatéraux et multilatéraux » qui pourraient être utilisés « par les entreprises de combustibles fossiles pour bloquer les législations nationales visant à mettre fin à l’utilisation de leurs actifs ». […]
La version « modernisée » du traité ne réglait rien
Face à ces critiques acerbes, l’UE avait consenti à accepter un processus de modernisation du TCE. Après plusieurs années de négociations, une version dite « modernisée » du traité a été soumise en juin 2022 à la délibération des États-membres du TCE. Farouchement défendu par la Commission européenne, ce projet était loin de régler tous les problèmes soulevés : il prévoyait même de prolonger la protection des investissements dans les énergies fossiles sur une trop longue période, ainsi que d’étendre la protection des investisseurs à de nouveaux investissements dans l’énergie (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.), et donc, les risques de litiges.
Six mois plus tard, la proposition de la Commission européenne qui consistait à ce que l’UE reste membre du TCE pour les décennies à venir n’a de majorité ni au Conseil de l’UE, ni au Parlement européen. […] La Commission n’a pas bien d’autres options sérieuses sur la table que d’organiser un retrait coordonné et conjoint de l’UE dans son ensemble de ce traité des plus nocifs. […]
Une brèche pour des politiques climatiques plus ambitieuses
Pour accélérer le processus, une vingtaine d’organisations de la société civile française viennent d’écrire à Emmanuel Macron et son gouvernement afin qu’ils œuvrent diplomatiquement en faveur d’un tel retrait collectif. […]
S’il reste donc de nombreuses autres règles et institutions de ce genre en vigueur, une brèche a été ouverte. Celles et ceux qui aspirent à voir des politiques climatiques plus ambitieuses devraient s’y engouffrer : il est temps de rénover les institutions et les règles qui organisent la mondialisation.
Maxime Combes
Économiste, collabore à l’Observatoire des multinationales