Les fadaises de la réforme des retraites

Le gou­ver­ne­ment a donc acté le fait d’imposer un recul de l’âge de départ à la retraite en com­bi­nant recul de deux ans  l’âge légal et accé­lé­ra­tion de l’augmentation de la durée de coti­sa­tion. Ces mesures s’appliqueront très rapi­de­ment puisque le déca­lage de l’âge légal com­men­ce­ra dès sep­tembre 2023 et la durée de coti­sa­tion de 43 annui­tés sera effec­tive dès 2027. Le recul de l’âge légal va péna­li­ser en par­ti­cu­lier celles et ceux qui auront com­men­cé à tra­vailler tôt et les mesures annon­cées pour y pal­lier ne tou­che­ront qu’un nombre minime d’entre eux. L’âge moyen d’entrée dans la vie active étant supé­rieur à 22 ans, l’augmentation de durée de coti­sa­tion entrai­ne­ra pour beau­coup un départ après l’âge légal pour avoir une retraite à taux plein et pèse­ra d’autant plus sur celles et ceux qui ont des car­rières incomplètes.Le main­tien du dis­po­si­tif « car­rières longues » abou­ti­ra au fait que les per­sonnes ayant com­men­cé à tra­vailler entre 16 ans et 18 ans devront coti­ser 44 ans pour pou­voir par­tir à 60 ans.

Les jus­ti­fi­ca­tions varient : De la néces­si­té d’une réforme sys­té­mique (retraite par points)…

Chartres 05-12-2019 Manifestation RetraitesL’argumentaire pour essayer de jus­ti­fier ces mesures a sans cesse varié. Le Macron du pre­mier quin­quen­nat y était oppo­sé. Voici d’ailleurs ce qu’il décla­rait lors de sa confé­rence natio­nale du 25 avril 2019 à l’issue du « Grand débat natio­nal » : « Franchement, ce serait hypo­crite de déca­ler l’âge de la retraite… Quand on est peu qua­li­fié, quand on vit dans une région qui est en dif­fi­cul­té indus­trielle, quand on est soi-même en dif­fi­cul­té, quand on a une car­rière frac­tu­rée, bon cou­rage déjà pour arri­ver à 62 ans[1] ». De toute façon, nous expli­quait-il, il n’était pas néces­saire de faire une « réforme para­mé­trique » (déca­ler l’âge de départ et/ou aug­men­ter la durée de coti­sa­tion) puisque les régimes de retraites ne connaissent pas de pro­blèmes finan­ciers. Et de vou­loir nous impo­ser une réforme sys­té­mique avec la mise en place d’un régime par points aggra­vant les injus­tices et véri­table monstre bureau­cra­tique. [Photo : Manifestation à Chartres en 2019]

…à tra­vailler plus long­temps pour finan­cer la tran­si­tion écologique…

Ce der­nier pro­jet aban­don­né, il nous a ensuite expli­qué qu’il fal­lait tra­vailler plus long­temps pour déga­ger des res­sources afin de finan­cer la tran­si­tion éco­lo­gique, l’avenir de la pro­tec­tion sociale, etc. Que les res­sources déga­gées par une telle mesure, 0,5 % du PIB par an, soient déri­soires en com­pa­rai­son des besoins ne serait-ce que de la seule tran­si­tion éco­lo­gique, 5 % du PIB par an, n’avait pas l’air de le gêner outre mesure. De plus, comme le montre une étude publiée en 2021 par le labo­ra­toire Théorie et éva­lua­tion des poli­tiques publiques[2] « l’allongement de la vie active pro­longe la durée de coti­sa­tions à l’assurance-retraite. Hélas, il semble en même temps aug­men­ter les dépenses liées à l’absence-maladie » en rai­son de la dégra­da­tion de l’état de san­té des salarié·e·s séniors, phé­no­mène qui touche par­ti­cu­liè­re­ment les femmes. Vouloir dimi­nuer les dépenses en matière de retraites abou­tit donc à aug­men­ter notam­ment celles de l’assurance-maladie.

…ou pour sau­ver un sys­tème en danger

Travail Contrôle SoudureLe faible impact de l’argumentaire gou­ver­ne­men­tal dans l’opinion, qui voit d’un autre côté se mul­ti­plier les cadeaux fis­caux fait aux ménages les plus riches et aux employeurs, l’a ame­né à chan­ger son fusil d’épaule et à reve­nir à l’argumentaire clas­sique de toutes les mesures régres­sives en matière de retraites : le sys­tème serait finan­ciè­re­ment en dan­ger, il est donc néces­saire de tra­vailler plus long­temps pour le sau­ver. Il essaie de s’appuyer pour cela sur le der­nier rap­port du Conseil d’orientation des retraites (COR). Or, non seule­ment, le COR indique que le sys­tème de retraites est aujourd’hui excé­den­taire, mais le défi­cit annon­cé jusqu’en 2032 est esti­mé, selon les conven­tions comp­tables, entre à 0,4% et 0,7 % de PIB, ce qui est minime par rap­port au poids des retraites, près de 14 % du PIB, et ne repré­sente qu’environ 1 % de la masse salariale.

Un chif­frage du défi­cit fantaisiste

Mais sur­tout le chif­frage de ce défi­cit est fan­tai­siste car il repose sur des hypo­thèses plus que contes­tables. Ainsi, pour arri­ver à ce chiffre, le COR est obli­gé de pré­voir une remon­tée du chô­mage qui pas­se­rait de 5 % en 2027, pré­vi­sion du gou­ver­ne­ment, à 7 % en 2032 et pour les décen­nies sui­vantes. Le COR appuie donc son cal­cul du défi­cit sur la pré­vi­sion d’une réces­sion entre 2027 et 2032 et renonce pour la suite à toute pers­pec­tive de plein emploi. Autre hypo­thèse, le COR pré­voit aus­si que le taux d’emploi des femmes res­te­rait constam­ment infé­rieur de 8 points à celui des hommes de la tranche d’âge 25–54 ans, alors même que la France ne se situe qu’au 25ème rang des pays des 38 pays de l’OCDE en la matière. Toute pers­pec­tive d’égalité entre femmes et hommes, ce qui de plus per­met­trait d’améliorer les res­sources des caisses, est ain­si écar­tée. Enfin, il faut noter que le gou­ver­ne­ment par­ti­cipe lui-même à la construc­tion de ce défi­cit : les exo­né­ra­tions de coti­sa­tions sur les bas salaires et les heures sup­plé­men­taires accor­dées aux employeurs, qui ne sont tou­jours pas inté­gra­le­ment com­pen­sées par le bud­get de l’État, retirent près de 0,1 point de PIB aux res­sources du sys­tème et les mesures d’économies prises en matière de rému­né­ra­tion dans la fonc­tion publique ont des consé­quences néga­tives sur les coti­sa­tions qui les abondent.

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[1] Cité par Jean-Marie Harribey, https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey/2022/12/19/les-sept-perfidies-de-la-reforme-des-retraites-2023.

[2]Mohamed Ali Ben Halima, Camille Ciriez, Malik Koubi, Ali Skalli Retarder l’âge d’ouverture des droits à la retraite pro­voque-t-il un déversement de l’assurance-retraite vers l’assurance-maladie ? L’effet de la réforme des retraites de 2010 sur l’absence-maladie, https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-03507914v2/document.

 

Ne pas aug­men­ter la part de la richesse consa­crée aux retraites alors que la pro­por­tion de retrai­tés augmente…

Travail Brasserie BièreL’objectif du gou­ver­ne­ment est de sta­bi­li­ser la part des retraites dans le PIB à 14 % alors même que la pro­por­tion de retraité·e·s dans la popu­la­tion va aug­men­ter. Elle devrait pas­ser de 18,5 % aujourd’hui à 27,5 % en 2070. Le gou­ver­ne­ment s’appuie sur ce ratio démo­gra­phique pour jus­ti­fier ses pro­jets. Or le pro­blème n’est pas tant l’augmentation de la part des per­sonnes âgées dans la popu­la­tion totale que de savoir quel est le poids éco­no­mique que font peser toutes les per­sonnes (dites) inac­tives — retrai­tés, jeunes, chô­meurs, etc. – sur celles et ceux qui pro­duisent de la richesse d’un point de vue moné­taire, les actifs occu­pés. Or, ce ratio, dit de dépen­dance éco­no­mique, est glo­ba­le­ment stable depuis une cin­quan­taine d’années alors même que le nombre de retraité·e·s ne cesse d’augmenter et que le taux de chô­mage, qui dépend des poli­tiques éco­no­miques mises en œuvre, a connu des pics his­to­riques. Aucun drame n’est donc à pré­voir et ne pas vou­loir aug­men­ter la part des retraites dans le PIB signi­fie pro­gram­mer pour l’avenir une baisse des pen­sions par rap­port aux reve­nus des actifs et donc une régres­sion accrue du niveau de vie pen­dant la retraite.

…ni revoir le ratio salaires / profits

Surtout, le gou­ver­ne­ment comme le COR consi­dèrent comme immuable la répar­ti­tion de la richesse pro­duite : le par­tage salaires/profits ne bou­ge­rait pas pen­dant le demi-siècle pro­chain, alors même que la part des salaires dans la richesse créée a bais­sé de cinq points par rap­port à la moyenne des « Trente Glorieuses » et que les pro­fits des grandes entre­prises atteignent des som­mets. Toute hausse des coti­sa­tions est exclue alors même que, sui­vant le COR et ses hypo­thèses de défi­cit, une légère aug­men­ta­tion suf­fi­rait à équi­li­brer dura­ble­ment le sys­tème de retraites : en 2032, entre 1,4 point et 1,9 point selon les scé­na­rios de pro­duc­ti­vi­té et sur la base de la conven­tion comp­table dite d’équilibre par l’État qui est la moins favorable.

L’augmentation de la pen­sion mini­male est insuf­fi­sante et conditionnelle

Seul élé­ment posi­tif, l’augmentation de la pen­sion mini­male de 100 euros par mois, mesure qui devrait pro­ba­ble­ment concer­ner l’ensemble des retrai­tés et l’engagement qu’un sala­rié au Smic aura une pen­sion égale à 85 % du Smic, pro­messe datant de… 2003. Cette pen­sion mini­male est condi­tion­née au fait d’avoir fait une car­rière com­plète. Si tel n’est pas le cas elle sera moindre. De plus, il n’est pas indi­qué que cette pen­sion mini­male serait reva­lo­ri­sée comme le Smic.

Vers une aug­men­ta­tion des per­sonnes exclues du mar­ché du travail

Les consé­quences d’un report de l’âge de départ en retraite sont bien connues. Déjà aujourd’hui, de nom­breuses per­sonnes sont exclues du mar­ché du tra­vail avant de pou­voir béné­fi­cier de leur retraite, les entre­prises ayant ten­dance à se débar­ras­ser des salarié·e·s âgé·e·s. Ainsi, selon la Direction de la recherche, des études, de l’é­va­lua­tion et des sta­tis­tiques (DREES), 32 % des per­sonnes de la géné­ra­tion née en 1950 n’étaient plus en emploi l’année pré­cé­dant leur retraite, pour­cen­tage plus éle­vé pour les femmes que pour les hommes. Ces per­sonnes étaient soit au chô­mage, soit en inva­li­di­té ou en maladie.Ne per­ce­vant aucune pen­sion, elles sont réduites sou­vent aux mini­mas sociaux. Tout recul de l’âge de départ ne ferait qu’aggraver encore cette situa­tion. La mise en place d’un « index », cen­sé rendre visible la place des seniors dans les entre­prises, ne chan­ge­ra hélas rien à cette situa­tion comme l’a mon­tré l’index sur l’égalité entre les femmes et les hommes qui a eu un effet nul sur la situa­tion concrètes des femmes dans les entreprises.

Femme ManutentionConséquence : Plus de retraité·e·s en mau­vaise san­té, un recul civilisationnel

Le pro­jet du gou­ver­ne­ment est d’autant plus inac­cep­table que la crois­sance de l’espérance de vie se réduit. Elle est pas­sée d’un tri­mestre par an dans les années 2000 à un mois par an aujourd’hui. Mais sur­tout, selon Eurostat, l’institut sta­tis­tique euro­péen, en 2020 l’espérance de vie en bonne san­té à la nais­sance n’est que de 63,9 ans pour les hommes et 65,3 ans pour les femmes, les ouvriers et employés étant évi­dem­ment les plus tou­chés par une limi­ta­tion des acti­vi­tés au quo­ti­dien : un tiers des ouvriers et un quart des employés sont déjà en inca­pa­ci­té la pre­mière année de leur retraite. On voit ce que signi­fie­rait un allon­ge­ment du temps de vie pas­sé au tra­vail, ce d’autant plus que les CHS-CT ont été supprimés.La grande avan­cée civi­li­sa­tion­nelle qu’a appor­tée la retraite par répar­ti­tion a été de faire de cette période de la vie, non pas l’antichambre de la mort, mais une phase de la vie où, encore en rela­tive bonne san­té, nous pou­vons nous adon­ner à des acti­vi­tés sociales libres. C’est cette avan­cée que toutes les réformes néo­li­bé­rales remettent en cause en vou­lant nous faire tra­vailler tou­jours plus pour la plus grande pro­fi­ta­bi­li­té du capital.

Article écrit par Pierre Khalfa pour Ensemble! et GES

 

[Les inter­titres sont de la rédaction]