Briser ‘’L’Empire du silence’’ sur la situation en République Démocratique du Congo
À l’occasion de la projection-débat de « L’Empire du silence » lors de la séance des Lundis des Sans-Papiers programmée par l’AERéSP, avec Amnesty International et l’ACAT, le 30 janvier dernier à Chartres, nous n’avions pas pu en faire un compte rendu. Nous réparons un peu aujourd’hui cette lacune en publiant celui de la séance du 2 mai chez nos proches voisin·e·s de Vernon. Une autre séance est prévue ce vendredi 5 mai à 20h15 au Cinéma-Théâtre de Vernon avec là encore, un débat avec Ben Kamuntu, slamer, membre de « la Lucha », mouvement pacifiste congolais et Christophe Pénicaud, ancien chargé de missions en santé publique en RDC, membre d’Amnesty International. L’équipe d’Amnesty international d’Évreux présentera aussi ses activités.
Le cinéaste belge Thierry Michel est aussi l’auteur de L’Homme qui répare les femme
« L’Empire du silence », un film de Thierry Michel sur la guerre en République Démocratique du Congo (RDC) menée depuis plus de 25 ans est selon Télérama un « vibrant hommage au combat des Congolais pour la justice. Plaidoyer contre le silence, le film, sublimé par la photogénie du pays, se veut pièce à conviction dans un procès à venir. Épousant le rêve de Denis Mukwege ‘’de voir un jour, dans une salle d’audience, la vérité dite sur les crimes de guerre, contre l’humanité, de génocide’’ ».
En début de séance, le 2 mai, Denis Gasiglia, en charge du Ciné-Club de Vernon a fait une présentation très documentée des travaux de Thierry Michel. Il a rappelé aussi que ce film s’inscrivait à la suite de « l’Homme qui répare les femmes » retraçant le combat du gynécologue congolais et prix Nobel de la Paix, le Dr Denis Mukwege et de sa fondation Panzi, pour la réhabilitation physique, psychique et juridique des femmes victimes des violences sexuelles en RDC.
Le groupe Lucha
Lors du débat, Ben Kamuntu a présenté le groupe « Lucha » (lutte pour le changement) dont il fait partie depuis son origine en 2013 et qui lui a valu de nombreuses peines d’emprisonnement pour avoir dénoncé l’incurie et la corruption des pouvoirs publics congolais. Il s’agit d’un mouvement local de jeunes militants pacifiques basé à Goma, dans l’est de la RDC où Ben est né il y a moins de 30 ans. Ce groupe concentre son action sur les questions sociales, les droits humains et la protection des civils contre les groupes armés. La Lucha à sa naissance, c’est une poignée d’amis de Goma, dans le nord-Kivu, qui ont décidé de se mobiliser pour revendiquer l’accès à l’eau pour toutes et tous, dans une ville au bord de l’un des plus grands lacs d’Afrique, mais aussi pour dénoncer un chômage endémique et le manque d’infrastructures dans un pays pourtant très riche en ressources. Puis leurs revendications se sont amplifiées pour aller jusqu’aux questions de gouvernance, de respect de la constitution, et d’alternance démocratique.
Selon Amnesty International, le mouvement de jeunesse citoyen « Lucha » est devenu en quelques années l’un des plus importants mouvements des droits humains en RDC. L’un des plus réprimés aussi. La répression est devenue systématique quand les militants de la Lucha ont commencé à nouer des alliances avec d’autres mouvements de jeunesse citoyens d’autres pays africains : le « Balai citoyen » au Burkina Faso, les « Y en marre » du Sénégal.
Christophe Pénicaud : Ce film reste d’une effroyable actualité
De son côté, Christophe Pénicaud a souligné que ce film reste d’une effroyable actualité. La RDC est toujours le théâtre de graves atteintes aux droits humains : violences sexuelles, massacres, conflits armés, exécutions sommaires, exactions intercommunautaires, répression de la dissidence, arrestations arbitraires, mauvais traitements en détention, etc. Comme cela apparaît dans le film, les populations des régions concernées par le conflit armé, notamment l’est et le centre du pays, sont particulièrement touchées, avec des déplacements massifs et une aggravation de la crise humanitaire. Comme par le passé, les autorités continuent à faire preuve d’un total manque de volonté politique pour amener les auteurs présumés de violations des droits humains à rendre des comptes. Cette situation est d’autant plus critique que les forces de sécurité congolaises et la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), dont la mission principale est de protéger les civil·e·s, ne font toujours rien pour empêcher ou arrêter ces attaques, y compris lorsque les mécanismes d’alerte locaux en place les en avertissent.
Un pillage systématique des ressources de la RDC
Selon les deux intervenants, le silence de la communauté internationale sur la situation dénoncée dans le film s’explique par le fait que notre modèle de société est fondé sur le pillage systématique des ressources de la RDC, en particulier des minerais précieux utilisés pour les batteries des téléphones et ordinateurs. Les pays voisins comme le Rwanda – qui participent largement de ces pillages – font l’objet de la part des gouvernements européens d’une mansuétude liée en partie par le fait que ce pays rend depuis de longues années de multiples « services », notamment pour faciliter les ventes d’armes vers des pays sous embargo (comme l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid) ou encore sur la question des migrants comme cela s’est vu récemment avec les accords passés avec la Grande-Bretagne.
Lors du débat, il a été rappelé que :
- Pour une population de 80 millions d’habitants, les guerres en RDC depuis 25 ans ont fait plus de 6 millions de morts et 1,5 millions de déplacés (source International Rescue Committee),
- 400 000 femmes sont victimes de violences sexuelles par an (même si ce chiffre est très en deçà de la réalité) et de fait, la cartographie des violences sexuelles correspond exactement à la cartographie des zones minières (Fondation Panzi),
- plus de 64 % de la population vit avec moins de 2,15 dollars des États-Unis par jour (Banque mondiale),
- 27 millions de personnes, dont 3,4 millions d’enfants, sont en situation d’insécurité alimentaire (Programme alimentaire mondial),
- plus de 420 écoles et 180.000 enfants ont été concernés en 2022 par des attaques ou des occupations d’écoles du fait du conflit sévissant dans l’est et l’ouest de la RDC (UNICEF),
- aucun progrès sensible n’a été accompli en matière de lutte systématique et efficace contre l’impunité généralisée pour les crimes de droit international et autres graves atteintes aux droits humains commis en RDC.
Les recommandations de l’ONU sont restées quasi lettre morte
Sur ce dernier point, il reste que le rapport « Mapping » concernant les violations des droits humains et crimes de guerre en RDC, résultant d’une mission d’enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, n’a pas été pris en compte, par suite des obstructions de certains pays comme le Rwanda. L’objectif premier du rapport était d’aider le gouvernement congolais à mettre fin aux violences endémiques sur son territoire. Aucune des recommandations formulées n’a été mise en place. En décembre 2019, Tatiana Mukanire Bandalire a lancé avec le Mouvement national des survivantes de violences sexuelles en RDC une pétition pour la mise en œuvre des recommandations du rapport. La même année, le Dr Denis Mukwege a plaidé solennellement pour une telle mise en œuvre lors d’une allocution à l’Assemblée nationale française. En août 2022, le nouveau gouvernement congolais a annoncé un projet de loi pour la protection des victimes de violences sexuelles et de crimes de guerre, ainsi que la création d’un fonds d’indemnisation des victimes.
Quelques avancées ont été observées ces derniers mois, notamment :
- un texte sur la réparation des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes d’autres crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité,
- une décision de la Cour internationale de justice attendue de longue date déterminant les réparations dues par l’Ouganda à la RDC pour les infractions au droit international humanitaire commises dans le cadre des activités armées menées sur le territoire de la RDC.
Des réparations insuffisantes et à la concrétisation incertaine
À ce titre, l’Ouganda a été sommé de payer 325 millions de dollars des États-Unis à la RDC dont 40 millions pour les dégâts matériels et 60 millions pour les dommages causés aux ressources naturelles. Le reste, soit 225 millions, a été ciblé pour les préjudices aux personnes.
En fait, ces intentions tardent à se concrétiser. Les chiffres précités sont très en deçà des dommages et pillages. De plus, aucune garantie de paiement effectif n’a été apportée et aucune information n’a été fournie sur la manière dont les réparations destinées aux personnes seraient attribuées.
En attendant la mise en place de réparations, très hypothétiques, on assiste toujours à la perpétuation du pillage des ressources du pays par des opérateurs de toutes nationalités (occidentales, chinoises et russes) dans une situation sécuritaire d’autant plus critique que les forces armées congolaises comptent dans leurs rangs d’anciens criminels de guerre.
Ben Kamuntu slame pour soutenir la Lucha
En fin de débat, Ben Kamuntu a présenté une de ses œuvres de slam de sa composition, avec une interprétation qui a beaucoup impressionné le public. Ses œuvres sont sous ce lien : https://youtu.be/cAZp81DqJsg et https://vis-by-benkamuntu.carrd.co/. Il fera une performance le 4 mai à Paris (affiche ci-dessous) en soutien aux combattants de la Lucha.
Enfin, depuis le 25 avril et jusqu’au 5 mai, se tient une double exposition de photographies prises dans les régions centrales et orientales de la RDC par Christophe Pénicaud en marge de ses missions de santé maternelle et infantile, l’une au Cinéma-Théâtre (1, place de Paris) et l’autre à « la Belle Equipe » (33bis, bd du Maréchal Leclerc et 106 rue Carnot) avec ci-dessous un aperçu.