75 ans de lutte des agricultrices pour l’égalité
Salle comble (156 places), en ce lundi 17 octobre 2023, au cinéma Les Enfants du Paradis de Chartres pour la projection du film « Moi, Agricultrice » réalisé en 2022 par Delphine Prunault et dédié à sa grand-mère Denise, ancienne agricultrice. Il a été programmé à l’initiative de cinq AMAPs : d’E&L : Amap en BIOCE, Amapetite cagette, le panier de la Roguenette-Amap de Gasville-Oisème, Amap’tite Terre, Les RéJOUYs, sous l’égide de l’ADEAR1 et dans le cadre d’un projet alimentaire territorial reconnu par le Ministère de l’Agriculture.
Les jeunes agricultrices sur les pas de leurs aînées
En préambule, le scénario part de la jeune génération incarnée par Cécile, mariée, mère d’une fille et courageuse cheffe d’exploitation, — elle avait 12 ans quand son père s’est suicidé — et par Nadège, mère de trois enfants qui a repris seule un vignoble bio en Anjou. Elles ont choisi ce métier par vocation.
Depuis soixante ans, des militantes se battent pour bénéficier des mêmes droits que les hommes dans le monde agricole où les femmes restaient dans l’ombre. Car trop longtemps l’institution agricole était dirigée PAR des hommes et POUR des hommes. Le film nous livre le récit du combat mené par trois d’entre elles.
Trois figures courageuses et encourageantes
La première Anne-Marie Crolais, éleveuse de porcs dans les Côtes d’Armor est devenue la première femme élue responsable syndicale à 24 ans.
Michou Marcusse, 90 ans qui vit dans les Landes, une forte personnalité intarissable sur le combat mené pour la libération des femmes et leur insertion dans la société rurale. Elle rappelle qu’en 1983 a eu lieu la première manifestation pour revendiquer le droit au statut d’agricultrice.
Marie-Paule Méchineau a poursuivi ses études, vécu les événements de mai 68, date à partir de la-quelle elle a mené tous les combats, d’abord au sein du MLF2 (créé en 1971), ensuite dans la détermination à jouer un rôle dans les instances pour faire évoluer les droits des femmes agricultrices.
Des succès longs à venir
En 1986, elles obtiennent huit semaines de congé de maternité quand les autres salariées ont le double depuis six ans.
En 1988, elles obtiennent le statut d’exploitante, en 2010 celui d’exploitante indépendante, et enfin en 2019 (!) le droit à un congé de maternité juste et aligné sur celui des autres salariées.
Marie-Paule touche une retraite de 820 € mensuels.
Le film- documentaire rend un hommage poignant à ces « insoumises » qui se sont battues pour continuer à exercer avec fierté ce métier parfois dénigré qu’elles ont librement choisi.
Trois témoignages d’agricultrices euréliennes
S’en est suivi un débat autour du thème « Paysannes : ces femmes qui font vivre nos territoires » en présence de la réalisatrice et de trois paysannes euréliennes qui ont livré leur témoignage :
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Amandine Dupuy, productrice céréalière / Ferme Dupuy à Challet. Seule sur son exploitation en agriculture biologique.
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Aude Mornas, maraîchère à Sours. Avec son époux Alexandre, ils produisent depuis 2010, sur une surface de 6 ha, des fruits et légumes qu’ils vendent à la ferme «Aux petits légumes».
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Sylvie Arrondeau, ferme de la Métairie à Dancy où, depuis trente ans, ensemble avec son époux, ils pratiquent la polyculture et l’élevage de volailles pour produire, œufs, légumes secs, farines, huiles, pains.
Encore bien des inégalités et des difficultés
Ce film les met à l’honneur car, autrefois victimes d’un ordre patriarcal et machiste, elles bénéficient actuellement des droits acquis par les luttes menées par les deux générations qui les ont précédées. Il n’en reste pas moins qu’elles sont encore mal considérées dans leurs rémunérations et leur statut. Il a fallu des années pour qu’elles soient considérées comme des conjointes associées à l’entreprise de leur époux, et non comme des femmes « sans profession ».
Sylvie rappelle qu’en tant qu’éleveurs, ils n’ont pas de vacances. Le congé de maternité ne leur a été pleinement accordé qu’en 2019 ! Il arrive aussi que certaines femmes occupent un second emploi pour éviter la faillite de leur entreprise suite à une baisse des revenus à cause de la chute des prix, du lait notamment. La crise du suicide en milieu agricole provoquée par des situations financières insolubles a aussi été évoquée.
Faire vivre l’agriculture biologique
Un combat auquel elles tiennent particulièrement, c’est celui de faire vivre l’agriculture biologique. C’est en effet avec des aliments sains qu’elles veulent nourrir la population. Il faut encourager les paysans à la pratique de l’agro-écologie. Amandine lance un appel aux consom’acteurs que nous sommes, à privilégier les circuits courts, la vente directe à la ferme et à aider les petits agriculteurs victimes d’une distribution injuste des aides de la PAC3. Eux seuls rendent les territoires vivants et feraient naître l’espoir que les gens reviendraient vivre à la campagne.
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1. Association pour le développement de l’emploi agricole et rural ;
2. Mouvement de Libération des Femmes.
3. Politique Agricole Commune.