Saint-Ange :
L’effroi des animaux dans leur habitat disparu

Le mas­sacre d’un espace boi­sé autour de la rivière Blaise à Saint-Ange (com­mune de Saint-Ange-et-Torçay) par un pro­prié­taire fon­cier peu scru­pu­leux (voir notre article du 10 octobre) a déclen­ché les réac­tions des défen­seurs des pay­sages natu­rels et entraî­né la créa­tion d’un Comité pour la défense du pay­sage et de la bio­di­ver­si­té qui avait orga­ni­sé sym­bo­li­que­ment ce same­di 28 octobre un ‘’enter­re­ment fes­tif et émo­tion­nel du lézard vivi­pare’’. En effet, ce rep­tile, comme un autre habi­tant du même bio­tope, la vipère péliade, est direc­te­ment mena­cé par la des­truc­tion de son habitat.

Près d’une cin­quan­taine de per­sonnes se sont ras­sem­blées en cette jour­née plu­vieuse à proxi­mi­té de la coupe incri­mi­née. Ont pris suc­ces­si­ve­ment la parole Benoît Coignard, porte-parole des Soulèvements de la Terre du Drouais, Jean-Luc Potiron, natu­ra­liste, et Dominique Lubow, maire de la commune.

 

’Je lance un appel à nous tous, citoyens…’’

 

Benoît Coignard a d’abord rap­pe­lé que ‘’la pla­nète a per­du 6,6 mil­lions d’hectares de forêts en 2022, soit 4 % de plus qu’en 2021’’, que ‘’100 mil­lions d’hec­tares de forêt ont dis­pa­ru en deux décen­nies. La Terre est le théâtre de la sixième extinc­tion de masse, la plus rapide jamais enre­gis­trée.’’ Il a fus­ti­gé les res­pon­sables : ‘‘les acteurs du néo­li­bé­ra­lisme et leur lob­bys, sou­te­nus par des gou­ver­nants sous influences [qui] se voilent la face, gagnent du temps et se couvrent de honte pour d’é­normes pro­fits.’’ Il a conclu sa prise de parole par un vibrant et solen­nel appel ‘’à nous tous, citoyens, nous aus­si res­pon­sables. Tous ensemble exer­çons une étroite vigi­lance afin que plus jamais ne soit por­té atteinte à un bio­tope vul­né­rable.’’ [L’intégralité de l’intervention est à lire ici]

 

Un natu­ra­liste en pre­mière ligne

 

Jean-Luc Potiron, natu­ra­liste de ter­rain, habi­tant la com­mune, a expli­qué qu’il arpente le ter­ri­toire pour réa­li­ser des inven­taires de flore et de faune (amphi­biens, insectes, rep­tiles, papillons). Il en com­mu­nique les résul­tats au Conservatoire des Espaces Naturels. C’est ain­si qu’en août 2018, il a décou­vert la pré­sence de deux rep­tiles rares (le lézard vivi­pare et la vipère péliade), en dan­ger cri­tique d’extinction dans la ripi­sylve1 le long de la Blaise, dans les prai­ries humides du Mesnil. Après les avoir iden­ti­fiés et pho­to­gra­phiés, il en fait part au Conservatoire, au Muséum et à l’OFB2. Il a fal­lu attendre encore deux ans pour qu’en 2020, un conseil scien­ti­fique valide défi­ni­ti­ve­ment leur ins­crip­tion sur une fiche ZNIEFF3. Devant le désastre, il a regret­té que la fiche ZNIEFF n’ait pas une por­tée règle­men­taire ce qui per­met au pro­prié­taire se décla­rant igno­rant de la pré­sence d’espèces pro­té­gées d’échapper à toute sanction.

 

Les tra­vaux arrê­tés pen­dant la période d’hibernation

 

Le maire de Saint-Ange-et-Torçay a, pour sa part, expli­qué que, dès qu’il a été pré­ve­nu de l’abattage, il a aver­ti les admi­nis­tra­tions et convo­qué le pro­prié­taire, avec le Sous Préfet et Benoit Coignard, en pré­sence des gen­darmes. Il a aus­si ren­con­tré des asso­cia­tions pour qu’elles lui expliquent les risques encou­rus pour la dégra­da­tion du bio­tope. Finalement le pro­prié­taire a accep­té d’arrêter les tra­vaux pen­dant la période d’hibernation des rep­tiles, et le maire consi­dère que ‘’sa démarche a été fruc­tueuse, si l’objectif de la pro­tec­tion de la faune est main­te­nu’’.

 

Les artistes  à la rescousse

 

La pluie ayant oppor­tu­né­ment ces­sé, plu­sieurs comédien·ne·s d’horizons dif­fé­rents se sont réuni·e·s en tant que citoyen·ne·s pour pro­duire une parade, sous la direc­tion de Vanessa Sanchez et Emmanuel Leckner. Portant de magni­fiques masques, les artistes ont incar­né des ani­maux de la forêt dans l’effroi, face à la dis­pa­ri­tion de leur environnement.

Ils ont orga­ni­sé ensuite l’enterrement du lézard vivi­pare qui a été pla­cé dans un cer­cueil, lui-même ins­tal­lé sur le cor­billard d’époque. Ensuite, les manifestant·e·s ont consti­tué un convoi funé­raire le long de la route bor­dant la Blaise, c’est sous un charme que la troupe a conclu par une pres­ta­tion offrant quelques danses, textes (par exemple, Le Lézard de Robert Desnos), chan­sons ( Du pain sur la planche, du spec­tacle L’Hiver sera chaud de Mathieu Barbances).

_________

  1. L’ensemble des for­ma­tions boi­sées, buis­son­nantes et her­ba­cées le long d’une rivière.
  2. Office Français de la Biodiversité.
  3. Zone Naturelle d’Intérêt Faunistique et Floristique.