Festival AlimenTERRE : Un enjeu d’éducation populaire par le film et la photo

Dans le cadre du fes­ti­val AlimenTERRE, et en lien avec le Festival des Solidarités (Festisol), le Collectif d’Accueil des Exilés pour la régu­la­ri­sa­tion des Sans-Papiers (l’AERéSP 28) va pré­sen­ter un film, « Partir à l’aventure », aux Enfants du Paradis ce lun­di 27 novembre à 20 heures, sui­vi d’un débat ani­mé par Amandine Dupuy, de la Confédération pay­sanne[1].

Dans ces colonnes, nous avions déjà men­tion­né à diverses reprises ce fes­ti­val AlimenTERRE [2]. Pour en savoir davan­tage, nous avons deman­dé à Christophe Pénicaud de nous don­ner un aper­çu des der­nières mani­fes­ta­tions de ce fes­ti­val, en reve­nant en par­ti­cu­lier sur les thèmes rete­nus dans le cadre de ses deux der­nières expo­si­tions pho­to­gra­phiques : « Zones de pêche à défendre » à Pithiviers et, avec Marie-José Tubiana, « Des femmes puis­santes » à Mainvilliers.

Pour contac­ter Christophe Pénicaud : christophe.penicaud.photos@gmail.com

 

Depuis plus de cinq ans, vous inter­ve­nez sur le fes­ti­val AlimenTERRE, de quoi s’agit-il ?

Christophe Pénicaud [portrait]C’est en effet la cin­quième année consé­cu­tive que je par­ti­cipe à ce fes­ti­val, mais sim­ple­ment à titre de mili­tant de base, en accom­pa­gne­ment de toutes celles et ceux qui se mobi­lisent sur ce fes­ti­val dont l’objet est de faire prendre conscience de l’interdépendance et de la simi­li­tude des enjeux agri­coles et ali­men­taires dans le monde. Coordonné par le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI), ce Festival s’efforce de faire en sorte que les citoyens puissent agir pour une ali­men­ta­tion durable et soli­daire et contri­buer au droit à l’alimentation ici et ailleurs [3]. À ce titre, ma contri­bu­tion est d’aller à la ren­contre du public et des élèves dans le cadre d’expositions pho­to­gra­phiques dans des éta­blis­se­ments sco­laires et/ou des lieux cultu­rels de la région.

À Pithiviers, vous avez pré­sen­té une expo­si­tion « Zones de pêche à défendre », quel est son objet ?

01-2023.10 AlimenTERRE 'zones de pêche à défendre' Pithiviers [Affiche]Juste en face du port de Conakry (Guinée) sta­tionnent de gros bateaux de pêche d’Europe ou d’Extrême Orient. Normalement, ces bateaux devraient pêcher en haute mer, et non là où tra­vaillent les arti­sans gui­néens. Résultat : les fonds marins sont sac­ca­gés, ces pêcheurs perdent leur tra­vail et pour les com­mu­nau­tés locales, il ne reste que les plus petits pois­sons. Ce type de situa­tion se repro­duit sur toutes les côtes d’Afrique. J’ai été frap­pé par la rési­lience, la beau­té des com­mu­nau­tés concer­nées et en par­ti­cu­lier des femmes qui prennent une part très active, mais invi­sible. La série pré­sen­tée du 9 au 20 octobre [4] est dédiée à toutes les per­sonnes ren­con­trées le long du lit­to­ral atlan­tique, du Maroc à la Namibie, vic­times du pillage et de la pré­da­tion de la pêche indus­trielle, et qui sou­vent doivent prendre la déci­sion du che­min de l’exil en quête d’un meilleur des­tin. Les pho­tos ont été prises sur une période de 25 ans, de 1992 à 2017, en marge de mes mis­sions de san­té publique.

Vous avez aus­si pré­sen­té une autre expo­si­tion « Des femmes puis­santes » à Mainvilliers, avec Marie-José Tubiana. 

Tout d’abord, je sou­haite rendre hom­mage au tra­vail consi­dé­rable de Marie-José Tubiana, une eth­no­logue qui tra­vaille depuis près de 70 ans sur les popu­la­tions du Tchad et du Soudan, et qui est tou­jours en acti­vi­té en sou­tien aux vic­times des exac­tions com­mises au Darfour depuis des décen­nies. Merci à vous d’avoir cou­vert la pré­sen­ta­tion du film qui lui a été consa­cré, « La Combattante », lors d’une séance orga­ni­sée dans le cadre des « lun­dis des Sans Papiers » le 2 octobre der­nier [5] et qui avait don­né lieu à une expo­si­tion de ses pho­tos [6].

Les pho­tos de Marie-José Tubiana, qui ont été pré­sen­tées à Mainvilliers dans le cadre de Festisol, parlent de femmes en zones rurales du Tchad et du Soudan, dans des acti­vi­tés liées à l’agriculture et à l’alimentation. À ce titre, ces pho­tos ont plei­ne­ment leur place dans un fes­ti­val comme AlimenTERRE. De plus, comme nous sommes dans le contexte de la jour­née inter­na­tio­nale de lutte contre les vio­lences faites aux femmes (le 25 novembre), il m’a paru impor­tant de mettre en lumière des femmes qui exercent des acti­vi­tés fon­da­men­tales, mais invi­sibles, dans des condi­tions sou­vent très dif­fi­ciles, mar­quées par des tâches haras­santes, avec des reve­nus très bas, voire nuls, et qui sont les prin­ci­pales vic­times des exac­tions sexuelles dans la région.

De votre côté, vous avez pré­sen­té des pho­tos liées aux femmes qui tra­vaillent le sel au Sahel. Pouvez-vous nous en parler ?

06-2023.11 AlimenTERRE-Festisol [affiche]Là aus­si, il s’agit de femmes puis­santes, d’où le titre de l’exposition. Au Sahel, le tra­vail du sel est dif­fi­cile. Surtout pour les femmes. Elles y occupent une place cen­trale et ce sont elles qui sup­portent les charges les plus lourdes. Au Lac Rose, au Sénégal, un lac très salé et peu pro­fond, ce sont les hommes qui ramassent le sel et le déposent en tas dans les barques. Puis les femmes en rem­plissent leurs bas­sines. Avec 35 kg de sel sur la tête, elles font à pied la navette jusque vers les aires de sto­ckage, à 200 mètres du rivage, où elles les y déchargent. À chaque rota­tion, elles déposent un coquillage dans un seau, qui ser­vi­ra pour cal­cu­ler la paye jour­na­lière. Un salaire de misère pour un tra­vail harassant.

Depuis peu, une catas­trophe envi­ron­ne­men­tale a fait perdre au Lac Rose sa teneur en sel et la cou­leur de sa sur­face est pas­sée du rose au gris, pri­vant les femmes et les hommes des envi­rons de leurs sources de revenu…

Par cette série de pho­tos, j’ai sou­hai­té par­ta­ger la ren­contre avec ces femmes qui s’activent pour résis­ter aux défis socio-éco­no­miques, envi­ron­ne­men­taux tout en assu­rant une charge men­tale signi­fi­ca­tive de par l’ampleur des dif­fi­cul­tés quotidiennes.

Quel bilan tirez-vous des expo­si­tions de pho­tos dans les lycées et collèges ?

Chacune des expo­si­tions faites depuis ces cinq der­nières années avec AlimenTERRE s’accompagnent sys­té­ma­ti­que­ment de temps d’échanges avec les élèves et les pro­fes­seurs, autour des ques­tions posées par les pho­tos pré­sen­tées, elles-mêmes choi­sies par rap­port aux thèmes rete­nus par les res­pon­sables du Festival. Les classes qui assistent aux séances sont très diver­si­fiées et je m’efforce d’adapter mes pro­pos et réponses aux ques­tions en fonc­tion de la matière des classes. Ces dis­cus­sions avec les élèves sont très enri­chis­santes, les ques­tions posées sont très per­ti­nentes et l’impact est encore plus grand quand les élèves tra­vaillent les sujets en amont avec les professeurs.

Parfois, les élèves font aus­si, en aval, des tra­vaux d’écriture comme par exemple lors d’une expo­si­tion faite il y a deux ans, « AlimenTERRE 21 », avec un ami pho­to­graphe réfu­gié afghan, Abdul Hamid Mandgar. En marge de l’exposition, nous avons aus­si pré­sen­té son court métrage “Colorless” qui a eu beau­coup de suc­cès par­mi les élèves et les pro­fes­seurs, don­nant lieu à de riches débats, notam­ment au lycée Fulbert à Chartres. Ce film qui traite des vio­lences faites aux filles a été maintes fois pri­mé dans des concours inter­na­tio­naux. Il se trouve sous ce lien[7].

Merci pour ces indi­ca­tions. Pour conclure, que vou­driez-vous souligner ?

Année après année, ce fes­ti­val prend de l’ampleur. À ce stade, on compte un public de 90.000 per­sonnes dans le cadre de 2.000 évé­ne­ments dans 600 com­munes d’une dou­zaine de pays. Le site pré­sente des maté­riaux très riches comme par exemple le film qui va être pro­je­té ce lun­di « Partir à l’aventure » dont il a été ques­tion ci-des­sus. Réalisé par quatre étu­diantes en agro­no­mie, ce film ques­tionne les liens entre des par­cours migra­toires et nos sys­tèmes de pro­duc­tion agri­cole [8].

Quant aux expo­si­tions pho­to­gra­phiques que je pro­pose, elles portent sur dif­fé­rents sujets de socié­té et enjeux inter­na­tio­naux. Elles sont en lien avec AlimenTERRE, mais aus­si avec les com­bats menés par Amnesty inter­na­tio­nal dont je suis membre depuis plus d’une qua­ran­taine d’années. Les dif­fé­rents thèmes pré­sen­tés sont par exemple : les dis­cri­mi­na­tions, le droit des enfants, les réfu­giés et migrants, les vio­lences faites aux femmes, la res­pon­sa­bi­li­té sociale des entre­prises, le droit de mani­fes­ter et la liber­té d’expression, le contrôle des armes et les conflits armés, la pro­tec­tion du cli­mat, de la terre et de la bio­di­ver­si­té ou encore les popu­la­tions vic­times du pillage des res­sources natu­relles, etc. Les expo­si­tions peuvent s’organiser sim­ple­ment, les pho­tos sont déjà enca­drées et j’ai fabri­qué des ins­tal­la­tions en bam­bou pour les présenter.

Enfin, je vou­drais saluer le tra­vail des équipes de Festisol dans le cadre duquel s’inscrit AlimenTERRE en Eure et Loir. Ce tra­vail se tra­duit par une très forte coor­di­na­tion entre dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions de soli­da­ri­té et qui, cha­cune à sa façon, par­ti­cipent aux actions de sen­si­bi­li­sa­tion et de mobi­li­sa­tion autour des thèmes défen­dus par les pro­mo­teurs du fes­ti­val AlimenTERRE.

________________

[1]https://ensemble28.forum28.net/%C3%A9v%C3%A8nement/partir-a-laventure-les-enfants-du-paradis-chartres-27-novembre-20‑h/

[2]https://ensemble28.forum28.net/2022/11/18/c‑penicaud-nous-parle-de-lagenda-21-dalimenterre-et-de-festisol/

[3]https://www.alimenterre.org/le-festival-alimenterre‑0

[4]https://www.alimenterre.org/zone-de-peches-a-defendre

[5]https://ensemble28.forum28.net/2023/10/05/soudan-meurtri-et-droit-dasile-au-coeur-du-36e-lundi-des-sans-papiers/

[6]https://ensemble28.forum28.net/%C3%A9v%C3%A8nement/la-combattante-expo-photos-19-h-film-19-h-30-cineparadis-chartres-2-octobre/

[7]http://www.pearltrees.com/t/exposition-alimenterre-21/id46909883

[8]https://www.alimenterre.org/partir-a-l-aventure

Photos de Christophe Pénicaud

Photos de Marie-José Tubiana