39e Lundi des Sans-Papiers : Comment se recyclent les stéréotypes sur l’immigration
L’AERéSP1 avait convié, dans le cadre du 39ème Lundi des Sans-Papiers, à la projection du film d’animation ‘’Interdit aux chiens et aux Italiens’’. Le réalisateur, Alain Ughetto, y raconte la vie de ses grands-parents immigrants italiens après la 1ère Guerre mondiale. C’est une œuvre superbe, sensible, émouvante et qui lève le voile sur un pan d’histoire trop méconnu. Nous vous recommandons ce film [voir encadré].
Pour le débat qui a suivi, le collectif avait invité la sociologue Catherine Wihtol de Wanden, auteur de nombreuses recherches et publications sur les migrations. Plusieurs de ses livres étaient en vente et ont remporté un vrai succès. Passionnant échange qui a permis au public d’acquérir des données historiques et de comparer avec la période actuelle.
Il nous est impossible de relater tous les sujets qui ont été abordés. Nous nous contenterons d’en mentionner deux : l’accueil en France de l’immigration italienne et la comparaison avec l’accueil des immigrés d’aujourd’hui2. Pour approfondir, nous vous renvoyons aux livres de l’intervenante.
Maçon et mineur, des métiers pour les Italiens
Au total, entre 1850 et 1970, 31 millions d’Italiens ont quitté leur pays.
C’est dans les années 1930, au temps de la reconstruction après la guerre de 14, que l’immigration italienne a été la plus importante en France On demandait souvent aux Italiens d’être maçons. D’autres travaillaient dans les mines, surtout de Lorraine dans les mines de fer, d’autres étaient employés dans la région de Grenoble et dans les gros chantiers.
Mais d’autres nationalités vont venir, nombreuses, Polonais, Algériens. À partir de 1945, la France commence à avoir une politique de l’immigration (Office national de l’immigration). Avant, c’était le patronat qui lui-même faisait venir sa main d’œuvre des pays avec lesquels il avait conclu des contrats de travail. Cette fois-ci, les Italiens tellement décriés auparavant sont devenus désirables. Mais ils ne sont pas venus très nombreux, sauf dans le Sud-ouest, la région de Toulouse, pour reprendre des exploitations agricoles abandonnées par des ‘’nationaux’’. En effet, c’était le début du ’’miracle économique italien’’ qui a entraîné une baisse jusqu’à un tarissement dans les années 1970 de l’émigration italienne en France, par rapport à d’autres nationalités, Portugais, Espagnols, Maghrébins, Yougoslaves…
Un DVD est disponible à l’achat
Des plateformes le proposent en streaming, voir ici :
https://www.allocine.fr/film/fichefilm-279640/telecharger-vod/
Pour approfondir
► Faut-il ouvrir les frontières ?, Les Presses SciencesPo, 2017 (12 €, édition numérique 9€).
► Atlas des migrations, De nouvelles solidarités à construire, Autrement, 6ème édition, 2021 (24 €, édition numérique 16 €).
► Figures de l’autre, Perceptions du migrant en France 1870–2022, CNRS Éditions, 2022 (22 €).
► Des idées reçues sur l’immigration, L’Harmattan, 2022 (9 €).
Les stéréotypes ont la vie dure
Les brimades auparavant destinées aux Italiens ont été adaptées à ces autres nationalités. Certaines des idées reçues sont très anciennes. Émile Zola dans Germinal parle déjà du racisme à l’égard des Belges dans les mines du Nord de la France. L’ immigration des années 30 qui a, en partie, ‘’fait la France’’ du point de vue démographique, on lui a accolé tout une série de stéréotypes qui sont utilisés pour d’autres nationalités qui en sont la cible de nos jours.
‘’Terrorisme’’, ’’communautarisme’’
Aujourd’hui, on parle du ‘’ terrorisme islamiste’’ mais d’autres terrorismes ont été collés à l’image peu représentative de ce qu’étaient ces différentes vagues migratoires en France. Par exemple, les Italiens étaient taxés de ‘’terroristes’’ consécutivement aux assassinats par des anarchistes italiens du président de la République Sadi Carnot ou de l’impératrice Sissi. Quand les Espagnols sont venus comme réfugiés après la fin de la guerre civile en 1939, il y avait parmi eux des anarcho-syndicalistes qui faisaient grand peur… De même, le ‘’communautarisme’’ était l’étiquette qui collait aux Italiens comme on le lit dans Les Ritals de Cavanna.
‘’Bons’’ et ‘’mauvais’’ immigrés
Beaucoup de thèmes actuels utilisés par Éric Zemmour et l’extrême droite, on les trouve déjà dans les années 30. Le thème de ’’l’invasion’’, du ‘’grand remplacement’’, c’est un thème de l’extrême droite décliniste de cette période. On avait un peu oublié toutes ces idées car elles avaient conduit au régime de Vichy et à la période hitlérienne. Aujourd’hui, on a l’impression d’une libération de la parole sur ces thèmes ethnicisants, racialisants. Dans l’entre-deux-guerres, on aimait beaucoup classer les nationalités selon leur aptitude à ‘’s’assimiler’’ et à s’intégrer au marché du travail. Aujourd’hui, on entend des discours sur les ‘’bons Ukrainiens’’ et les ‘’mauvais Africains’’. Les stéréotypes sont extrêmement solides et résistent à toutes les réalités que l’on peut rencontrer et ils sont recyclés quelles que soient les nationalités qui se succèdent sur 150 ans. Ce sont les crises qui font renaître ces périodes de rejet de l’autre.
Nous ajouterons, raison de plus pour continuer le combat contre les discriminations !
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- Collectif Accueil des Exilés et Régularisation des Sans-Papiers.
- Notre compte rendu ne reprend pas forcément les formulations utilisées par C. Wihtol de Wanden mais conserve l’esprit de ses propos [NDLR].