Le Phénomène migratoire / Salle Simone-Signoret / Nogent-le-Rotrou / 15 septembre / 18 h. 30
15 avenue de la République
La présentation de la conférence par Mai(s) Pourquoi
Depuis toujours, l’humanité a été en mouvement hors de sa terre natale : soit par migration choisie pour trouver un travail ou des opportunités économiques, soit par migration forcée pour fuir un conflit, le terrorisme ou des persécutions, ou pour se protéger de catastrophes naturelles ou des altérations du climat ou des sols.
Aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant de personnes vivant dans un pays où elles ne sont pas nées. En 2017, le nombre de migrants a atteint 258 millions. Ils étaient 173 millions en 2000. Toutefois, la proportion de migrants internationaux au sein de la population mondiale connait une lente croissance, passant de 2,3% en 1980 à 2,8% en 2000 puis 3,4% en 2017. 7 % des migrants (14 millions de personnes) sont des réfugiés internationaux fuyant des zones de conflits.
Si plus de trois quarts des déplacements visent une installation dans un pays dont le niveau de développement économique et social est supérieur à
celui du pays d’origine, la moitié des migrants originaires d’un pays pauvre s’installe dans un autre pays pauvre.
Toutes les régions du monde sont aujourd’hui concernées par ces flux, comme zone de départ, d’accueil ou de transit, parfois l’une et l’autre à la fois.
Alors que des frontières se ferment et que des murs s’érigent, les catégories de migrants et de réfugiés se brouillent à mesure que le phénomène migratoire se mondialise.
Réel enjeu planétaire, les migrations transforment et affectent les relations internationales, redéfinissent la souveraineté des États. Elles disent surtout la nécessité d’une diplomatie active intégrant leur gouvernance mondiale et régionale, alors que les transformations rapides des climats et la montée des mers installent une urgence nouvelle.
L’intervenante
Catherine Wihtol de Wenden, docteur en sciences politiques, est directrice de recherche émérite au CNRS, au sein du Centre de recherches internationales (CERI), unité mixte de recherche Sciences Po/CNRS.
Pendant 30 ans, elle a été chercheuse sur les migrations internationales, dans une perspective de science politique et de droit public. Elle a étudié à Sciences-Po Paris et à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne). Elle a obtenu son doctorat en sciences politiques en 1986.
Elle a publié plus de 20 livres, seule ou en tant que co-écrivain et environ 150 articles. Elle enseigne également à Sciences-Po, à l’Université La Sapienza et à LUISS à Rome.
Elle a été présidente du comité de recherche sur la migration de l’ISA (Association internationale de sociologie) (2002–2008) et experte auprès de plusieurs organisations internationales (HCR, Conseil de l’Europe et de la Commission européenne).
L’interview
« Migrants, sans papiers, demandeurs d’asile, Roms sont mis au ban de l’égalité »
«L’une des plus grandes inégalités aujourd’hui, c’est le pays où l’on est né, puisque de là découle le droit à circuler avec ou sans visa et donc l’exposition ou non à l’illégalité du passage. Ainsi, si l’on est danois, on peut circuler librement dans 164 pays, si l’on est russe, dans 94 pays et si on est originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne ou du Bangladesh, on ne peut aller nulle part sans visa.
Il convient de “lever les barrières”, car non seulement la mobilité est un droit fondamental de l’homme, mais elle est aussi un facteur essentiel du développement humain.
Or, aujourd’hui, on marche sur la tête. Migrants, demandeurs d’asile, sans-papiers, Roms sont mis au ban de l’égalité des droits. Avec eux, nos sociétés occidentales pratiquent l’esclavage moderne dans des archaïsmes inouïs. Oui, le combat pour l’égalité est vital dans nos sociétés où tant de gens ne sont pas complètement citoyens.
Ainsi, les Français d’origine immigrée sont citoyens sur le papier mais ils subissent trop de discriminations : à l’embauche, à la formation, au logement, aux loisirs, contrôle au faciès, bavures policières impunies… Ils sont relégués dans les quartiers dits sensibles et on leur fait cumuler les handicaps. Ensuite on les enferme dans une appartenance identitaire dans laquelle eux-mêmes finissent par s’enfermer. Parmi les 22 % de jeunes chômeurs actifs de moins de 25 ans en France, 42 % sont des jeunes descendants d’immigrés originaires d’Afrique.
À l’occasion de mes travaux, j’ai pu constater que beaucoup de jeunes sont sensibles aux contradictions existant entre les valeurs d’égalité, de justice sociale, voire de fraternité et les discriminations institutionnelles, notamment policières, dont ils sont l’objet sans qu’une politique déterminée y apporte de réponse. »
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Catherine Wihtol de Wenden est l’auteure, notamment, de « l’Atlas des migrations ». Éditions Autrement, dernière édition 2021.
Paru dans l’Humanité du 16 avril 2015