E-&-L : Inquiétude de la Confédération
paysanne sur le foncier agricole
La Confédération paysanne s’est exprimée publiquement deux fois en novembre dans notre département : lors d’une réunion-débat publique à Chapelle-Royale (16/11) avec Gilles Menou, porte-parole pour l’Eure-et-Loir, et à Chartres (22/11), dans le cadre de Festisol, par la voix de Christine Riba, membre du secrétariat national. Au cours de ces soirées, beaucoup de sujets concernant le monde agricole ont été abordés. Impossible de les transcrire tous ici. Nous avons choisi de relater les positions de la Conf’ (1) sur l’un d‘eux, le devenir du foncier agricole, avec des éclairages sur l’Eure-&-Loir.
Un constat : la baisse du nombre de paysans
En Europe, il y a de moins en moins de paysans. En France, depuis 1968, selon l’INSÉÉ, la population agricole française est passée de 3 millions à 850 000 personnes. Parallèlement, la taille moyenne des exploitations est passée de 17 ha à 61 ha. Quand des paysans arrêtent, ce sont des montages très particuliers qui viennent s’installer. Par exemple, dans l’Indre, des fonds chinois viennent acheter du foncier agricole dans des proportions très importantes, de l’ordre de 2 500 ha et ils font faire le travail par des ETA(2).
Le rôle des grosses intercommunalités dans le renchérissement du foncier agricole
Beaucoup de non paysans sont intéressés par l’achat de terres agricoles : des fonds financiers donc, mais aussi les agences immobilières des communautés de communes. Telle Chartres-Métropole qui a fait monter les prix d’une manière scandaleuse pour avoir une réserve foncière afin d’avoir la maîtrise de son développement et ne pas avoir à exproprier. Chartres-Métropole et ses satellites avaient, à un moment, 1 000 ha sous le coude. La terre agricole coûte, autour de Chartres, environ 10 000 € l’ha. La méthode consiste à voir le propriétaire d’une terre et à lui en proposer le double. Pour l’intercommunalité, avoir un terrain à 2 € le m², ce n’est pas cher, compte tenu du prix du terrain à construire qui est de 50 fois plus. Mais souvent le propriétaire a un fermier. Alors, Chartres-Métropole s’adresse à celui-ci en lui proposant de renoncer au statut du fermage contre 1 € l’ha. Il pourra continuer avec un bail précaire sachant qu’il devra partir dans un délai indéterminé… c’est cependant très tentant car avec cet argent il peut acheter des terres en tant qu’entrepreneur…
En France, les constructions, zones commerciales ou industrielles, autoroutes, etc. consomment l’équivalent des surfaces agricoles d’un département tous les 5 à 10 ans bien que, pour qu’une terre agricole change de destination, il faille une autorisation du préfet après avis de la commission départementale d’aménagement foncier (CDAF).
Il résulte de ces phénomènes une montée du prix du foncier qui peut atteindre 10 à 18 000 € à l’ha dans les zones périurbaines ou près des bretelles d’autoroutes.
La spéculation souterraine
Un autre phénomène, récent, qu’on vit dans le département : de plus en plus de paysans en difficulté sur leur exploitation agricole (sur 100 ou 150 ha) et qui, par amour propre, ne veulent pas que cela se sache, vont voir des notaires qui sont capables de trouver des spéculateurs, des gens qui ont du patrimoine. Ceux-ci achètent à des prix pas exorbitants (7- 8 000 € l’ha), laissent le paysan en place avec un bail à long terme ce qui leur permet de toucher des aides et d’être exonérés de droits de succession. Ils touchent un fermage de 2–3 %. Le bail est souvent non cessible au paysan. Les spéculateurs savent que le prix de la terre ne va pas baisser. Quand le paysan va prendre sa retraite, la terre va être libre de bail donc elle va prendre 3 à 4 000 € de plus-value, le spéculateur pourra la revendre… Le grand risque c’est que ces investisseurs hors du monde agricole s’intéressent uniquement à la rente foncière…
Les pistes de la Confédération paysanne
Pour qu’il y ait de nombreux et nombreuses paysan-ne‑s, en sens inverse de l’évolution actuelle, la Conf’ estime qu’il faut partager. Lorsqu’il y a suffisamment de foncier, il faut installer quelqu’un. Et pour pérenniser les exploitations, il faut très tôt organiser la transmissibilité des fermes à la jeune génération.
En Eure-et-Loir, il y a 50% du foncier agricole qui va se libérer dans les 10 ans à venir. Normalement, il devrait y avoir la place à une installation importante. On se rend compte, en fait, qu’il y a un gros risque que beaucoup de terres partent à l’agrandissement d’exploitation déjà mieux dotées.
Pour contrer les logiques de spéculation ou d’agrandissement qui, dans certaines régions, aboutissent de plus en plus une agriculture de firmes, c’est-à-dire une agriculture sans agriculteurs, la Confédération paysanne veut s’appuyer sur des outils, propres à la France, qui interviennent dans la gestion du foncier.
Les SAFER (3)
Au départ, elles étaient des organismes semi-publics semi-privés qui fonctionnaient avec des subventions publiques. Mais, aujourd’hui, le financement public est pratiquement à zéro. Du coup, les SAFER se comportent comme des agences immobilières pour toucher des pactoles sur des opérations de vente ce qui les éloigne d’une de leurs missions qui est de favoriser l’installation. De plus, en Eure-&-Loir, la SAFER ne peut pas jouer un rôle de modérateur car seul 14 % des transactions passent par son canal, elle subit la loi du marché. Pour échapper à cette dérive, la Conf’ revendique un statut public pour les SAFER considérant que la terre est un bien commun au sens où la production qui en est tirée et la façon dont elle est travaillée concerne toute la population.
Le principe ERC
Autre « outil », le principe ERC de protection environnementale introduit dans le droit français en 1976 :
- E comme Éviter, pour les projets immobiliers ou les infrastructures urbaines, de ponctionner de bonnes terres agricoles.
- R comme Réduire, au minimum de superficie utilisée si on ne peut vraiment faire autrement.
- C comme Compenser, ce qui a été pris par une mise à disposition équivalente.
Malheureusement, ce principe est peu mis en œuvre…
C’est sur ces combats autour d’un foncier agricole financièrement accessible aux jeunes sur des exploitations plus nombreuses à taille humaine que le syndicat paysan centre sa campagne en Eure-et-Loir pour les élections à la Chambre d’agriculture prévues dans tous le pays en janvier 2019.
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- Abréviation courante de Confédération paysanne.
- Entreprises de travaux agricoles.
- Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural.