Retour sur la conférence citoyenne
des Gilets Jaunes à Chartres
C’était fin novembre au kiosque à musique de la Butte des Charbonniers, 150 personnes dont trois quart de Gilets Jaunes se réunissaient nouvellement en assemblée générale(1).
C’était des Gilets Jaunes déjà très actifs avec à leur compte de nombreuses actions de blocages, beaucoup de présences déterminées mais dont le discours était cantonné autour du refus de la taxe sur les carburants, de l’antiparlementarisme, de « Macron démission ».
Les Gilets Jaunes en AG se dotaient de quatre porte-paroles et, dans une difficile discussion, échafaudaient les actions futures possibles. L’ambiance était tendue, des leaders multipliaient la consigne d’aucune récupération ni politique ni syndicale. Peu d’écoute entre des personnes proches de l’extrême-droite et les Gilets Jaunes plus indépendants révélant un mélange de références réactionnaires et peu ou pas d’analyse politique. Cela s’est confirmé un peu partout lorsque des militants de la gauche ou des syndicats sont allés sur les ronds-points en différents lieux, Nogent-le-Rotrou, Dreux, Illiers, Châteaudun…
Trois mois plus tard, vendredi 15 février, la conférence citoyenne s’est avérée de nature bien différente, bien construite avec des intervenants nouveaux issus du mouvement Gilets Jaunes lui-même. Une assemblée sans cesse remotivée et sollicitée comme acteur de la construction de la lutte par les intervenants. Des interventions, parfois redondantes, dans une ambiance à certains moments exaltée. L’arrivée surprise d’Éric Drouet (2), qui avait comparu le jour-même pour organisation de manifestation non déclarée, interrompra quelques minutes ce forum citoyen.
Assurément, une soirée sous le signe de l’insurrection face au pouvoir d’État
Elle est introduite par un coordinateur résumant les évolutions des Gilets Jaunes en Eure-&-Loir : “Cela n’a pas été simple pour commencer, se coordonner, il y a eu beaucoup de changements, nous avons gagné en respect et obtenu (cette) salle grâce à nos manifs, à notre unité. Dernière action notoire : à Dreux pour accueillir le sinistre M. Castaner ! » (3)
Hakim Löwn aborde la Constitution de la Vème République qui protège à souhait tous les mensonges des acteurs politiques : président, ministres, députés et sénateurs, la dictature du système capitaliste et les lobbys.
Le Chartrain Jérôme Hny dans une intervention d’une bonne heure, dénonce pêle-mêle l’injustice de notre société, les aberrations du système “c’est un devoir et un droit légitime d’aller manifester”, la répression exercée par les CRS le 24 novembre à Paris IIème acte, manifestation à laquelle il a participé. Il donne des précisions sur les circonstances dramatiques dans lesquelles il a été victime à la tempe d’un lanceur de balle de défense MBD40. Le tout parsemé de belles réflexions philosophiques. Il est ovationné.
Hakim Löwn intervient également une bonne heure. Il se présente comme travaillant depuis dix ans sur tout ce qui est “redirigeance collective”, démocratie directe, et apporte des pistes de réflexion sur la Constitution de la Vème République. Il s’excuse de ne pas aborder le principal thème, à savoir la perte du pouvoir d’achat, mais il ajoute “En fait il faut voir que le pouvoir d’achat en diminution est la conséquence de la réduction de notre condition humaine par rapport à nos gouvernements et nos représentants”. Le pouvoir politique libéral sait jouer et user de tous les curseurs pour abuser la crédibilité populaire et maintenir le statu quo. C’est pourquoi le mouvement Gilets Jaunes fait peur au pouvoir, même au-delà, en Europe et dans le monde. Hakim Löwn donne des explications détaillées sur les différents types de référendum d’initiative populaire. “Dans tous les pays où ce référendum existe, la démocratie est en meilleure santé” affirme-t-il.
Jérôme Rodrigues (5), lui aussi atteint à l’œil, probablement par un tir de MBD40, demande de ne pas oublier les autres victimes qui, comme lui, ont été mutilés par la violence de l’État : Jean-Marc, Fiorina, Oumar, Antonio, Sébastien… Sur l’avenir du mouvement, il affirme : “Je pense avant qu’on atteigne un point de rupture, qu’il faut que les Gilets Jaunes, on arrive à se fédérer pour construire, qu’on arrête d’être chacun dans son coin. L’union fait la force, tout simplement unis, soudés, main dans la main, on récupèrera tout ce qu’on nous à volé depuis 40 ans”.
Laëtitia Dewelle (4) s’exclame « Je revendique de ne plus payer la TVA pour les produits de première nécessité ». Il s’en suit une description et une comparaison des différentes TVA en Europe. La discussion rebondit : L’Europe, quelle Europe ? Le Portugal qui n’a pas respecté les règles ultralibérales européennes a de bons résultats économiques…
Jérôme Rodrigues (5) explique « On nous à encouragés dans l’idée que les cheminots sont des imposteurs qui gagnent trop! Alors qu’il fallait soutenir totalement les grèves du printemps dernier, ce n’est pas à eux qu’il faut retirer des avantages mais au contraire, il faut redéfinir des vrais revenus décents pour tous ! »
Un militant syndical et politique chevronné du département intervient pour rappeler, plutôt expliquer car beaucoup d’oreilles n’ont jamais entendu ce discours, qu’il faut récupérer l’argent donné aux actionnaires et entreprises du CAC 40, CICE, évasion fiscale, etc… mais rappel à l’ordre immédiat de la porte-parole du Val d’Oise qui, tout en approuvant, affirme qu’aucune récupération politique n’est d’actualité ! Elle avait sans doute cru deviner une connotation marxiste !
Tous ces échanges resserrent les liens entre les Gilets Jaunes qui continuent de découvrir les aléas de la démocratie délégataire, de la lutte de classe, la nécessité ou la possibilité de la désobéissance civile, des thèmes récurrents en politique.
Finalement, la conférence citoyenne se déroule comme un meeting syndical ou politique de bon niveau, avec beaucoup de questions du public, des réponses, des interventions diverses de contenu antilibéral et mobilisatrices. Cependant, les Gilets Jaunes ont désormais affaire à une vigoureuse contre-offensive du pouvoir (« grand débat » surmédiatisé, président omniprésent dans les médias dominants, accusations de violence et d’antisémitisme…). Le rapprochement avec les autres composantes du mouvement social comme les syndicats de lutte serait susceptible de faire basculer le rapport de forces en leur faveur. Souhaitons que cette tendance, timidement esquissée le 5 février, s’amplifie le 19 mars lors de la journée de grève prévue par la CGT, FO et Solidaires.
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- À la veille de l’acte III sur Paris. On se souvient de la manifestation très mouvementée autour de l’Arc de Triomphe le 1er décembre, les dégradations et le début de l’escalade de la violence de la part de l’État à l’encontre de manifestants légitimes, et les controverses sur la présence, l’importance ou non des casseurs, soit disant moins inquiétés que les simples manifestants, d’où des indices de manipulations intolérables, et l’opportunité de briser le mouvement.
- Éric Drouet est l’un des initiateurs de l’Acte I des Gilets Jaunes en novembre.
- Christophe Castaner, ministre de l’intérieur et à ce titre premier responsable des violences policières [Écouter notre interview de Kaïna, une victime, filmée à Nogent-le-Rotrou].
- Laëtitia Dewalle, porte-parole des Gilets Jaunes du Val d’Oise.
- Jérôme Rodrigues a perdu un œil suite à un probable tir de MBD40.