La sucrerie de Toury menacée
Daddy pas cool
Le 17 avril dernier, les salariés de la sucrerie coopérative (de betteraviers) Cristal Union de Toury ont appris, lors du comité central d’entreprise, le projet de fermeture de leur usine. Pourtant, un an et demi plus tôt, à la mi-septembre 2017, suite à un mouvement de grève sur le site beauceron, la direction communiquait : « La stratégie du groupe s’inscrit dans la durée. Elle combine un sens aigu de l’économie responsable, un ancrage local de l’outil industriel et une politique de recherche et développement active » (1)
Le Graal de l’exportation a miroité
Alors, incompétence, enfumage ou cynisme ? Peut-être les trois à la fois ! Nous sommes alors à la veille de la suppression des quotas de production à l’exportation sur le sucre, le 1er octobre 2017. Ces quotas PAC, mis en place par la CEE (ancêtre de l’Union européenne) en 1968, visaient, accompagnés de soutiens aux prix, à assurer l’autosuffisance de l’Europe. Depuis, beaucoup d’eau libérale a coulé sous les ponts, et comme pour le lait, Bruxelles, avec l’accord des gouvernements européens, a voulu la libéralisation totale du marché du sucre, faisant miroiter les débouchés à l’exportation. « Ces dernières années la PAC a été plus axée sur l’alignement des produits européens au marché mondial » affirme benoîtement un prospectus de la Commission européenne. “Les groupes sucriers se sont tous lancés dans une opération de séduction pour convaincre les agriculteurs de laisser tomber une partie de leur production de céréales” déclarait Eric Lainé, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), au site lexpansion.lexpress.fr (27–09-2017).
La production de betteraves et de sucre monte de 20 % en un an
Cette frénésie s’est déroulée dans un climat de concurrence exacerbée entre les différents groupes sucriers à l’échelle nationale (la France est le premier producteur du continent) et européenne : Tereos, groupe coopératif, propriétaire des marques Beghin-Say et la Perruche, Cristal Union (marque Daddy) et Saint Louis Sucre, filiale du groupe allemand Südzucker. “Pour tous ces industriels, il s’agit de produire au maximum, de saturer les usines, ce qui permet de diminuer les frais fixes par tonne de sucre extraite et d’abaisser les coûts de production”, explique François Thaury, spécialiste de la filière sucre chez Agritel dans le même article de lexpansion.l’express.fr. Cristal Union affirme alors pouvoir augmenter sa production de 20% et confirme cet objectif, pour la sucrerie de Toury, le 27 décembre 2017, lors de la venue de la préfète Sophie Brocas. (2)
La loi d’airain du marché
Une saison plus tard, Cristal Union, mais aussi les autres groupes européens qui ferment eux-aussi des sites, n’ont pu s’imposer face à la concurrence mondiale des groupes brésiliens ou thaïlandais qui produiraient 20 à 30 % moins cher… Et en plus, l’augmentation de la production européenne de sucre a contribué à la surproduction mondiale et à la chute des cours… “On verra qui a les reins les plus solides” fanfaronnait Alain Commissaire, directeur général de Cristal Union lors de la suppression des quotas… aujourd’hui, sa coopérative casse ses usines de Toury et du Bourdon (63)… et les travailleurs qui les faisaient tourner.
Des élus “en colère” font mine de découvrir les ravages du capitalisme
Le syndicat CGT de la sucrerie de Toury a engagé la résistance avec une première assemblée générale des salariés le 18 avril et son secrétaire, Frédéric Rebyffé, constate que « le groupe n’a réalisé aucun investissement majeur sur le site depuis 2012 » (3) et qu’il argue maintenant qu’il « est vétuste et qu’il faudrait investir des millions pour le remettre aux normes ». Les élus locaux vont dans le même sens : Delphine Breton (UDI), vice-présidente du Conseil départemental, rappelle que « le Département a financé 70% des travaux de renforcement et de prolongation du chemin rural de Luteau… pour faciliter l’accès à la sucrerie …inauguré en 2016 en présence des responsables de la sucrerie… ». (4) Enfin lucide sur les pratiques courantes des industriels, elle se demande « si la fermeture n’était pas calculée, et, si c’est le cas, je serai encore plus en colère. » Jean-Louis Baudron, président de la ComCom, lui n’est « pas content… J’avais entendu des rumeurs… On m’a dit que le site de Toury n’était pas concerné… ». Le député Philippe Vigier (Liberté et Territoires) semble lui aussi né de la dernière pluie : « Les dirigeants nous ont menti. Il nous ont dit ‘’tout va bien’’… » (5).
Pour les ouvriers, et les agriculteurs, ce n’est pas “le rose qui revient au galop” (voir la publicité Daddy Sucres) mais le noir qu’ils commencent à broyer.
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- L’Écho républicain du 15-09-2017 p. 21.
- L’Écho républicain du 28-12-2017 p. 17.
- L’Écho républicain du 19-04-2019 p. 17.
- L’Écho républicain du 25-04-2019 p. 18.
- L’Écho républicain du 30-04-2019 p. 26.
- L’Écho républicain du 30-04-2019 p. 26.