Genèse de la Commune de Paris

Faisons vivre la-commune [bandeau 1]Après avoir publié, l’appel inter orga­ni­sa­tions à faire vivre la Commune qui défi­nit dans quel esprit cette volon­té s’est enga­gée, nous publions en ce 18 mars, date anni­ver­saire du 150e anni­ver­saire du début de la Commune, un pre­mier article qui  montre les racines de cette révo­lu­tion et les évé­ne­ments plus immé­diats qui y ont conduit.

 

La Commune de Paris s’inscrit dans un grand cycle de contes­ta­tions de 1780 à 18801. Entre 1789 et 1871, la France connaît quatre révo­lu­tions et deux coups d’État, dix régimes poli­tiques, douze consti­tu­tions ! La Commune est la troi­sième révo­lu­tion du XIXe siècle, après celles de juillet 1830 et de février 1848. Les deux pre­mières ont été des sou­lè­ve­ments popu­laires brefs et ful­gu­rants. La Commune résulte d’un pro­ces­sus, mais déter­mi­ner son point de départ est hasardeux.

 

Montée de la conflic­tua­li­té sociale sous l’Empire autoritaire

Anonyme, Grève des ouvriers du Creusot, 1870, gravure sur bois (coloriée plus tard).

Grève des ouvriers du Creusot, 1870 [gra­vure sur bois]

Depuis le coup d’État mili­taire de Louis-Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851), les Français ont vécu sous le régime auto­ri­taire du Second Empire : élec­tions au suf­frage uni­ver­sel mas­cu­lin sous l’emprise des can­di­dats plus offi­ciels qu’officieux, réunions long­temps inter­dites, presse sur­veillée ain­si que les oppo­sants, répres­sion sou­te­nue. Le tout sur fond d’un capi­ta­lisme en expan­sion mar­qué par une fré­né­sie spé­cu­la­tive, la cor­rup­tion et entraî­nant de vio­lentes trans­for­ma­tions sociales. En consé­quence et paral­lè­le­ment, la conflic­tua­li­té sociale aug­mente avec une classe ouvrière en crois­sance numé­rique et qui se struc­ture (Association inter­na­tio­nale des tra­vailleurs, AIT). L’opposition poli­tique répu­bli­caine ne cesse aus­si de se renforcer.

Craignant le dan­ger révo­lu­tion­naire, l’empereur doit lâcher du lest : recon­nais­sance du doit de grève (1864), auto­ri­sa­tion des réunions publiques (été 1868), appel à un répu­bli­cain ral­lié comme chef de gou­ver­ne­ment, Émile Ollivier (fin 1869). C’est alors qu’il choi­sit (8 mai 1870) de légi­ti­mer son pou­voir par un plé­bis­cite. Mais, si la France rurale dit lar­ge­ment ‘’oui’’,  Paris per­siste à s’opposer à Napoléon III, comme lors des élec­tions des dépu­tés en 1869.

 

L’opposition poli­tique répu­bli­caine se renforce

La Marseillaise de Henri Rochefort n° du 9 mai 1870

La Marseillaise de Henri Rochefort, n° du 9 mai 1870

Depuis 1864, les grèves se mul­ti­plient, les asso­cia­tions aus­si (socié­tés de secours, coopé­ra­tives, chambres syn­di­cales…). Les titres de presse fleu­rissent (144 nou­veaux en 1868–1869) dont de nom­breuses feuilles répu­bli­caines (La Marseillaise d’Henri Rochefort, Le Combat de Félix Pyat…) ali­men­tées par de talen­tueux ‘’publi­cistes’’ au pre­mier rang des­quels Jules Vallès et Prosper-Olivier Lissagaray. Des réunions décla­rées ‘’non poli­tiques’’ se tiennent en tous lieux (théâtres, caf’conc’, caba­rets, goguettes, mar­chands de vin…) où on dis­cute com­mune sociale, mutua­lisme et com­mu­nisme, affran­chis­se­ment du tra­vail, tra­vail des femmes…

Dans le Corps légis­la­tif (= assem­blée des dépu­tés) de 1869, les répu­bli­cains les plus dyna­miques sont mino­ri­taires (~25) mais se font entendre, à l’exemple de Léon Gambetta élu sur les thèmes de la liber­té poli­tique, de l’instruction pri­maire laïque, gra­tuite et obli­ga­toire, de la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État et de l’abolition des pri­vi­lèges et des mono­poles. Ce qui les rap­proche des plus à gauche encore qui, comme Charles Delescluze, se situent à la fron­tière de la République et du socialisme.

Au bout du compte, radi­caux, socia­listes révo­lu­tion­naires, répu­bli­cains les plus avan­cés prônent tous le ‘’retour des immor­tels prin­cipes’’ de 1792, ‘’la vraie répu­blique démo­cra­tique et sociale’’.

 

La guerre de 1870 fatale à Napoléon III

Caricature de l'empereur [= Badinguet] après Sedan

Caricature de l’empereur [= Badinguet] après Sedan

Mais c’est la guerre fran­co-prus­sienne qui va être le déclen­cheur de l’insurrection de la Commune. Profitant de l’avantage que lui a don­né le plé­bis­cite, l’empereur fait empri­son­ner et juger ses oppo­sants et en par­ti­cu­lier les res­pon­sables de l’AIT. Il voit dans la guerre avec la Prusse, décla­rée le 1er juillet 1870, l’occasion de par­ache­ver son triomphe… Mais dès les pre­miers revers, en août, et de façon plus viru­lente encore après la capi­tu­la­tion de Sedan (2 sep­tembre 1870), la fronde se réveille avec occu­pa­tion de mai­ries dans des dizaines de villes dont Toulouse, Bordeaux, Marseille, Lyon qui pro­clame la République.

À Paris, le 4 sep­tembre, réunis à l’Hôtel de Ville, les élus répu­bli­cains annoncent à la foule mas­sée devant l’édifice un gou­ver­ne­ment de Défense natio­nale ‘’rati­fié par accla­ma­tion popu­laire’’. Ce gou­ver­ne­ment  est consti­tué de modé­rés avec Léon Gambetta et Jules Ferry et pré­si­dé par… le géné­ral orléa­niste Louis Trochu. Les révo­lu­tion­naires sont déçus mais la poli­ti­sa­tion popu­laire s’amplifie : créa­tions de nom­breux clubs, tirages en forte hausse de la presse politique.

 

Dans Paris assié­gé, des struc­tures popu­laires assurent les fonc­tions de défense et de vie sociale

Cantine municipale pendant le siège de Paris [BnF, Gallica]

Cantine muni­ci­pale pen­dant le siège de Paris

C’est alors (19 sep­tembre 1870) que l’armée prus­sienne éta­blit le blo­cus de la capi­tale et bom­barde la ville à par­tir du 5 jan­vier 1871. Mal ravi­taillés, les habi­tants subissent dou­lou­reu­se­ment les res­tric­tions. La Garde natio­nale, char­gée de défendre Paris compte 300 000 hommes dont la solde est vitale pour les familles popu­laires dont ils sont issus. Près de 300 000 sont armés. Ils élisent leurs officiers.

Le gou­ver­ne­ment de Défense natio­nale se trouve délé­gi­ti­mé par l’installation de Gambetta (ministre de l’Intérieur) à Tours pour orga­ni­ser la contre-offen­sive mili­taire, par ses défaites et ses com­pro­mis avec les conser­va­teurs. Des struc­tures popu­laires de quar­tier se forment et se mettent à exer­cer des fonc­tions gou­ver­ne­men­tales de fait (mesures sociales, défense). L’AIT pousse, dès sep­tembre 1870, à créer dans chaque arron­dis­se­ment des comi­tés de vigi­lance qui se coor­donnent bien­tôt en Comité cen­tral puis, en jan­vier 1871, en Délégation des vingt arron­dis­se­ments. Celle-ci, ini­tiée par les socia­listes prou­dho­niens, ras­semble d’autres cou­rants du mou­ve­ment ouvrier et répu­bli­cain et pro­meut l’idée de ‘’Commune’’.

 

L’acceptation de la paix prus­sienne avec lourdes indem­ni­tés ne passe pas

L'Affiche rouge placardée dans Paris le 7 janvier 1871

L’Affiche rouge pla­car­dée dans Paris le 7 jan­vier 1871

Des por­tions crois­santes de la ville prennent l’habitude d’assumer la ges­tion de la vie cou­rante et l’effort de défense : début 1871, plu­sieurs arron­dis­se­ments du nord et du sud-ouest sont sous le contrôle de comi­tés popu­laires. ‘’L’Affiche rouge’’ rédi­gée par Émile Leverdays (AIT), Jules Vallès (socia­liste révo­lu­tion­naire) et Gustave Tridon (blan­quiste), pla­car­dée le 7 jan­vier, pro­clame ‘’Place au peuple ! Place à la Commune !’’ mais les Parisiens ne suivent pas mas­si­ve­ment. Pour autant, les répu­bli­cains ‘’modé­rés’’ du gou­ver­ne­ment sont divi­sés : les trois ‘’Jules’’ (Grévy, Ferry, Simon) veulent négo­cier l’arrêt de la guerre avec Bismarck pour un retour à l’ordre social et se ral­lient à l’ancien orléa­niste Thiers ; Gambetta et les radi­caux, eux, prônent la ‘’guerre à outrance’’ et ima­ginent triom­pher dans les urnes. Les élec­tions qui suivent l’armistice, signé le 28 jan­vier, les déçoivent cruel­le­ment, comme tous les répu­bli­cains qui n’obtiennent que 150 sièges contre 399 aux monar­chistes. À Paris cepen­dant, 36 dépu­tés élus sur 43 sont hos­tiles à la capi­tu­la­tion mais seule­ment quatre sont des socia­listes révo­lu­tion­naires. Gambetta s’efface au pro­fit de Thiers. La nou­velle assem­blée accepte les pré­li­mi­naires de paix signés à Versailles : ces­sion de l’Alsace-Lorraine, lourde indemnité…

Le Paris popu­laire ne le sup­porte pas et les mani­fes­ta­tions orga­ni­sées du 24 au 26 février par la Garde natio­nale pour célé­brer 1848 sont mas­sives, aux cris de ‘’Vive la République uni­ver­selle !’’ et ‘’Vive la Commune !’’ Début mars la sec­tion pari­sienne de l’AIT et les chambres syn­di­cales s’investissent dans la garde natio­nale et par­ti­cipent  à l’élection du Comité cen­tral (15 mars) où, sur 38 élus, 21 sont des ouvriers.

 

Les canons payés par les Parisiens res­te­ront à Paris

Les canons de Montmartre à la veille du 18 mars 1870

Les canons de Montmartre à la veille du 18 mars 1870

De son côté, l’Assemblée, pour ne pas être sous la pres­sion popu­laire de Paris, s’installe à Versailles  après avoir mis fin au mora­toire sur les loyers (menaces d’expulsions) et les effets de com­merce (inquié­tude des petits com­mer­çants). Pour mettre défi­ni­ti­ve­ment Paris au pas, Thiers place à la tête des forces armées de la capi­tale (et donc de la Garde natio­nale) deux géné­raux conser­va­teurs qui font inter­dire six jour­naux ‘’rouges’’.

L’ultime pro­vo­ca­tion est la volon­té de Thiers de reti­rer de la capi­tale les deux à trois cents canons finan­cés par sous­crip­tion pen­dant le siège. Durant la nuit du 17 au 18 mars, il envoie clan­des­ti­ne­ment des troupes pour les récu­pé­rer et fait pla­car­der un appel à la mobi­li­sa­tion des ‘’bons citoyens’’. À Montmartre comme à Belleville, le pro­ces­sus est le même, la foule fait face aux ‘’lignards’’ de l’armée régu­lière, les offi­ciers sont prêts à don­ner l’ordre de tirer, comme en juin 1848. Mais plu­sieurs mois de coha­bi­ta­tion et par­fois de fra­ter­ni­té com­bat­tante entre mili­taires et civils en armes ont contri­bué à chan­ger la donne. La troupe ne tire pas et une par­tie d’entre elle fra­ter­nise. En quelques heures tout bas­cule, des bar­ri­cades se dressent dans les quar­tiers, sans coor­di­na­tion. Le Quartier latin et la pou­drière du Panthéon passent aux mains des insur­gés. Thiers ordonne à ses ministres de quit­ter Paris pour Versailles. Les 15 000 hommes du géné­ral Vinoy aban­donnent la capi­tale et les forts qui la défen­daient. Au soir du 18 mars, à minuit, le Comité cen­tral s’installe à l’Hôtel de Ville. C’est le pre­mier jour de la Commune de Paris.

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  1. Ce récit doit tout à celui de Roger Martelli dans son livre Commune 1871. La révo­lu­tion impromp­tue (Les Éditions Arcane 17). Qu’il en soit ici cha­leu­reu­se­ment remer­cié. Pour ne pas allon­ger ce récit, déjà foi­son­nant, nous avons volon­tai­re­ment omis cer­tains évé­ne­ments. Ils pour­ront être retrou­vés dans le livre ou dans d’autres ouvrages de la biblio­gra­phie que nous publie­rons ultérieurement.