La révolte kabyle et la Commune d’Alger

Le contexte

Prise de la smala d'Abd-el-Kader ou combat de Taguin en Algérie le 16 mai 1843, par Horace Vernet

Prise de la sma­la d’Abd-el-Kader le 16 mai 1843, par Horace Vernet

En 1870, la popu­la­tion de la colo­nie fran­çaise d’Algérie compte un peu plus de 3 mil­lions d’habitants avec 30 000 Juifs dont la pré­sence sur ce ter­ri­toire remonte à plu­sieurs siècles, et 150 000 colons fran­çais dont une par­tie sont des dépor­tés de 1848 ou 1851. Le reste, l’immense majo­ri­té, sont les ‘’indi­gènes musul­mans’’ (dans la langue des colonisateurs).

L’Empire a pour­sui­vi la conquête enga­gée en 1830 et la ‘’paci­fi­ca­tion’’ (euphé­misme pour dési­gner une véri­table guerre d’extermination) entre­prises par les régimes pré­cé­dents. La popu­la­tion arabe est lar­ge­ment sous admi­nis­tra­tion mili­taire (le ‘’régime du sabre’’). Les “bureaux arabes”, inven­tés par Bugeaud1, ont pour objec­tif une sur­veillance de la popu­la­tion autoch­tone  en asso­ciant les chefs de tri­bus ral­liés, de gré ou de force, à la France colo­niale. Cette poli­tique per­çue comme ‘’ara­bo­phile’’ par les colons mène ceux-ci à une haine pro­fonde envers Napoléon III alors que l’administration mili­taire de l’Algérie ne leur  laisse guère d’autonomie.

La chute de l’Empire va don­ner l’occasion aux colons de s’affirmer.

La Commune d’Alger

Depuis sep­tembre 1870, clubs, jour­naux, réunions, conseils muni­ci­paux bous­culent les repré­sen­tants de l’État. Ces mou­ve­ments sont menés sur­tout par les dépor­tés de la répres­sion de la Révolution de 1848, ceux du coup d’État napo­léo­nien du 2 décembre 1851 et en 1858 après l’attentat d’Orsini. Ce sont des répu­bli­cains fran­çais, ins­tal­lés en Algérie mal­gré eux.

EL Mokrani, chef de la révolte kabyle en 1871

EL Mokrani

Le maire d’Alger s’ap­puie sur une Garde natio­nale com­po­sée d’a­bord de colons répu­bli­cains. La Commune d’Alger est pro­cla­mée le 8 février 1871. Elle sou­tient les écoles laïques, entend garan­tir l’autonomie poli­tique de la colo­nie bien qu’elle recon­naisse un lien de dépen­dance avec le gou­ver­ne­ment métro­po­li­tain. Elle veut colo­ni­ser plus avant le ter­ri­toire. Elle désigne un repré­sen­tant auprès de la Commune de Paris après l’insurrection du 18 mars, Alexandre Lambert qui mour­ra lors de l’assaut des Versaillais.

Mais les popu­la­tions musul­manes res­tent invi­sibles pour ces répu­bli­cains des villes, bien que des Arabes soient pré­sents lors de réunions publiques. Les com­mu­na­listes d’Alger attendent que la ‘’République fra­ter­nelle’’ com­mence… mais sans les ‘’indi­gènes’’ !

La révolte d’El Mokrani

Soumise en 1857 après avoir long­temps résis­té, la Kabylie connaît depuis de nom­breuses révoltes. Dès 1869, le maré­chal Mac Mahon aler­tait : « Les Kabyles res­te­ront tran­quilles aus­si long­temps qu’ils ne ver­ront pas la pos­si­bi­li­té de nous chas­ser de leur pays ! ». Cette année-là, cho­lé­ra, trem­ble­ment de terre, grande séche­resse, hiver rigou­reux auraient entraî­né la mort de 10 à 30 % de la popu­la­tion kabyle. La misère de la popu­la­tion, les famines, l’exploitation, les injus­tices, l’arbitraire sont tels qu’ils entraî­nèrent le retour­ne­ment d’El Mokrani, fils d’un chef cou­tu­mier de la région des hauts pla­teaux, dési­gné bacha­gha par les auto­ri­tés mili­taires fran­çaises à la mort de son père. Les siens avaient refu­sé, en 1830, de répondre à l’appel de l’émir Abd El Kader à com­battre les Français à ses côtés.

Algérie, 1871, l'attaque de BorjBouArirrij par les hommes d'El Mokrani

L’attaque de BorjBouArirrij par les hommes d’El Mokrani

À l’Aïd el Kébir, le 1er mars 1871, une vaste mani­fes­ta­tion a lieu à Alger contre les postes des forces de l’ordre et plu­sieurs maga­sins juifs. Les com­mu­nau­tés vil­la­geoises élisent, mal­gré l’interdiction des auto­ri­tés colo­niales, les tij­maain, les assem­blées de villages.

Le 15 mars 1871, El Mokrani, à la tête d’une armée de 8 000 à 10 000 hommes, donne le signal de l’insurrection. Elle gagne rapi­de­ment l’est et le sud du pays, le lit­to­ral, depuis la Mitidja jusqu’aux abords de Constantine, le Sahara orien­tal, les insur­gés par­ve­nant même jusqu’aux portes d’Alger. C’est plus d’un tiers de la popu­la­tion algé­rienne qui se sou­lève contre la France

La France mobi­lise alors 100 000 sol­dats et le 5 mai, El Mokrani est abat­tu. L’armée colo­niale se livre à une répres­sion impi­toyable : neuf mois durant, plu­sieurs dizaines de mil­liers d’indigènes sont tués, des vil­lages entiers détruits, des familles déci­mées ou jetées sur les chemins.

Algériens déportés en Nouvelle-CalédoniePlus de 200 chefs insur­gés, tra­duits devant la cour d’assise de Constantine sont condam­nés à la dépor­ta­tion à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie, où ils retrouvent les com­mu­nards pari­siens. « Nous vîmes arri­ver dans leurs grands bur­nous blancs, les Arabes dépor­tés pour s’être, eux aus­si sou­le­vés contre l’oppression. Ces Orientaux (…) étaient simples et bons et d’une grande jus­tice. Aussi ne com­pre­naient-ils rien à la façon dont on avait agi avec eux », écrit Louise Michel.

Des Kabyles sont enrô­lés de force pour la cam­pagne de Madagascar.

Au nom de la « res­pon­sa­bi­li­té col­lec­tive des tri­bus insur­gées », la Kabylie se voit infli­ger une amende de guerre de 36 mil­lions de francs or. 450 000 hec­tares de bonnes terres (celles de la plaine, près de la mer, ne lais­sant ain­si aux Kabyles que la mon­tagne) sont confis­qués et dis­tri­bués aux nou­veaux colons que l’on fait venir d’Alsace-Lorraine. Elle devient ain­si une terre d’immigration.

Ce fut la plus grande insur­rec­tion contre le pou­voir colo­nial jusqu’à la guerre d’indépendance.

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  1. Gouverneur de l’Algérie de 1840 à 1847, Bugeaud est l’instigateur de la poli­tique de la terre brû­lée en Algérie et des enfu­mades meur­trières qui n’épargnèrent ni femmes ni enfants. Pour d’autres infor­ma­tions sur la colo­ni­sa­tion de l’Algérie, voir notre article L’Eure-&-Loir colo­nial.