La révolte kabyle et la Commune d’Alger
Le contexte
En 1870, la population de la colonie française d’Algérie compte un peu plus de 3 millions d’habitants avec 30 000 Juifs dont la présence sur ce territoire remonte à plusieurs siècles, et 150 000 colons français dont une partie sont des déportés de 1848 ou 1851. Le reste, l’immense majorité, sont les ‘’indigènes musulmans’’ (dans la langue des colonisateurs).
L’Empire a poursuivi la conquête engagée en 1830 et la ‘’pacification’’ (euphémisme pour désigner une véritable guerre d’extermination) entreprises par les régimes précédents. La population arabe est largement sous administration militaire (le ‘’régime du sabre’’). Les “bureaux arabes”, inventés par Bugeaud1, ont pour objectif une surveillance de la population autochtone en associant les chefs de tribus ralliés, de gré ou de force, à la France coloniale. Cette politique perçue comme ‘’arabophile’’ par les colons mène ceux-ci à une haine profonde envers Napoléon III alors que l’administration militaire de l’Algérie ne leur laisse guère d’autonomie.
La chute de l’Empire va donner l’occasion aux colons de s’affirmer.
La Commune d’Alger
Depuis septembre 1870, clubs, journaux, réunions, conseils municipaux bousculent les représentants de l’État. Ces mouvements sont menés surtout par les déportés de la répression de la Révolution de 1848, ceux du coup d’État napoléonien du 2 décembre 1851 et en 1858 après l’attentat d’Orsini. Ce sont des républicains français, installés en Algérie malgré eux.
Le maire d’Alger s’appuie sur une Garde nationale composée d’abord de colons républicains. La Commune d’Alger est proclamée le 8 février 1871. Elle soutient les écoles laïques, entend garantir l’autonomie politique de la colonie bien qu’elle reconnaisse un lien de dépendance avec le gouvernement métropolitain. Elle veut coloniser plus avant le territoire. Elle désigne un représentant auprès de la Commune de Paris après l’insurrection du 18 mars, Alexandre Lambert qui mourra lors de l’assaut des Versaillais.
Mais les populations musulmanes restent invisibles pour ces républicains des villes, bien que des Arabes soient présents lors de réunions publiques. Les communalistes d’Alger attendent que la ‘’République fraternelle’’ commence… mais sans les ‘’indigènes’’ !
La révolte d’El Mokrani
Soumise en 1857 après avoir longtemps résisté, la Kabylie connaît depuis de nombreuses révoltes. Dès 1869, le maréchal Mac Mahon alertait : « Les Kabyles resteront tranquilles aussi longtemps qu’ils ne verront pas la possibilité de nous chasser de leur pays ! ». Cette année-là, choléra, tremblement de terre, grande sécheresse, hiver rigoureux auraient entraîné la mort de 10 à 30 % de la population kabyle. La misère de la population, les famines, l’exploitation, les injustices, l’arbitraire sont tels qu’ils entraînèrent le retournement d’El Mokrani, fils d’un chef coutumier de la région des hauts plateaux, désigné bachagha par les autorités militaires françaises à la mort de son père. Les siens avaient refusé, en 1830, de répondre à l’appel de l’émir Abd El Kader à combattre les Français à ses côtés.
À l’Aïd el Kébir, le 1er mars 1871, une vaste manifestation a lieu à Alger contre les postes des forces de l’ordre et plusieurs magasins juifs. Les communautés villageoises élisent, malgré l’interdiction des autorités coloniales, les tijmaain, les assemblées de villages.
Le 15 mars 1871, El Mokrani, à la tête d’une armée de 8 000 à 10 000 hommes, donne le signal de l’insurrection. Elle gagne rapidement l’est et le sud du pays, le littoral, depuis la Mitidja jusqu’aux abords de Constantine, le Sahara oriental, les insurgés parvenant même jusqu’aux portes d’Alger. C’est plus d’un tiers de la population algérienne qui se soulève contre la France
La France mobilise alors 100 000 soldats et le 5 mai, El Mokrani est abattu. L’armée coloniale se livre à une répression impitoyable : neuf mois durant, plusieurs dizaines de milliers d’indigènes sont tués, des villages entiers détruits, des familles décimées ou jetées sur les chemins.
Plus de 200 chefs insurgés, traduits devant la cour d’assise de Constantine sont condamnés à la déportation à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie, où ils retrouvent les communards parisiens. « Nous vîmes arriver dans leurs grands burnous blancs, les Arabes déportés pour s’être, eux aussi soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux (…) étaient simples et bons et d’une grande justice. Aussi ne comprenaient-ils rien à la façon dont on avait agi avec eux », écrit Louise Michel.
Des Kabyles sont enrôlés de force pour la campagne de Madagascar.
Au nom de la « responsabilité collective des tribus insurgées », la Kabylie se voit infliger une amende de guerre de 36 millions de francs or. 450 000 hectares de bonnes terres (celles de la plaine, près de la mer, ne laissant ainsi aux Kabyles que la montagne) sont confisqués et distribués aux nouveaux colons que l’on fait venir d’Alsace-Lorraine. Elle devient ainsi une terre d’immigration.
Ce fut la plus grande insurrection contre le pouvoir colonial jusqu’à la guerre d’indépendance.
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- Gouverneur de l’Algérie de 1840 à 1847, Bugeaud est l’instigateur de la politique de la terre brûlée en Algérie et des enfumades meurtrières qui n’épargnèrent ni femmes ni enfants. Pour d’autres informations sur la colonisation de l’Algérie, voir notre article L’Eure-&-Loir colonial.