Une nouvelle de Willy Proust :
La Valise du Transbeauce

 

Willy Proust, pho­to­graphe pro­fes­sion­nel (dont on peut voir des tra­vaux ici et ) a au moins un autre talent. C’est celui de nou­vel­liste. Il a publié récem­ment un recueil de nou­velles inti­tu­lé “Les Valises” dont vous pou­vez lire la pré­sen­ta­tion sur la qua­trième de cou­ver­ture repro­duite ci-dessous.

Il nous a fait l’a­mi­tié de nous confier une de ces nou­velles pour les inter­nautes qui nous lisent. Nous l’en remer­cions chaleureusement.

Vous retrou­ve­rez dans cette nou­velle sa fibre éco­lo­giste, les autres dévoilent ses pré­oc­cu­pa­tions sociales, inter­na­tio­na­listes, pour tout dire huma­nistes et fraternelles.

Bonne lec­ture.

PS : Pour celles et ceux qui sou­hai­te­raient acqué­rir le recueil, écrire à redaction@forum28.net. Nous vous met­trons en contact avec Willy Proust.

Les Valises de Willy Proust 1ère de couverture

Les Valises de Willy Proust 4ème de couverture

 

La valise du Transbeauce

 

Blés tourbillon

 

 

Je suis dans le Transbeauce, au milieu de cette mer ondu­lante et soyeuse. Le train se fraye un pas­sage dans cette blon­deur qui s’allonge à l’horizon. Les blanches éoliennes apportent un peu de relief à ce plat pay­sage. La terre est bien géné­reuse pour don­ner autant de blé qui par­ti­ra jusqu’à Marseille. C’est cette terre qu’on épuise, cette terre qu’on empoi­sonne en épan­chant des pes­ti­cides pour un meilleur ren­de­ment et de gros divi­dendes à l’agrobusiness que les Beaucerons nomment avec fier­té le gre­nier de la France. L’eau qu’ils boivent, en revanche, n’a plus la pure­té et la clar­té d’autrefois. Seuls dans la cabine de leur trac­teur, les agri­cul­teurs se pro­tègent de leur futur can­cer. Mais la logique du pro­fit à outrance ignore les pro­phé­ties dan­tesques. La mala­die rava­geuse est mise sous trai­te­ment inten­sif dans les ser­vices spé­cia­li­sés. Les labo­ra­toires font leur blé avec les pertes des indus­tries céréa­lières, main dans la main pour se rem­plir les poches au détri­ment de la san­té publique. Et moi dans mon train qui tranche la Beauce à tra­vers ces champs dorés. Les cumu­lo-nim­bus s’élèvent dans le ciel en une flot­tille de rou­leaux gon­flants. Sous le vent, La marée ondule par vagues suc­ces­sives et balan­cées. Seul le bruis­se­ment se pro­page aux autres champs en un chu­cho­te­ment har­mo­nique. Le train Transbeauce glisse sur les rails et se met à sif­fler pour pré­ve­nir de sa pré­sence. C’est le moment d’ouvrir ma petite valise qui ren­ferme une varié­té de graines mil­lé­naires que je vais ense­men­cer à la volée pour que les espèces se mélangent et se nour­rissent en appor­tant une pro­fu­sion de cou­leurs et de par­fums qui fait tant défaut à ces mono­cul­tures de la per­for­mance qui ne tolèrent aucune varia­tion. Sur l’indice de l’étalon indus­triel, les coque­li­cots, les col­chiques et les achil­lées sont clas­sés indésirables.

Aucun buis­son pour frei­ner le train, aucune haie d’aubépine pour grif­fer sa coque métallique.

Il trace en ligne droite vers les deux clo­chers de la cathé­drale de Chartres qui pointent au loin. Mais une courbe se des­sine. Mon wagon décroche de la voie unique. Il déraille et file sans rete­nue au milieu des champs de blés qui se couchent sur son pas­sage. Puis, il se met à tour­ner sur lui-même, comme en transe. Ma valise prin­ta­nière tourne aus­si, mais dans le sens oppo­sé en dis­sé­mi­nant ses der­nières graines dans le wagon qui ralen­tit son mou­ve­ment pour s’immobiliser, enfin. Ivre de tour­billons, je des­cends du train en titu­bant avec ma petite valise à bout de bras. Si légère par ce temps de la pol­li­ni­sa­tion et du rhume des foins. Je retourne la rem­plir de graines flo­rales et pota­gères que je répan­drai pour le mois du flo­réal. Dans les champs, au bord des routes et des che­mins, sur le gazon des rési­dences. Je suis le jar­di­nier qui sème la vie dans l’univers de la ren­ta­bi­li­té. Je me dépêche, les machines ne savent pas encore détec­ter les valises aux semences prohibées.