Autour du film ‘Olga’ :
L’histoire et le présent de l’Ukraine
La séance aux Enfants du Paradis de Chartres, le 23 mai, avec la projection du film « Olga » initiée par l’AERéSP 28 et le groupe chartrain d’Amnesty International a attiré 70 spectateurs et, parmi eux une vingtaine d’Ukrainien·ne·s dont beaucoup de jeunes et adolescents.
La révolution Euromaïdan
Le débat qui a suivi était animé par Catherine Goussef, historienne spécialiste des migrations. D’entrée, elle précise que la révolution, dite Euromaïdan, sur la place centrale de Kiev (dont on voit des images d’archives dans le film), a duré trois mois (fin 2013-début 2014) et abouti à la fuite vers la Russie du président pro-Russe Ianoukovytch. Depuis cette date, l’Ukraine est en guerre suite à la proclamation de deux républiques séparatistes soutenues par la Russie dans le Donbass et à l’annexion de la Crimée par celle-ci. « C’est la genèse de la guerre actuelle », déduit-elle.
“Terre des marges”, terre disputée
Elle poursuit « L’Ukraine, comme son nom l’indique ‘’terre des marges’’, a une histoire d’une très grande diversité liée à des territoires qui ont beaucoup changé de main » et elle cite l’exemple de la frontière ukraino-polonaise fixée après la Deuxième Guerre mondiale et entraînant le déplacement de 2 millions de personnes « parce qu’il fallait faire des frontières ethniques ». Avec la remise en cause de sa frontière Est à partir de 2014, « c’est un pays qui n’en finit pas d’être agressé, comme piégé dans l’Histoire dans une sorte de bordure d’empire qui aujourd’hui clame sa renaissance. »
De nombreux russophones
Mais Catherine Goussef affirme qu’ « il y a aussi une très grande proximité avec la Russie […] notamment linguistique. » Elle précise que, dans le film, Olga, l’héroïne, parle en russe avec sa mère mais en ukrainien avec son amie sauf quand celle-ci se met à utiliser le russe pour l’accuser d’être indifférente aux événements de Maïdan. L’intervenante rapporte la teneur de propos du réalisateur ukrainien russophone Sergei Loznitsa qui estime que « le boycott de la culture russe est une façon aussi de pénaliser les Ukrainiens. » L’historienne pense que « la réalité des choses est toujours beaucoup plus complexe [que le raisonnement] dans les termes étroits du nationalisme. En ce qui concerne l’Ukraine, on n’a pas encore trouvé le bon concept pour décrire cette diversité qui n’empêche pas l’existence d’une communauté nationale […] au sens politique. »
“Tous les problèmes ont été importés par les troupes russes”
Inna Le Gall, responsable de l’Association des Ukrainien d’Eure-&-Loir, apporte alors son témoignage et son point de vue. Elle précise qu’elle est née à 40 km de Donetsk : « Il n’y avait pas de problème au niveau de cette région [Donbass], ni au niveau des langues, ni au niveau des politiques. Tous les problèmes ont été inventés par les Russes, apportés par les troupes russes […] il n’y avait pas de séparatistes, en fait. » Elle affirme que si, en 2014, « la communauté européenne et la communauté mondiale avaient mis en place les sanctions comme aujourd’hui, il n’y aurait pas de guerre de 2022. »
“Les gens qui parlaient russe ne le veulent plus”
Concernant la culture, Inna pense « qu’on a tout à fait raison d’oublier la culture russe […] après la Deuxième guerre mondiale [à propos de l’allemand], on disait toujours c’est la langue de Hitler et on avait honte d’apprendre l’allemand. C’est ce qui se passe avec le russe. […] dans la communauté ukrainienne, les gens qui parlaient russe ne veulent plus parler russe […] On peut les comprendre. »
“La possibilité de changer notre rapport à l’étranger”
Catherine Goussef met ensuite l’accent sur le consensus européen inédit pour l’accueil des exilés ukrainiens : « C’est une première grande chose dans l’histoire de l’Europe […] Beaucoup de collectifs sont mobilisés pour l’accueil des Ukrainiens mais aussi pour l’accueil des Russes et des Biélorusses. […] L’exil des Russes depuis le 24 février est évalué à 300 000 personnes. » En contraste, elle rappelle ce qui s’est passé juste avant (fin 2021) à la frontière entre Biélorussie et Pologne (donc à la frontière de l’Union européenne) où « énormément de réfugiés syriens, afghans » ont été confrontés à l’installation de barbelés sous prétexte de ne pas alimenter un flot de réfugiés… qui était de l’ordre de 10 000 personnes. Elle conclut: « Ce déferlement a eu lieu […] au début de cette guerre où en huit jours, il y a eu plus d’un million de personnes qui ont franchi la frontière […] Il n’a pas entrainé d’hostilité, de peur, de fantasme d’invasion, […] l’hospitalité a semblé tout à fait naturelle à chacun […] cette guerre nous dit quelque chose de la possibilité de changer notre rapport à l’étranger. »