Soudan meurtri et droit d’asile
au cœur du 36e Lundi des Sans-papiers

Le 36ème Lundi des Sans-Papiers consa­cré au film de Camille Ponsin La Combattante a réuni 80 per­sonnes, au-delà des espé­rances des orga­ni­sa­teurs,  le col­lec­tif AERéSP 28 avec le sou­tien du groupe de Chartres d’Amnesty International. On comp­tait de nombreu/x/ses Soudanais·e·s, venu·e·s par­fois d’assez loin et, par­fois, avec leurs enfants.

 

Chartres 02-10-2023 CinéParadis Soirée AERéSP La Combattante

Des intervenant·e·s : De G à D, Geneviève Coudre, le tra­duc­teur, Sara Agabna, Christophe Pénicaud, Emmanuelle Péchenard

Après la pro­jec­tion, un échange s’est enga­gé qui a per­mis d’éclairer les participant·e·s sur la situa­tion com­plexe et tra­gique dans la région du Darfour (par­ta­gée entre le Tchad et le Soudan).

Le Darfour, une région convoitée

Christophe Pénicaud (Amnesty, ancien char­gé de mis­sion de san­té publique), en intro­duc­tion, a expli­qué que le Darfour est une région dont les richesses en pétrole et en ura­nium sont très convoi­tées ‘’60% du pétrole sou­da­nais est expor­té vers la Chine par Port-Soudan sur la Mer Rouge.  Cette région inté­resse aus­si énor­mé­ment la Russie. Ces deux pays-là ont donc un inté­rêt au chaos, donc ils ne font pas grand-chose pour que les réso­lu­tions de l’ONU passent.’’ Il a pré­ci­sé que la Russie  armait les deux camps rivaux au Soudan ‘’c’est une esca­lade de la vio­lence qui se tra­duit par des mil­lions de vic­times. Depuis 1955, le Soudan n’a connu que 11 années de paix’’. Christophe Pénicaud a ajou­té que les anta­go­nismes entre popu­la­tions remontent loin et notam­ment au temps du colo­nia­lisme ‘’Le colon bri­tan­nique avait recru­té pour son admi­nis­tra­tion des gens du Sud Soudan qui étaient plu­tôt catho­liques et ani­mistes au détri­ment des autres. Forcément, il y avait un res­sen­ti­ment… Diviser les com­mu­nau­tés pour régner.’’

Racisme

Chartres 02-10-2023 CinéParadis Soirée AERéSP La Combattante À l'entrée de la salle de projection, l'exposition des photos de Marie-José Tubiana

À l’en­trée de la salle de pro­jec­tion, l’ex­po­si­tion des pho­tos de Marie-José Tubiana

Plusieurs réfugié·e·s  sou­da­nais sont inter­ve­nus pour décrire leur situa­tion et celle de leur pays. Ainsi Ibrahim en France depuis 2016, a décla­ré ‘’Mes parents sont vic­times de la guerre, moi, je suis vic­time de la guerre, mes enfants seront vic­times de la guerre. ‘’ Un autre Soudanais a esti­mé  que ‘’le seul pro­blème c’est le gou­ver­ne­ment qui l’a créé car il veut que nous les Noirs res­tions en bas et eux les Blancs [NDLR = Arabes au pou­voir] res­tent en haut’’. Une Soudanaise s’exclame ‘’Il y a une seule race, c’est la race humaine. On a plu­sieurs cou­leurs de peau. Il faut s’assumer ! […] Moi si on m’appelle  Noire, Nègre, j’en suis fière […] Pourquoi vous, vous n’avez pas ce com­plexe quand on vous appelle Blancs et que nous on a ce com­plexe quand on nous appelle Noirs ?’’

Les femmes souffrent énormément

Sara Agabna, avo­cate sou­da­naise, réfu­giée à Chartres depuis quelques mois, se consa­crait aux droits des femmes dans son pays et a été mal­trai­tée, comme ses col­lègues pour sa défense des femmes et des enfants. Elle a témoi­gné ‘‘Avec la reprise des com­bats il y a cinq mois, au sud du Darfour et dans les Monts Nouba et main­te­nant à Khartoum, les femmes souffrent énor­mé­ment : elles doivent s’occuper de la famille, trou­ver à man­ger  et elles sont vic­times d’assassinats, viols, gros­sesses for­cées, pertes de leur mai­son, de leurs enfants…  Les milices jan­ja­wid1 comme l’armée offi­cielle mal­traitent les femmes et par­fois toute la famille. Les lois des Nations unies ne sont pas res­pec­tées.‘’

Les enfants soldats

Chartres 02-10-2023 CinéParadis Soirée AERéSP La Combattante À l'entrée de la salle de projection, l'exposition des photos de Marie-José Tubiana

La foule se presse autour des pho­tos de Marie-José Tubiana

Une ques­tion de la salle sur les enfants sol­dats reçoit cette réponse d’un réfu­gié : ‘’Ce sont sur­tout les Forces de Soutien Rapide2 et les milices jan­ja­wid qui uti­lisent des enfants sol­dats. Ceux-ci ne le font pas pour l’argent ou par choix mais à cause de leurs besoins, pour man­ger et avoir un toit. Leurs familles ne sont plus là. Et mal­heu­reu­se­ment, ils volent et ils tuent leurs frères.’’

Le droit d’asile rabougri

En réponse à une autre ques­tion, Geneviève Coudre (mili­tante de l’ac­cueil) explique l’état du droit d’asile en France : ‘’La Convention de Genève de 1962 sti­pule que n’importe qui, de n’importe quel pays, peut choi­sir d’aller où bon lui semble deman­der l’asile. C’est le cadre légal, sauf que ce n’est pas res­pec­té parce qu’il n’y a pas d’autorité inter­na­tio­nale pour le faire res­pec­ter. Quand une per­sonne arrive en Europe, on lui inter­dit, par exemple, d’aller de l’Italie à la France ou l’Allemagne. Légalement, une per­sonne, quand elle a mis le pied sur le sol fran­çais s’adresse à la Préfecture et devrait immé­dia­te­ment obte­nir le sta­tut de deman­deur d’asile avec un titre de séjour. De plus, depuis 2012, les deman­deurs d’asile n’ont plus accès au mar­ché du tra­vail donc aux res­sources. Ils devraient aus­si être logés de façon décente dans un CADA3 mais il n’y a que 60 000 places en CADA pour entre 200 et 300 000 demandeurs.’’

Une logique de non accueil

Chartres 02-10-2023 CinéParadis Soirée AERéSP La Combattante À l'entrée de la salle de projection, l'exposition des photos de Marie-José Tubiana

À l’en­trée de la salle de pro­jec­tion, l’ex­po­si­tion des pho­tos de Marie-José Tubiana

Enfin, Céline Le Guay (AERéSP) a  pré­sen­té rapi­de­ment l’inquiétant pro­jet Darmanin de réforme de la pro­cé­dure du droit d’asile dans le sens d’un nou­veau dur­cis­se­ment de l’accès au loge­ment, aux allo­ca­tions. Avec, paral­lè­le­ment, une volon­té de décen­tra­li­ser l’OFPRA4 au niveau des pré­fec­tures, ‘’il y a un fort risque de remise en cause de l’indépendance de l’OFPRA […] aupa­ra­vant les ques­tions de la san­té dépen­daient du Ministère de la Santé, les ques­tions liées au tra­vail du Ministère du Travail et l’OFPRA dépen­dait du Ministère des Affaires étran­gères, avec la réforme tout arri­ve­rait dans le giron du Ministère de l’Intérieur.’’  Autre crainte, la réforme de la CNDA5 vise­rait à géné­ra­li­ser la pro­cé­dure accé­lé­rée qui ne néces­site qu’un seul juge sans les deux asses­seurs. ‘’Supprimer la col­lé­gia­li­té c’est réduire la réflexion, la capa­ci­té d’analyse et de connais­sance de la situa­tion des gens […] Le but du gou­ver­ne­ment est d’aller plus vite dans les pro­cé­dures pour refu­ser plus vite et évi­ter que les per­sonnes puissent avoir d’autres motifs d’accès au séjour […] C’est vrai­ment une logique de non accueil.’’

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  1. Milices se dési­gnant comme arabes, et encou­ra­gées en 2003 par les auto­ri­tés sou­da­naises à ter­ro­ri­ser les popu­la­tions non-arabes de la région.
  2. Force para­mi­li­taire sou­da­naise sous le com­man­de­ment du National Intelligence and Security Service (NISS) créée à la mi-2013 et issue des milices jan­ja­wid dans le but de lut­ter contre les groupes rebelles. En jan­vier 2014, un amen­de­ment à la Constitution a confé­ré au NISS et à la FSR le sta­tut de ‘’force régulière’’.
  3. Centre d’ac­cueil de deman­deurs d’asile.
  4. Office fran­çais de pro­tec­tion des réfu­giés et apatrides.
  5. Cour natio­nale du droit d’asile.