Soudan meurtri et droit d’asile
au cœur du 36e Lundi des Sans-papiers
Le 36ème Lundi des Sans-Papiers consacré au film de Camille Ponsin La Combattante a réuni 80 personnes, au-delà des espérances des organisateurs, le collectif AERéSP 28 avec le soutien du groupe de Chartres d’Amnesty International. On comptait de nombreu/x/ses Soudanais·e·s, venu·e·s parfois d’assez loin et, parfois, avec leurs enfants.
Après la projection, un échange s’est engagé qui a permis d’éclairer les participant·e·s sur la situation complexe et tragique dans la région du Darfour (partagée entre le Tchad et le Soudan).
Le Darfour, une région convoitée
Christophe Pénicaud (Amnesty, ancien chargé de mission de santé publique), en introduction, a expliqué que le Darfour est une région dont les richesses en pétrole et en uranium sont très convoitées ‘’60% du pétrole soudanais est exporté vers la Chine par Port-Soudan sur la Mer Rouge. Cette région intéresse aussi énormément la Russie. Ces deux pays-là ont donc un intérêt au chaos, donc ils ne font pas grand-chose pour que les résolutions de l’ONU passent.’’ Il a précisé que la Russie armait les deux camps rivaux au Soudan ‘’c’est une escalade de la violence qui se traduit par des millions de victimes. Depuis 1955, le Soudan n’a connu que 11 années de paix’’. Christophe Pénicaud a ajouté que les antagonismes entre populations remontent loin et notamment au temps du colonialisme ‘’Le colon britannique avait recruté pour son administration des gens du Sud Soudan qui étaient plutôt catholiques et animistes au détriment des autres. Forcément, il y avait un ressentiment… Diviser les communautés pour régner.’’
Racisme
Plusieurs réfugié·e·s soudanais sont intervenus pour décrire leur situation et celle de leur pays. Ainsi Ibrahim en France depuis 2016, a déclaré ‘’Mes parents sont victimes de la guerre, moi, je suis victime de la guerre, mes enfants seront victimes de la guerre. ‘’ Un autre Soudanais a estimé que ‘’le seul problème c’est le gouvernement qui l’a créé car il veut que nous les Noirs restions en bas et eux les Blancs [NDLR = Arabes au pouvoir] restent en haut’’. Une Soudanaise s’exclame ‘’Il y a une seule race, c’est la race humaine. On a plusieurs couleurs de peau. Il faut s’assumer ! […] Moi si on m’appelle Noire, Nègre, j’en suis fière […] Pourquoi vous, vous n’avez pas ce complexe quand on vous appelle Blancs et que nous on a ce complexe quand on nous appelle Noirs ?’’
Les femmes souffrent énormément
Sara Agabna, avocate soudanaise, réfugiée à Chartres depuis quelques mois, se consacrait aux droits des femmes dans son pays et a été maltraitée, comme ses collègues pour sa défense des femmes et des enfants. Elle a témoigné ‘‘Avec la reprise des combats il y a cinq mois, au sud du Darfour et dans les Monts Nouba et maintenant à Khartoum, les femmes souffrent énormément : elles doivent s’occuper de la famille, trouver à manger et elles sont victimes d’assassinats, viols, grossesses forcées, pertes de leur maison, de leurs enfants… Les milices janjawid1 comme l’armée officielle maltraitent les femmes et parfois toute la famille. Les lois des Nations unies ne sont pas respectées.‘’
Les enfants soldats
Une question de la salle sur les enfants soldats reçoit cette réponse d’un réfugié : ‘’Ce sont surtout les Forces de Soutien Rapide2 et les milices janjawid qui utilisent des enfants soldats. Ceux-ci ne le font pas pour l’argent ou par choix mais à cause de leurs besoins, pour manger et avoir un toit. Leurs familles ne sont plus là. Et malheureusement, ils volent et ils tuent leurs frères.’’
Le droit d’asile rabougri
En réponse à une autre question, Geneviève Coudre (militante de l’accueil) explique l’état du droit d’asile en France : ‘’La Convention de Genève de 1962 stipule que n’importe qui, de n’importe quel pays, peut choisir d’aller où bon lui semble demander l’asile. C’est le cadre légal, sauf que ce n’est pas respecté parce qu’il n’y a pas d’autorité internationale pour le faire respecter. Quand une personne arrive en Europe, on lui interdit, par exemple, d’aller de l’Italie à la France ou l’Allemagne. Légalement, une personne, quand elle a mis le pied sur le sol français s’adresse à la Préfecture et devrait immédiatement obtenir le statut de demandeur d’asile avec un titre de séjour. De plus, depuis 2012, les demandeurs d’asile n’ont plus accès au marché du travail donc aux ressources. Ils devraient aussi être logés de façon décente dans un CADA3 mais il n’y a que 60 000 places en CADA pour entre 200 et 300 000 demandeurs.’’
Une logique de non accueil
Enfin, Céline Le Guay (AERéSP) a présenté rapidement l’inquiétant projet Darmanin de réforme de la procédure du droit d’asile dans le sens d’un nouveau durcissement de l’accès au logement, aux allocations. Avec, parallèlement, une volonté de décentraliser l’OFPRA4 au niveau des préfectures, ‘’il y a un fort risque de remise en cause de l’indépendance de l’OFPRA […] auparavant les questions de la santé dépendaient du Ministère de la Santé, les questions liées au travail du Ministère du Travail et l’OFPRA dépendait du Ministère des Affaires étrangères, avec la réforme tout arriverait dans le giron du Ministère de l’Intérieur.’’ Autre crainte, la réforme de la CNDA5 viserait à généraliser la procédure accélérée qui ne nécessite qu’un seul juge sans les deux assesseurs. ‘’Supprimer la collégialité c’est réduire la réflexion, la capacité d’analyse et de connaissance de la situation des gens […] Le but du gouvernement est d’aller plus vite dans les procédures pour refuser plus vite et éviter que les personnes puissent avoir d’autres motifs d’accès au séjour […] C’est vraiment une logique de non accueil.’’
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- Milices se désignant comme arabes, et encouragées en 2003 par les autorités soudanaises à terroriser les populations non-arabes de la région.
- Force paramilitaire soudanaise sous le commandement du National Intelligence and Security Service (NISS) créée à la mi-2013 et issue des milices janjawid dans le but de lutter contre les groupes rebelles. En janvier 2014, un amendement à la Constitution a conféré au NISS et à la FSR le statut de ‘’force régulière’’.
- Centre d’accueil de demandeurs d’asile.
- Office français de protection des réfugiés et apatrides.
- Cour nationale du droit d’asile.