Témoignages à Chartres : Le viol, une arme de guerre en Ukraine

Dans le cadre du Festisol 2024, le 19 novembre, une confé­rence inti­tu­lée ‘’Ne pas se taire’’ se tenait au Foyer d’Accueil char­train lar­ge­ment consa­crée aux témoi­gnages des femmes vic­times de vio­lences phy­siques et sexuelles.

Des vio­lences sexuelles contre femmes et hommes systématiques

La pro­jec­tion d’un mini-docu­men­taire per­met de com­prendre com­ment cette Ukrainienne qui appor­tait du sou­tien huma­ni­taire à l’armée lors du com­bat, en 2015, contre les ‘’sépa­ra­tistes’’ du Donbass, mas­si­ve­ment armés par la Russie, a été humi­liée, insul­tée et tor­tu­rée mais sau­vée par une pho­to prise par un jour­na­liste du New York Times et dif­fu­sée sur les réseaux sociaux. Dans son témoi­gnage, la vic­time, Iryna Dovgan explique que dès la rébel­lion, en 2014 ‘’à Donestk a été orga­ni­sé un camp de concen­tra­tion dans un centre d’exposition pour desi­gners […] on pou­vait se retrou­ver dans ce camp rien que pour avoir eu sur son télé­phone une image de dra­peau ukrai­nien […] Selon un rap­port de l’ONU, 95% des per­sonnes pas­sées par ce camp ont subi des vio­lences sexuelles […] sur les femmes mais aus­si sur les hommes.’’

Le viol est une arme de guerre pour cas­ser une personne

Iryna, avec d’autres acti­vistes, a créé l’association SEMA-Ukraine qui vient en aide aux femmes vic­times de vio­lences sexuelles de la part des mili­taires russes. ‘’Notre orga­ni­sa­tion compte, aujourd’hui, une soixan­taine de femmes qui ont vécu des choses hor­ribles qui n’ont jamais anti­ci­pé ce qui allait se pas­ser […] Malheureusement, il y a de plus en plus de femmes qui décident de nous rejoindre après avoir subi de telles vio­lences […] la femme la plus âgée, dans notre orga­ni­sa­tion, vic­time de vio­lences sexuelles avait 76 ans […] Je vous laisse ima­gi­ner ce qui peut se pas­ser, en ce moment même, dans les par­ties de l’Ukraine qui sont sous occu­pa­tion.’’ Iryna insiste sur le fait que beau­coup d’hommes ont aus­si été vic­times de vio­lences sexuelles, en par­ti­cu­lier dans la région de Kherson. ‘’Ces vio­lences n’ont rien à voir avec le sexe, c’est une arme de guerre, c’est une pos­si­bi­li­té de détruire, de cas­ser une personne.’’

Le rôle indis­pen­sable de SEMA-Ukraine

En tant que pré­si­dente, Iryna Dovgan sou­ligne l’importance du rôle de son asso­cia­tion : ‘’SEMA-Ukraine devient une sorte de seul recours, seule aide pos­sible pour des cas cri­tiques1 dans un pays où la pro­tec­tion sociale n’est pas aus­si effi­cace qu’en France.’’ 

Daria : ‘’J’ai quit­té mon corps’’

Présente à la tri­bune, Daria Zymenko est l’une des femmes vio­lées. Elle raconte com­ment, en 2022, fuyant avec sa famille la grande ville bom­bar­dée, elle s’est retrou­vée à la cam­pagne dans une zone occu­pée par les Russes. Ceux-ci ‘’se com­por­taient d’une manière très agres­sive. Nous savions qu’ils avaient tué cer­tains de nos voi­sins et beau­coup d’animaux.’’ Daria relate que les sol­dats contrô­laient les por­tables et qu’un jour ils ont mena­cé de tuer toute la famille si celui qui avait effec­tué un appel pré­cis ne se dénon­çait pas. L’interrogatoire a duré quatre heures. ‘’Ils ont tiré vers le pla­fond en disant que c’était un aver­tis­se­ment.’’  Revenus à nou­veau les occu­pants, en l’occurrence des Bouriates, ont emme­nés Daria pour véri­fier son télé­phone. Ils l’ont fait mon­ter à l’étage d’une mai­son. ‘’J’avais les yeux ban­dés. On m’a fait assoir sur un lit et on m’a deman­dé de me désha­biller. Je com­pre­nais ce qui allait se pro­duire.’’ Daria explique que plus tard, grâce aux psy­cho­logues, elle a pu expri­mer ce qui s’est pas­sé en elle : ‘’J’ai quit­té mon corps pour entendre, sou­te­nir et voir ce qui allait se pas­ser […] le jour d’après ça s’est repro­duit.’’ Certaines des pho­tos qu’a ima­gi­nées Daria expo­sées dans la salle (et aupa­ra­vant à la librai­rie L’Esperluète) tra­duisent bien cette dis­so­cia­tion de son corps et de sa conscience. Elle explique qu’à l’occasion de ce trau­ma­tisme elle a pris conscience ‘’de sa place dans cette guerre’’ mais affir­mé qu‘ ‘’un che­min de rédemp­tion existe pour les femmes qui ont vécu ça’’ grâce à l’association SEMA-Ukraine.

Une guerre génocidaire

Parmi d’autres inter­ven­tions, rete­nons celle de Sylvie Rollet, pré­si­dente de l’association Pour l’Ukraine pour leur liber­té et la nôtre qui s’adresse aux citoyen·ne·s français·e·s qui entendent actuel­le­ment la petite musique sug­gé­rant que l’Ukraine peut bien aban­don­ner quelques ter­ri­toires : ‘’Je vou­drais qu’on ait conscience que ce n’est pas à une guerre qu’on assiste mais vrai­ment à une guerre géno­ci­daire, à l’écrasement com­plet de la socié­té ukrai­nienne […] et que si on lâche les ter­ri­toires en ques­tion, ça veut dire des cen­taines de mil­liers de femmes, d’hommes qui sont vio­lé·e·s tous les jours dans les centres de déten­tion.’’ Et la pré­si­dente de Pour l’Ukraine lance un appel : ‘’Nous ne pou­vons pas lais­ser notre gou­ver­ne­ment déci­der à notre place que l’Ukraine ça coûte trop cher, ça coûte 2 € par jour et par Français ! […] En tant que citoyens, nous avons le devoir de nous adres­ser à tous nos élus en leur deman­dant : Il est hors de ques­tion de lâcher l’Ukraine, aujourd’hui !’’

_______

  1. NDLR : par exemple, des femmes dont la san­té ne leur per­met plus de travailler.