La Commune de Paris : 28 mai — 3 juin 1871

Après, une pre­mière chro­nique qui explique la genèse de cet évé­ne­ment, nous avons sui­vi les péri­pé­ties semaine après semaine. Cette 11ème semaine est un moment char­nière : der­niers com­bats, les exé­cu­tions som­maires de Communards redoublent et com­mence le temps des pri­sons, des pro­cès, des dépor­ta­tions, des condam­na­tions à mort, des exé­cu­tions, pour les plus chan­ceux de l’exil.

Nous nous pro­po­sons de conti­nuer à évo­quer dans les pro­chains mois les suites de cette révo­lu­tion vain­cue mais jus­qu’à nous vivace dans les pen­sées de celles et ceux qui veulent chan­ger le monde.

Retrouvez les liens vers toutes les éphé­mé­rides parues et tous les articles sur la page Nos articles sur la Commune.

 

 

Commune de Paris

Éphéméride 28 mai — 3 juin 1871

 

1871

Mai

Dernière barricade 28 mai 1871, par RobidaLe 28 : À l’aube, une com­pa­gnie du 65e régi­ment conduit 144 fédé­rés de la pri­son de Mazas jusqu’à la par­tie nord-est du « Père Lachaise ». Un groupe de 12 est pla­cé devant cha­cun des 3 pelo­tons qui font feu ensemble, et ce 4 fois de suite. Ils seront ense­ve­lis le len­de­main au pied du mur «  des fédé­rés ».

Dans Le Gaulois : « Nos sol­dats […] eurent bien­tôt accu­lé les com­mu­neux, au nombre de 7 à 800, entre le Panthéon, la biblio­thèque Sainte-Geneviève et l’é­glise Saint-Etienne-du-Mont. Pas un seul insur­gé n’a échap­pé au mas­sacre ».

Comme ceux de la place des Fêtes, trois canons ser­vis par cinq artilleurs com­mu­nards  se taisent, faute de muni­tions, à 4 heures, aux Buttes-Chaumont.  D’après l’historien com­mu­nard Prosper-Olivier Lissagaray, des cen­taines de Parisiens y sont exé­cu­tés, leurs corps jetés dans le lac du parc sans ména­ge­ment, « des mil­liers de cadavres » ramas­sés dans les quar­tiers envi­ron­nants, y sont ras­sem­blés puis « arro­sés de pétrole et inci­né­rés sur place ».

Rue Ramponeau, der­nière bar­ri­cade : deux canons l’écrasent, Mac Mahon lance sa cava­le­rie, la bar­ri­cade tombe. A 15 heures, toute résis­tance a ces­sé. Les sur­vi­vants sont fusillés.

Tony Moilin, méde­cin et socia­liste, est condam­né à mort et exé­cu­té, ados­sé au pié­des­tal du lion qui garde à gauche l’entrée de l’avenue de l’Observatoire.

Eugène Varlin est recon­nu et arrê­té. Le lieu­te­nant Sicre lui attache les mains, le traîne une heure durant et, après avoir été lyn­ché par la foule des sol­dats, il est exé­cu­té rue des Rosiers (au même endroit que les géné­raux Lecomte et Thomas fusillés le 18 mars) en criant « Vive la République ! Vive la Commune ! ». Il sera néan­moins condam­né par contu­mace à la peine de mort.

Cadavres de communards

Cadavres de com­mu­nards [WikimediaCommons, Disdéri]

Edmond de Goncourt raconte dans son Journal  : « L’escorte fait mar­cher ces hommes, au pas de course, jusqu’à la caserne Lobau, où la porte se referme sur tous avec une vio­lence, avec une pré­ci­pi­ta­tion étranges. […] Presque au même ins­tant fait explo­sion, comme un bruit violent enfer­mé dans des portes et dans des murs, une fusillade, ayant quelque chose de la méca­nique réglée d’une mitrailleuse. » Du 26 au 29, 2 000 à 3 000 pri­son­niers venant de la cour mar­tiale sié­geant au Châtelet y sont fusillés par groupes de 20 puis enter­rés de nuit dans le square de la tour Saint-Jacques.

127 arres­ta­tions d’enfants durant cette journée.

Le 29 : Prise du fort de Vincennes par traî­trise, la gar­ni­son de 24 hommes capi­tule, les 9 lieu­te­nants sont fusillés sur le champ.

Thiers télé­gra­phie aux pré­fets : «  Le sol est jon­ché de leurs cadavres ; ce spec­tacle affreux ser­vi­ra de leçon ».

Le Gaulois s’in­quiète : Les fosses où sont déver­sés les cadavres ne sont pas assez profondes.

Émile Zola : « Les ban­dits, qui, pen­dant leur vie, ont pillé et incen­dié la grande cité, vont l’empester par leurs cadavres. On craint que le cho­lé­ra ne naisse de l’horrible mas­sacre. Jusque dans leur pour­ri­ture, ces misé­rables nous feront du mal1. »

Les jour­na­listes notent un nombre impres­sion­nant de « consom­ma­teurs » : cafés et res­tau­rants sont ouverts.

Inspection mains des Fédérés à Belleville pour y repérer des traces de poudre

Inspection des mains des sus­pects à Belleville pour y repé­rer des traces de poudre

Le 30 : 15 000 arres­ta­tions du fait de nom­breuses dénon­cia­tions, il y a eu jusqu’à 400 000 lettres (pour la plu­part ano­nymes). Lissagaray : « Les gamins, presque des enfants, de douze à seize ans, mar­chaient au milieu d’hommes à tête et à barbe blanches qui étaient en grand nombre. »

À Londres, Karl Marx, au conseil géné­ral de l’AIT, déplore la « magna­ni­mi­té » des ouvriers pari­siens et le fait que les com­mu­nards ne s’étaient pas empa­ré de la banque de France, il pré­sente l’expérience de la com­mu­na­liste pari­sienne comme « le glo­rieux four­rier d’une socié­té nou­velle ». Trois édi­tions de cette adresse se suc­cé­de­ront en deux mois, en anglais dif­fu­sées en Grande-Bretagne et aux États ‑Unis, puis tra­duites en espa­gnol et en ita­lien. Elle ne sera tra­duite en fran­çais qu’en 1872 et en Belgique seulement.

Le 31 : Depuis deux jours plus de 1 000 cadavres sont ame­nés par char­re­tées entières au cime­tière du Père Lachaise par les ser­vices de la pré­fec­ture de la Seine. Hâtivement enfouis, leurs corps sont entas­sés en hau­teur, sur trois rangs.

« C’est 20 ans de repos que l’ancienne socié­té a devant elle si le pou­voir ose tout ce qu’il peut oser en ce moment », écrit Edmond de Goncourt.

Juin

Le 1er : Les omni­bus reprennent leur ser­vice dans la capi­tale, tou­te­fois « l’emplacement des bar­ri­cades n’est pas encore entiè­re­ment débar­ras­sé des pierres qui gênaient la cir­cu­la­tion. Mais le génie a rapi­de­ment repla­cé des pavés, nive­lés des trous… ».

Le couvre-feu est por­té à 11 heures du soir. La fête et la pro­me­nade côtoient quelques heures encore les « feux de pelo­tons conti­nuels ».

Le soir, les der­nières affiches sont reti­rées. Elles furent 399, entre le 19 mars et le 25 mai, à être tirées à plu­sieurs mil­liers d’exemplaires et pla­car­dées par une cin­quan­taine d’afficheurs plu­sieurs fois par jour, par­fois la nuit. Elles étaient anno­tées des mots « Imprimerie natio­nale » et de la for­mule « République fran­çaise. Liberté-Égalité-Fraternité. Commune de Paris ».

Guide touristique des monuments incendiés pendant la Semaine sanglante

Guide tou­ris­tique des monu­ments incen­diés pen­dant la Semaine sanglante

Le 02 : Au Père Lachaise : « Pas une minute n’est per­due pour remettre le cime­tière en état de pro­pre­té ; on enlève les débris ; on fait dis­pa­raître les traces… ».

Paris en ruines devient le lieu de pro­me­nade favo­ri des Parisiens et des provinciaux.

Le Petit Journal, dans un article inti­tu­lé « Morts et pri­son­niers » : « Depuis lun­di, c’est-à-dire pen­dant une semaine, le nombre de pri­son­niers envoyés à Versailles s’est éle­vé au chiffre pro­di­gieux de 29 000. On éva­lue à 14 000 celui des indi­vi­dus tués der­rière les bar­ri­cades ou fusillés après avoir été pris les armes à la main ».

Les ‘’hon­nêtes gens’’ frappent les cap­tifs de leurs poings, de leurs cannes ou de leurs ombrelles, crient : « À l’assassin ! ». Les rares per­sonnes qui ont essayé de s’op­po­ser aux Versaillais ou Versaillaises qui frap­paient les insur­gés ont failli être lynchées.

Communardes à la prison des Chantiers à Versaille

Communardes à la pri­son des Chantiers à Versaille [BnF, pho­to Appert]

Charles-Marie Leconte de Lisle, dans une lettre à José-Maria de Heredia : « … ils ont assas­si­né des familles entières repous­sées dans les flammes à coups de baïon­nettes ; ce sont de misé­rables pillards dont les poches étaient bour­rées d’or et de billets de banque volés dans toutes les caisses publiques et pri­vées… Il y a en ce moment dans les cata­combes de Bicêtre et d’Ivry 6 000 de ces ban­dits qui meurent de faim ou qui se mangent s’ils ne se sont pas ren­dus. 30 000 pri­son­niers sont par­qués sur le pla­teau de Satory… Il fau­drait dépor­ter toute la canaille pari­sienne, mâles, femelles et petits, pour en finir avec les ven­geances cer­taines qui n’attendent que leur heure … » 

Au camp de Satory à Versailles, mais aus­si aux Grandes Écuries, à l’Orangerie… les com­mu­nards, dont Louise Michel, Julien Tanguy (dit Le Père Tanguy), vivront plu­sieurs mois entas­sés sans abri ni soin. Un grand nombre mour­ront de mala­die, de bles­sures ou seront abat­tus et inhu­més sur place, près de l’é­tang de la Martinière. Depuis le 25 mai, trois convois jour­na­liers de wagons à mar­chan­dises com­plè­te­ment fer­més éva­cuent 2 000 insur­gés vers des pon­tons2  à Cherbourg, Brest, Lorient et Rochefort dans l’attente de leur juge­ment. Ce tra­fic avait débu­té dès le 6 avril et dure­ra jusqu’au au 10 septembre. 

Seuls deux conseils de guerre fonc­tionnent alors à Versailles.

Pendant ce temps, le sénat et la chambre des dépu­tés conti­nuent à sié­ger à Versailles, ce jusqu’en juillet 1879 (en y conser­vant des locaux au sein du châ­teau jus­qu’en 2005). 

Le 03 : Rétablissement de la liai­son fer­ro­viaire entre Paris et Londres qui encou­rage l’arrivée mas­sive de tou­ristes anglais. Bien infor­més par leur presse, ils arrivent en voyages orga­ni­sés, notam­ment par l’agence Cook et favo­risent la réou­ver­ture des hôtels et des théâtres.

________

  1. Émile Zola, 8e lettre de Paris, dans Le Sémaphore de Marseille, 29 mai 1871.
  2. Les pon­tons sont de vieux vais­seaux désaf­fec­tés, où un espace a été amé­na­gé pour rece­voir les prisonniers.