La Commune de Paris : 21 — 27 mai 1871
La Semaine sanglante

Nous nous pro­po­sons de tenir au fil des semaines une chro­nique des évé­ne­ments de la Commune de Paris. Après, une pre­mière chro­nique qui explique la genèse de cet évé­ne­ment, nous sui­vons les péri­pé­ties semaine après semaine. Voici la 10ème semaine.

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Commune de Paris

Éphéméride 21 — 27 mai 1871

La Semaine sanglante

 

1871

Mai

Le 21 : Constitution d’une commis­sion exclu­si­ve­ment com­po­sée de 5 « citoyennes » pour réflé­chir sur l’enseignement des filles dont Anna Jaclard* et André Léo.

Une cen­taine de gar­çons de 10 a 16 ans for­mant de leur plein gré le corps des Pupilles et caser­nés place du Château-d’Eau (actuelle place de la République) construisent puis assurent la défense des bar­ri­cades de ce quartier.

À 14 h., ce dimanche, dans les jar­dins des Tuileries (car place de la Concorde, les obus ver­saillais tombent jusqu’au Palais de l’Industrie, à moins de 500 mètres), Florence Agar lit des poèmes et Delaporte dirige un concert don­né par les 1 300 musi­ciens de tous les bataillons de la Garde natio­nale de Paris. 8 000 per­sonnes sont pré­sentes. Un offi­cier prend la parole : « Citoyens, mon­sieur Thiers avait pro­mis d’entrer hier dans Paris; mon­sieur Thiers n’est pas entré. Il n’entrera pas. Je vous convie pour dimanche pro­chain, ici, à la même place, à notre second concert au pro­fit des veuves et des orphelins. »

Barricade [de 1871], lithographie d'Édouard Manet

Barricade, litho­gra­phie d’Édouard Manet [WikimediaCommons]

Au même moment, com­man­dés par le maré­chal Mac-Mahon, 130 000 sol­dats de Versailles pénètrent dans Paris par l’ouest au Point-du-Jour, via les portes de Saint-Cloud et Versailles, avec la com­pli­ci­té des troupes alle­mandes et à cause de la tra­hi­son d’un cer­tain Jules Ducatel. Le direc­teur du Figaro lancera une sous­crip­tion publique en sa faveur...

Dernière séance de la Commune à l’Hôtel de ville. 

Le 22 : Dès l’aube, l’armée avance vers le parc Monceau, les places de Clichy, de l’Étoile, la gare Saint-Lazare, les portes d’Asnières, de Vanves, Dauphine, le Champ-de-Mars, l’École militaire.

Les insur­gés n’apprennent l’entrée ver­saillaise que ce matin. 

Ferdinand Gambon signe avec Antoine Arnaud, Émile Eudes et Alfred Billioray le décret du comi­té de salut public placar­dé sur les murs de la capitale :
« Que tous les citoyens se lèvent !
Aux bar­ri­cades ! L’ennemi est dans nos murs !
Pas d’hésitation !
En avant pour la RÉPUBLIQUE, pour la COMMUNE, et
pour la LIBERTÉ ! » 

Les bar­ri­cades du bou­le­vard Haussmann et de la rue Auber tombent, les com­mu­nards qui se rendent sont exé­cu­tés sur place.

Des corps spé­ciaux arrêtent au moindre doute, mas­sacrent hommes, femmes et enfants croi­sés sur leur che­min, pour­chassent dans les mai­sons tous ceux qui sont soup­çon­nés de sym­pa­thie pour la Commune. 

Une grande par­tie des com­bat­tants de la Commune se replie main­te­nant dans leur quar­tier pour le défendre, aban­don­nant ain­si toute lutte coor­don­née, erreur fatale. 

Thiers : « C’est par les voies régu­lières que jus­tice sera faite. Les lois seules inter­vien­dront, mais elles seront exer­cées dans toute leur rigueur… L’expiation sera com­plète, mais ce sera, je le répète, l’expiation telle que les hon­nêtes gens doivent l’infliger quand la jus­tice l’exige, l’expiation au nom de la loi et par la loi ».

Arrestation de 156 enfants. 

Exécutions près du Théâtre Français, des églises Saint-Eustache et de l’Assomption, au palais des Tuileries, au parc Monceau, place Vendôme. 

Le minis­tère des Finances brûle.

Le soir la ligne de front part de la gare des Batignolles (André Léo y est pré­sente sur une bar­ri­cade) et des­cend jusqu’à la gare Montparnasse, à la défense de laquelle par­ti­cipent Joséphine Dulembert, rédac­trice du Moniteur des Citoyennes, Brossert, can­ti­nière au 84e bataillon et Ladoïska Caweska. Plusieurs mil­liers de femmes se battent ainsi…

Incendie de l'Hôtel_de_Ville,_24_Mai_1871

Incendie de l’Hôtel de Ville, [WikimediaCommons, Frederic Haussbauer]

Le 23 : Abandon de l’Hôtel de ville par les com­mu­nards. Quelques heures après il brûle. 

Vers midi les Versaillais atteignent la butte Montmartre. Ils ont pour consigne de contour­ner les bar­ri­cades : les sol­dats percent les immeubles et éta­blissent des posi­tions de tir dans les étages supé­rieurs. Pour les contrer, la Commune donne l’ordre d’incendier les maisons. 

Jaroslaw Dombrows­ki est bles­sé mor­tel­le­ment à la bar­ri­cade de la rue Myrha.

Une cin­quan­taine de femmes, sous la direc­tion de Nathalie Le Mel, construisent une bar­ri­cade place Pigalle et aident à sa défense. Elle tombe vers 14 heures, après des com­bats acharnés.

La bar­ri­cade de la place Blanche tombe aus­si. Les femmes qui ne peuvent se replier sont exé­cu­tées sur place, comme Blanche Lefebvre. Béatrix Excof­fon, Nathalie le Mel, Élisabeth Dimitrieff et Malvina Poulain seront condam­nées à la dépor­ta­tion en enceinte for­ti­fiée.

Aux bar­ri­cades de la rue Royale et près de l’église de la Madeleine : exé­cu­tion des com­mu­nards qui se sont rendus. 

La biblio­thèque impé­riale du Louvre, avec ses 200 000 livres et manus­crits, est incendiée. 

Exécution de cen­taines de com­mu­nards au Panthéon et dans la rue Saint-Jacques. 

A l’église Saint Pierre du Petit Montrouge (ambu­lance, poste de guet) : 37 fusillés sous le porche. 8 four­gons char­gés des corps seront trans­fé­rés la nuit au cime­tière Montparnasse.

24 mai 1871 Paris Exécution des otages, prison de la Roquette, montage photo de E. E. Appert

Exécution des otages, pri­son de la Roquette, mon­tage pho­to de E. E. Appert [WikimediaCommons]

Théophile Ferré signe l’ordre d’exécu­tion de six otages, ce qui sera fait le len­de­main à la pri­son de la Roquette :  le pré­sident Bonjean, l’abbé Deguerry, le curé de la Madeleine, l’abbé Surat de Notre Dame, et l’arche­vêque de Paris Mgr. Darboy. Pour cela, Ferré sera fusillé en novembre à Satory.

Sauvé par Ferdinand Buisson et sa mère qui le cachent dans une cha­pelle pro­tes­tante, Benoit Malon sera condam­né par contu­mace à la dépor­ta­tion en enceinte fortifiée.

Malvina Blanche­cotte, jour­na­liste, juchée sur un réver­bère : « Les Tuileries brûlent, l’hôtel de ville brûle ; ceci est l’extermination du monde. ». 

Ce soir aus­si, le Conseil d’État, le palais de la Légion d’honneur, le minis­tère des Finances et la Cour des comptes com­mencent à brû­ler.

Le 24 : Une affiche signée de Charles Delescluze, délé­gué à la Guerre, pro­clame : « …Place au peuple, aux com­bat­tants aux bras nus ! L’heure de la guerre révo­lu­tion­naire a son­né. Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes, mais quand il a un fusil à la main, un pavé sous les pieds, il ne craint pas tous les stra­tèges de l’école monar­chiste. Aux armes, citoyens, aux armes !… La Commune compte sur vous. Comptez sur la Commune. ». En fait la situa­tion n’est plus sous contrôle. Delescluze se replie sur l’hôtel de ville du XIe.

Exécutions autour de la Place d’Italie. Des cours mili­taires de ‘’jus­tice’’ impro­vi­sées sont en place à l’École poly­tech­nique, au Châtelet, au parc Monceau, la plus ter­rible agit au Luxembourg… Catulle Mendès écrit dans Les 73 jours de la Commune : « On amène les fédé­rés, 20 par 20 ; on les condamne ; conduits sur la place, les mains liées der­rière le dos, on leur dit : « Tournez-vous ». À 100 pas, il y a une mitrailleuse ; ils tombent 20 par 20. […] J’ai vu tout cela de mes propres yeux. ».

Le pro­cu­reur de la Commune Raoul Rigault est arrê­té et exécuté près du Panthéon ; néanmoins, il sera condamné par contu­mace à la peine de mort…

Le Palais-Royal, le palais de jus­tice et la Préfecture de police brûlent.

Un des trois bataillons de la garde natio­nale qui incor­porent mas­si­ve­ment des enfants, celui des Vengeurs de Gustave Flourens, est consti­tué à 80 % d’ ado­les­cents entre 15 et 17 ans, à en croire Verlaine. Beaucoup de ses « gavroches » se feront tuer, la plu­part sur la bar­ri­cade du pont d’Austerlitz.

2 000 à 3000 fédé­rés rejoignent la rive droite et l’est, les autres aban­donnent l’uniforme et tentent de s’échapper.

Louise Michel, après s’être bat­tue sur la bar­ri­cade de Clignancourt, infor­mée, se livre aux Versaillais en échange de sa mère arrê­tée à sa place.

Carricature du général Vinoy, bourreau de la Commune de 1871

Le géné­ral Vinoy vu par Faustin [Musée Carnavalet]

Le 25 : Le peintre James Tissot fait un cro­quis Exécution de deux com­mu­nards par les ver­saillais rue Saint-Germain‑l’Auxerrois. Il en pro­duit 70 ce mois-ci, publiés plus tard en Angleterre où il s’exilera.

Walery Wrobleski orga­nise la résis­tance à la Butte-aux-Cailles et place d’Italie, se dis­tin­guant par ses qua­li­tés de stra­tège. Il sera condam­né à mort par contumace.

Thiers : « Nous pour­sui­vons en ce moment la vic­toire pour l’achever. Mais, après la vic­toire, il faut punir. Il faut punir léga­le­ment, mais impla­ca­ble­ment… » .

Le Grenier d’a­bon­dance, près de l’Arsenal, occu­pé par les sol­dats de Joseph Vinoy est incendié.

Dernière séance de la Commune à la mai­rie du XIe

Rudes com­bats autour de la bar­ri­cade de la rue du Château‑d’Eau. Charles Delescluze y trou­va une mort volon­taire en avant de la barricade.

Antoine Brunel et les Pupilles de la Commune tiennent les bar­ri­cades de la rue Magnan et du quai de Jemmapes. Griè­ve­ment bles­sé à la cuisse, Brunel sera condam­né à mort par contumace. 

Élisabeth Dimitrieff par­ti­cipe aux der­niers com­bats de rue et soigne Léo Fran­kel bles­sé sur la bar­ri­cade du fau­bourg Saint-Antoine. Il sera condam­né à la peine de mort par contumace. 

La Manufacture des Gobelins flambe.

Le 26 : « Nous fai­sons par­tie de la colonne de pri­son­niers par­tie du bou­le­vard Malesherbes à 8 heures du matin, se diri­geant sur Versailles, nous nous sommes arrê­tés au châ­teau de la Muette où le géné­ral, après être des­cen­du de che­val… dési­gne à la troupe 83 hommes et 3 femmes, ils furent ame­nés sur les talus et fusillés devant nous. Après cet exploit le géné­ral nous dit : Je me nomme Galliffet. Vos jour­naux de Paris m’ont assez sali, je prends ma revanche… », rap­por­té par onze témoins ocu­laires, dans le  Livre rouge de la jus­tice rurale, de Jules Guesde. Bien qu’absent de Paris, celui-ci sera condam­né par contu­mace à 5 ans de réclusion.

Prise du fau­bourg-Saint-Antoine, de la colonne de la Bastille ; les docks de la Villette brûlent. Gabriel Ranvier, : « Citoyens du XXe, si nous suc­com­bons, vous savez quel sort nous est réser­vé… Aux armes ! Prêtez votre concours au XIXe, aidez-le à repous­ser l’ennemi. En avant donc… Vive la République ! ». Il sera condam­né à mort par contu­mace.

Le jour­na­liste Jean-Baptiste Millière est fusillé sur les marches du Panthéon, par ordre du capi­taine Garcin. 

Les Prussiens empêchent les fuyards de quit­ter la ville. 

18 h. : 52 otages sont entraî­nés de la pri­son de la Roquette au 85, rue Haxo ( 11 prêtres, 36 gardes et gen­darmes ver­saillais, 4 civils) accom­pa­gnés d’une foule exci­tée, jugés et exé­cu­tés sans que Eugène Varlin et quelques autres, dont André Alavoine et Frédéric Cournet ne puissent l’empê­cher. Ce der­nier sera condam­né à mort par contu­mace.Au Palais-Royal, « les cadavres des femmes res­taient jetés au hasard dans le jar­din et sous les gale­ries » .

À par­tir d’aujourd’hui, Gaston de Praissac signe dans Le Gaulois une chro­nique macabre inti­tu­lée « Une excur­sion ».

Dans la nuit toute la popu­la­tion réveillée par une for­mi­dable déto­na­tion, se rend sur les bords de la Seine. Orateurs et jour­na­listes asso­cient les 238 foyers allu­més aux incen­dies de Moscou en 1812, de Saragosse en 1778 ou celui de Rome par Néron.

Derniers combats au Père Lachaise, 1871, tableau de Philippoteaux

Derniers com­bats au Père Lachaise, 1871, tableau de Philippoteaux [WikimadiaCommons]

Le 27 : À l’église Saint-Sulpice, trans­for­mée en ambu­lance, les Versaillais sont impi­toyables : « S’ils étaient cou­chés et en che­mise, c’est qu’ils simu­laient la souf­france… ils furent donc ‘’tous pas­sés par les armes en com­pa­gnie du faux chi­rur­gien’’ ».

Avec la com­pli­ci­té des troupes alle­mandes aux portes de Bagnolet et de Montreuil, les troupes ver­saillaises conduits par Ladmirault et Vinoy occupent doré­na­vant la qua­si-tota­li­té de Paris. 

Les Versaillais reprennent aus­si­tôt le contrôle de l’Imprimerie Nationale et les affiches portent leur signa­ture dès ce jour.

Dans l’après-midi les Versaillais inves­tissent le cime­tière du Père-Lachaise 200 gardes natio­naux se sont retran­chés ; les com­bats se ter­minent au corps à corps et à l’arme blanche.

Les bom­bar­de­ments conti­nuent sur Belleville, atteignent même Bagnolet bles­sant des sol­dats prus­siens… Les der­niers membres de la Commune, Ferré, Varlin, Ranvier, Trinquet et François Jourde (les trois der­niers seront dépor­tés) assistent impuis­sants au désastre à la mai­rie du XXe que l’armée de l’ordre occu­pe­ra dès 8 heures le lendemain.

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* Afin de ne par sur­char­ger le texte, nous ne met­tons de lien que pour les per­sonnes pour les les­quelles nous ne l’a­vons pas fait dans les pré­cé­dents articles. Merci au Maitron en ligne.