Il y a 150 ans, le Drouais
Charles Delescluze s’est sacrifié sur la barricade
Il y a exactement 150 ans, ce 25 mai que le Drouais Charles Delescluze s’est sacrifié sur la barricade de la place du Château-d’Eau. Après Auguste Louis Rogeard et Gustave Maroteau, voici une courte biographie d’un autre Eurélien dans le cadre de notre série sur la Commune de Paris.
Quelques citations de Charles Delescluze
« Le bien n’est possible que par l’alliance du peuple et de la bourgeoisie » (27 janvier 1870)
« Paris n’a jamais été admis à l’exercice des droits primordiaux essentiels, qui appartiennent à l’agrégation naturelle qu’on appelle la Commune. Grande est la misère à Paris, dès avant la guerre » (8 février 1870)
« Qu’est-ce que le socialisme ? Un ensemble de recherches préparant l’émancipation intégrale des travailleurs. Ce n’est pas, au surplus, l’épouvantail redouté par les privilégiés ni d’ailleurs la panacée à laquelle croient les misérables. La réforme politique est le préalable nécessaire à la réforme sociale. » (30 avril 1870)
« Nous savons bien que les mutuellistes et autres communistes ne pourront jamais avoir leur heure dans un pays comme la France, où la propriété est tellement divisée » (7 juin 1870)
Un boulevard porte son nom à Dreux
Delescluze, Le Réveil et… Mediapart
Par Laurent Mauduit
Le Réveil : dans l’histoire du journalisme et de la presse, ce titre-là, créé par le courageux Charles Delescluze, est injustement tombé dans l’oubli. L’envie nous est donc venue de lui redonner vie.
C’est donc la filiation dans laquelle j’ai voulu m’inscrire. Pour signifier que le combat pour un journalisme honnête et indépendant est au cœur du combat démocratique. Pour signifier aussi que l’investigation sur capitalisme de connivence, ce capitalisme assez fortement corrompu, comme sous le Second Empire, serait l’une de mes ambitions dans ce journal indépendant qu’est Mediapart.
Pour essayer d’en tenir la chronique, pour traquer les dysfonctionnements du capitalisme de connivence, et les inégalités qu’il génère, l’envie nous est donc venue de placer ce blog sous le parrainage de Charles Delescluze. Et puis, Le Réveil… cela sonne bien, non ?
https://blogs.mediapart.fr/laurent-mauduit/blog/110308/en-memoire-de-charles-delescluze
Commune de Paris
Le Drouais Charles Delescluze s’est sacrifié sur la barricade
Né le 2 octobre 1809 à Dreux dans une famille bourgeoise (son père, ancien volontaire de 1792, était commissaire de police), Delescluze, journaliste et républicain convaincu, est l’un des plus importants parmi les dirigeants de la Commune de Paris.
Le jeune Charles commence le latin auprès de son père puis, à Paris, entreprend des études de droit. Faute d’argent, il doit vite rentrer à Dreux, pour ne revenir à Paris qu’après les Trois Glorieuses en juillet 1830 où il prend part à la Révolution de 1830 puis à celle de 1848. Devenu journaliste, il dirige L’Impartial du Nord, feuille classée comme « radicale » à laquelle il donne une nuance encore plus nettement démocratique, et crée en 1860 Le Réveil : journal de la démocratie des deux mondes ainsi nommé parce qu’il s’assigne pour but de secouer l’apathie du pays en proie à l’Empire. Il reçoit des souscriptions, plus ou moins modestes, en abondance, des suggestions et des communications.
Neuf fois arrêté, il cumule en quarante ans presque 10 ans de prison, 20 000 F d’amendes, environ 10 ans d’exil, 6 ans de déportation, pour ses publications et soutien voire participation à la fondation de sociétés secrètes : la Société des Amis du Peuple, la Révolution démocratique et sociale, la Solidarité républicaine (avec Agricol Perdiguier1), organisation destinée à rassembler les radicaux et les socialistes, la Marianne…
En 1868, il lance une souscription (à laquelle participent tous les républicains, dont Victor Hugo, toujours proscrit) pour ériger sur les lieux même du drame une statue en mémoire du député Alphonse Baudin, assassiné lors du coup d’état de Louis Napoléon le 3 décembre 1851. Pour ce projet, bien que défendu par un jeune avocat talentueux, Léon Gambetta, il est condamné à six mois de prison et 2 000 F.
En janvier 1870, lors des funérailles de Victor Noir, Delescluze prêche la prudence. En août, pour s’être dressé contre la guerre, il est condamné à 18 mois de prison et 4 000 F d’amende, son journal est suspendu. Pourtant, la guerre déclarée, il applaudit au patriotisme, même impérial, de défense des frontières.
Élu, le 5 novembre 1870, maire du XIXe arrondissement, il travaille le jour à la mairie, la nuit à son journal. Il démissionne, le 6 janvier 1871 après avoir demandé en vain des mesures de salut public, la démission de Louis-Jules Trochu, chef du gouvernement et du général Clément Thomas, commandant en chef de la Garde nationale de la Seine.
Le 22 janvier 1871, Le Réveil est supprimé, le gouvernement de la défense nationale considérant que « le journal contient chaque jour des excitations à la guerre civile ». Delescluze est emprisonné au donjon de Vincennes, puis à la Santé. Selon un rapport de police : « Regard sévère ; figure maigre, air souffrant, menton pointu. Il rabat les faces de ses cheveux en avant ; œil vif, a au moins 60 ans ; paraît plus que son âge. »
Élu aux élections législatives du 8 février 1871, avec 154 142 suffrages, il demande la mise en accusation des hommes de la Défense nationale. Au scrutin du 26 mars, deux arrondissements l’élisent à la Commune, le XIe et le XXe, le premier par 20 264 voix, et le second par 5 816 voix. Il choisit de représenter le XIe.
Il siège à la Commission des relations extérieures, puis (4 avril) à la Commission exécutive ; le 18 avril, il est délégué à la mairie du XIe. Membre de la Commission de la guerre (21 avril‑8 mai) il s’oppose à Cluseret. De la fin d’avril au 5 mai, une laryngite aiguë l’éloigne des séances ; lorsqu’il revient le 9 mai, c’est pour s’élever contre l’inertie des pouvoirs : il fait partie du Comité de Salut public rénové (9 mai) et remplace Rossel comme délégué civil à la Guerre (11 mai). Tous ses concurrents se sont désistés en sa faveur et sa candidature a recueilli 42 voix sur 46. C’est une proclamation de Delescluze (24 mai) qui, les Versaillais entrés dans Paris, appelle les habitants au combat (24 mai) : « Place au peuple, aux combattants aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné. Le peuple ne connaît rien aux manœuvres savantes, mais quand il a un fusil à la main, un pavé sous les pieds, il ne craint pas tous les stratèges de l’école monarchiste. Aux armes, citoyens, aux armes ! La Commune compte sur vous. Comptez sur la Commune. »
Delescluze se replie du ministère de la Guerre sur l’Hôtel de Ville, puis sur la mairie du XIe. Avec Georges Arnold, Édouard Vaillant, Auguste Vermorel, il cherche à arrêter l’effusion de sang en parlementant ; mais les fédérés ne les laissent pas passer. Malade, désespéré, Delescluze est résolu à mourir. Il écrit : « Ma bonne sœur. Je ne puis ni ne veux servir de victime et de jouet à la réaction victorieuse… Mais je ne me sens pas le courage de subir une nouvelle défaite après tant d’autres. » Il trouve une mort volontaire en avant de la barricade édifiée place du Château‑d’Eau, le 25 mai.
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- Afin de ne pas surcharger le texte, nous ne mettons de lien que pour les personnes pour lesquelles nous ne l’avons pas fait dans les articles précédents. Et encore, merci au Maitron en ligne.