Mineurs étrangers isolés :
Les collectifs au Conseil départemental
Il est 9 h 05 dans la salle de réunion du Conseil départemental, ce 5 novembre. Les conseillers sont tous installés à leur pupitre, le président va prendre la parole pour ouvrir la séance. En cinq secondes, venus des bancs du public, une douzaine de militants se regroupent en haut des tribunes, un mégaphone surgit et Céline Le Guay, au nom des collectifs CRSP28(1) et Eure-et-Loir-Terre d’Accueil interpelle les élus : « Nous sommes ici pour vous alerter sur les conditions de prise en charge des mineurs isolés étrangers que nous constatons dégradées et déplorables. Nous sommes contraints d’intervenir de cette manière car nous avons envoyé des courriers pour alerter et échanger sur ces conditions et les problèmes que nous constatons. Et nous n’avons eu aucune réponse.
Nous constatons une dégradation dans les conditions de prise en charge, un manque total d’accueil pour ces jeunes, nous constatons aussi des conditions d’hébergement qui se sont fortement dégradées dans des hôtels dégradés et avec parfois des violences. Nous constatons également un manque criant de travailleurs sociaux pour pouvoir assurer les compétences du Conseil départemental d’une manière correcte en termes de suivi éducatif et psychologique. »
Le président Claude Térouinard répond en s’efforçant de garder son calme, et là, scoop : « Je suis prêt à discuter avec vous du problème. » Et il ajoute aussitôt : « C’est un drame, ces enfants viennent essentiellement de l’Afrique subsaharienne. Je vous conseille de lire le livre de Stéphane Smith La Ruée vers l’Europe (2). Personnellement je pense que ce ne devrait pas être, au niveau financier, à la charge des départements. Au rythme où croissent les dépenses aujourd’hui, dans cinq ans, il n’y aura plus de département. Financièrement, nous serons à la rue. En 2012, le coût des MNA (3) était de 50 millions, nationalement. Cette année, Il sera au minimum de 2 milliards et l’an prochain de 4 milliards. Les départements, très rapidement, vont être condamnés, pour répondre à ces dépenses, à suspendre tout investissement dans les routes et dans les collèges. Nous sommes donc placés devant un problème majeur que nous ne sommes pas, aujourd’hui, en mesure de répondre dans des conditions humaines satisfaisantes. Tous les départements sont pris à la gorge par ce problème. Si vous avez des solutions, il faut les examiner. Que localement il y ait des difficultés, je le comprends mais soyons sérieux, aidez-nous ! »
Citant le cas d’un jeune passé par l’E&L et la Sarthe, il affirme : « Nous sommes devant des organisations ! » Il reprend ainsi l’idée qu’il avait développée en septembre : « Il existe des filières de passeurs entre les pays d’où partent ces migrants et l’Eure-et-Loir », allant même jusqu’à affirmer « le département participe, involontairement, à la traite d’êtres humain. » (4)
Céline Leguay commence une réponse : « Ces jeunes sont en errance, ils sont en précarité et en difficulté et ils tentent de département en département une prise en charge. Nous sommes là aussi pour dénoncer cette logique de soupçon qui pèse sur ces enfants… » Mais le président perd sa sérénité et l’interrompt et, élevant la voix, agite le spectre du “grand remplacement”, cher à Éric Zemmour : « C’est un drame qui se prépare… les prévisions sont, dans les trente ans qui viennent, 125 millions de migrants venus d’Afrique subsaharienne ! » Pierre Licout d’ELTA interroge : « Les enfants à la rue, où est-ce qu’ils vont ? », alors, sort le cri du cœur de Claude Térouinard : « Prenez-les chez vous ! ». Les militants solidaires réclament « Un rendez-vous ! » Élisabeth Fromont, vice-présidente, intervient :
« Vous quittez la salle, vous êtes arrivés sans nous prévenir, ce n’est pas une solution, vous aurez un rendez-vous. » Les militants : « Une date, une heure ! » Pendant plusieurs minutes, dans le brouhaha qui s’est installé parmi les conseillers dont beaucoup s’impatientent, le ping-pong se poursuit : sortie contre rendez-vous… Élisabeth Fromont déclare alors : « Nous suspendons la séance, chers collègues, la police arrive ». Les militants restent sur place et, dans les travées, ils finissent par obtenir un rendez-vous pour… prendre un rendez-vous.
En fin de matinée, les deux collectifs, ont tenu un point de presse, à deux pas du Conseil départemental, au pied du monument aux Droits de l’Homme et du Citoyen, pour expliquer leur action.
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- Collectif 28 pour la régularisation des sans-papiers
- Ouvrage dont les thèses sont contestées, notamment, par François Héran du Collège de France dans Population et Sociétés n° 558 de l’INED
- Mineurs non accompagnés
- Interview à l’Écho du 22-09-2018