Après la Semaine sanglante, juin 1871
Après, une première chronique qui explique la genèse de cet événement, nous avons suivi les péripéties semaine après semaine. Avec cette 12ème chronique, nous entrons dans l’Après Commune.
Nous nous proposons de continuer à évoquer dans les prochains mois les suites de cette révolution vaincue mais jusqu’à nous vivace dans les pensées de celles et ceux qui veulent changer le monde.
Dans cette page, le mois de juin 1871. En effet, les arrestations de Communards se poursuivent jusqu’en juin et juillet.
Retrouvez les liens vers toutes les éphémérides parues et tous les articles sur la page Nos articles sur la Commune.
La base de données de Jean-Claude Farcy (*)
La répression judiciaire de la Commune de Paris : des pontons à l’amnistie (1871–1880)
Cette base de données a été mise en ligne en 2019 ; elle rassemble à ce jour les informations nominatives disponibles sur 41 375 personnes inculpées par la justice militaire et le Tribunal correctionnel de la Seine pour avoir participé à la Commune de Paris, à l’exclusion des mouvements communalistes de province. Elle ne peut prétendre à l’exhaustivité en raison des lacunes dans les sources mais est riche d’enseignements. On y apprend par exemple que 1314 personnes arrêtées étaient du Limousin, dont 300 à 400 fusillés pendant la semaine sanglante, 343 étaient natives d’Eure-et-Loir, dont 43 de Chartres, que ces hommes et femmes étaient maçons, charcutiers, cordonniers, ajusteurs au chemin de fer, couturières,.. et presque tous gardes nationaux pendant la Commune.
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* Voir tribune Comme un espoir mis en chantier.
Quentin Deluermoz [ “Commune(s)”, 2020 ] : « En aucun cas la Commune ne peut sembler l’émanation de la branche française de l’AIT », et Jean Maitron : « seule une minorité de citoyens, quelques milliers tout au plus, a affectivement milité dans son sein.. .elle est, au terme d’une longue enquête, ce que je crois être la vérité, ou une approche de la vérité sur les effectifs de l’Internationale. Elle surprendra, choquera même, je le crains, mais les faits sont là… son rayonnement, indiscutable, vint de la seule force de l’idée et non de celle d’un ‘’appareil’’ comme nous dirions aujourd’hui. »
Après la Commune de Paris
Après la Semaine sanglante, juin 1871
Le 04 : Descharreaux Denis, natif de Chartres, est arrêté chez lui : d’après la police, il aurait défendu les barricades de son quartier, notamment celle de la rue des Tournelles. Il sera condamné le 19 mars 1872, à la déportation simple et à la dégradation civique, arrive à Nouméa le 28 septembre 1873.
Le 05 : Le Figaro écrit « en 1871, des hordes barbares ont envahi Paris ». L’Indépendance belge quant à elle déplore cette « catastrophe sans précédent que jamais on aurait cru possible au XIXe siècle, qui fait se voiler la civilisation et rétrograder l’histoire ». En 2020, l’historien Quentin Deluermoz analyse « … le recours à une violence extrême [contre la Commune] fait partie des possibilités disponibles pour refonder le régime… »
Le 06 : La foule des boulevards parisiens venue voir les destructions et les Communards emprisonnés rappelle celle de la fête impériale.
Circulaire de Jules Favre à tous les États de l’Europe : « À côté des jacobins qui ont eu la prétention d’établir un système politique, il faut placer les chefs de l’Internationale dont l’action a été plus puissante que celle de leurs complices… » et les invite « à courir sus à tous les membres de l’AIT. » (voir encadré mauve)
Bismark en appelle « à la solidarité contre l’Europe socialiste », le tzar félicite Thiers « pour l’énergie avec laquelle il a sauvé la France et l’Europe ». Brésil, Siam, USA approuvent également.
Le 07 : « C’est [à partir] de ce moment que l’on a installé à la préfecture de police un atelier photographique » écrit Maxime Du Camp. La police des frontières reçoit ainsi 4000 portraits en ‘’cartes de visite’’.
Les daguerréotypes de Bruno Braquehais sont censurés et interdits à la vente. Il cache et détruit nombre de ses clichés qui servent de pièces à conviction pour identifier, traquer et arrêter les insurgés, comme c’est arrivé à Courbet. Reconnu sur les photos de la démolition de la colonne Vendôme, celui-ci est emprisonné à la prison Sainte-Pélagie de Paris puis à Satory jusqu’en mars 1872.
Le 08 : Martial Delpit est rapporteur de la commission sur l’insurrection du 18 mars : il explique celle-ci par « l’accumulation d’un trop grand nombre d’ouvriers à Paris » … ” La destruction du vieux Paris, la substitution d’habitations de luxe aux modestes maisons où l’ouvrier pouvait se loger, ont rejeté toute la population ouvrière aux extrémités ; il y a eu en quelque sorte, ‘’ deux villes dans la même ville’’ » … « Il semble que la guerre sociale soit toujours suspendue sur nos têtes, et que les incendiaires soient prêts à rallumer leurs torches. »
Le 12 : Les contacts diplomatiques sont encourageants pour Thiers : « une entente de tous les gouvernements sur des mesures de vigilance et de répressions à prendre à l’égard de cette dangereuse société… est une nécessité des plus pressantes…. ». Mais la Grande-Bretagne, la Belgique, la Suisse refusent vite toute extradition. L’Espagne et le Portugal les acceptent. D’immenses débats nationaux ont lieu sur la signification du droit d’asile. Le contrôle des passeports est restauré, les collaborations entre polices renforcées. Ainsi les démarches de Jean-Baptiste Clément, exilé en Angleterre étaient suivies au jour le jour par un indicateur qui signait du n° 28 les rapports envoyés à la préfecture de police parisienne.
Plus de 5 000 communards ont pris le chemin de l’exil, principalement pour la Suisse (environ 1000), l’Angleterre (environ 3500) et plus de 1500 pour la Belgique.
Par exemple, Paul Milliet, caché dans le phalanstère La Colonie à Condé-sur-Vesgre, près de Rambouillet, réussit à fuir à Rome où il s’installera en mai 1872. Il sera condamné à la déportation et à la dégradation civile.
Maxime Vuillaume, quant à lui, raconte dans ‘’Mes cahiers rouges au temps de la Commune’’ : « un des plus extraordinaires épisodes de cette fuite plus qu’étrange, où je rencontrai tous les dangers et où j’échappai à tous, par un inexplicable et persistant bonheur. » Il sera condamné à mort par contumace.
Le 15 : Dans La Revue des Deux Mondes Edmond Marcelin Dehault de Pressensé, pasteur, s’en prend à la “populace parisienne” mais estime que « la nation doit faire son examen de conscience » et qu’il importe de « chercher la part de toutes les responsabilités dans une catastrophe qui n’accuse pas seulement ses fauteurs directs ». Il propose comme principaux remèdes le développement de l’enseignement et la décentralisation.
Le 17 : Dans Le Monde Illustré : « La plupart des photographies sont tout simplement des vues des divers monuments prises en temps ordinaire ; sur une épreuve de ces vues, un retoucheur adroit a savamment disposé des flammes à l’aquarelle, après quoi on a tiré une contre-épreuve, et c’est avec ce cliché pastiche qu’ont été fabriqué le plus grand nombre des belles horreurs en action » .
Grâce à la technique du couper-coller, le photographe officiel de l’armée, Appert, reconstitue les fusillades : il photographie, avec l’autorisation de Thiers, les communards emprisonnés, découpe et monte leurs portraits sur des photos de figurants costumés posant dans les décors originaux et vendues ensuite comme documents authentiques.
Jules Andrieu, photographe officiel pour le ministère de la Marine et des Colonies, se spécialise dans la photographie des destructions parisiennes.
Le succès commercial de ces clichés est tel que l’on organise des expositions itinérantes sur le thème des ruines de la Commune, qui voyagent jusqu’à Londres, Liverpool et Cornhill. La Commune de Paris est le premier événement en France à être massivement immortalisé par la photographie : 1 800 clichés traitent de la Commune de Paris, dont les deux tiers portent sur les ruines : « Le plus grand trucage, la plus forte invention de la photographie de 1871 est bien le spectacle d’un Paris ruiné. Les photographes construisent la fiction d’un Paris détruit ». De 1871 à 1873, presque 300 livres, des milliers d’articles de presse, des centaines de caricatures exposent les représentations versaillaises de la Commune. C’est une affaire très rentable.
Le 19 : Jusqu’à ce jour, au cimetière Montparnasse, exécutions et inhumations de plus de 2000 fédérés se seront succédé.
Camille Pelletan : « Il y a eu, en mai 1871, dans Paris, un massacre qui, pour le nombre de ses victimes, pour le hasard de ses coups, pour l’horreur de ses épisodes, n’est comparable à rien de ce que la ville a vu depuis la Saint-Barthélemy. »
L’historienne Michelle Zancarini-Fournel note [2020] que c’est la « première fois lors d’une insurrection urbaine que la mise à mort est sérialisée, avec de pelotons spécialisés chargés des exécutions des prisonniers, on a achevé des fusillés à la baïonnettes, exécuté des femmes et des enfants, on s’est acharné sur les corps… Une haine de classe contre le peuple a eu libre cours, y compris dans la forme plus feutrée de ces visites ‘’touristiques’’ que rendent les bourgeois de l’ouest aux prisonniers entassés dans les camps ».
Le 20 : Le gouvernement Jules Dufaure, en place depuis février 1871, et son chef du pouvoir exécutif, Thiers, émettent un emprunt public d’un montant de 2 milliards à 5 %. La Ville de Paris lève au même moment un emprunt de 1,2 million de francs.
Le 22 : Jules Guesde, loin de Paris pendant la Commune, est cependant condamné par contumace à cinq ans de prison et 4 000 francs d’amende.
Le 24 : La Cour d’assises condamne Vaubourgeix, qui avait subi déjà deux mois de prévention, à quatre mois de prison et 50 F d’amende. Tailleur à Chartres, il avait conseillé le 12 avril à des soldats de passage dans la ville de mettre la crosse en l’air et de ne pas tirer sur « les frères et amis de Paris ».
Le 27 : The Times de Londres publie une lettre ouverte de Courbet où il affirme avoir tout fait pour protéger les musées parisiens.
Le 29 : Une immense foule acclame à Longchamp une revue militaire de 120 000 hommes dont 15 000 cavaliers.